Blog-notes*
Crédit photo Bettina
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XVIII
Dès lors, Alex avait acquis une certitude.
Ayant décidé de créer son propre blog, il s'était ouvert de son projet à Clarisse et l'avait convaincue de l'aider à pister Apocalypse666 sur la
toile.
Elle ferait le design et lui rédigerait les textes. De fait, Clarisse s'était rapidement révélée une collaboratrice zélée et complète. Là, où les articles
pêchaient par excès de virilité, d'optimisme ou a contrario de mièvrerie, elle reprenait une phrase, modifiait une tournure, ajoutait une pointe de féminité. Le mélange de leurs styles respectifs
produisait au final, une prose ambiguë, juvénile et confon-dante de perversité. L'appât virtuel mis en ligne, ils avaient attendu et surveillé de près les visites en espérant un éventuel miracle.
C'est une nuit, en épluchant les statistiques du blog qu'Alex avait remarqué la récurrente visite d'un blogeur. Un certain " Des Esseintes " ne manquait aucun rendez-vous, sa fidélité
semblait manifeste en dépit d'une absence totale de manifestation écrite de son intérêt. A l'instant même où Alex avait cliqué sur le lien informatique, son estomac s'était noué et ses battements
du coeur accélérés. En dehors de la différence de pseudonymes, tout convergeait vers une seule et même identité. Certes, la bannière était différente, des gravures anciennes remplaçaient les
masques mortuaires africains, la police de caractères plus sophistiquée n'était pas identique, mais comme précédemment elle divergeait sensiblement de celles utilisées par la majorité des
internautes. Lorsque enfin les baffles de l'ordinateur émirent les premiers accords à la guitare de " Suicide is painless ", Alex avait laissé sa joie éclater.
Son frappadingue, il le tenait.
S'en étaient suivis de longs conciliabules avec Clarisse pour déterminer le moyen le plus efficace pour attirer la confiance de " Des Esseintes " et l'amener à se dévoiler. Ils étaient tombés
d'accord sur une stratégie : ils devaient le séduire.
Le résultat avait été concluant car " Des Esseintes " s'étaient empressé de répondre à leurs messages de plus en plus osés. Le point crucial de ce face à face virtuel avait été atteint lorsque
celui-ci avait fini par accepter des rendez-vous nocturnes sur une messagerie instantanée dont Alex consignait les propos sur le blog-notes du portable de Clarisse par de
fréquents copié-collés. La complicité qui s'était alors développée entre les deux jeunes gens avait eu une contrepartie et un prix à payer. Leurs relations amicales avaient atteint un
point de non-retour. L'un et l'autre, plusieurs heures par nuit, ne formaient plus qu'un seul et même avatar, mi-masculin, mi-féminin, mi-ange, mi-démon. Chacun endossait à tour de rôle et au gré
des événements l'un des versants janusien de leur commune identité virtuelle. Ils en sortaient déstabilisés, troublés, épuisés. C'est à peine s'ils osaient se regarder et s'adresser la parole au
sortir de leurs délires nocturnes.
- Il s'est endormi devant son écran ?
La question de Clarisse sortit Alex de sa réflexion.
- Non, ce n'est pas possible. Il est là, j'en suis sûr. J'essaye encore une fois. Tiens, tu peux me passer l'Arétin ?
- Tu ne vas pas encore lui servir de cette soupe moyenâgeuse !
- Primo, l'Arétin, ce n'est pas le moyen-âge, secundo, il adore cela. Je ne vais pas me gêner...
- Il en a combien de bouquins comme celui-ci ton père dans sa bibliothèque ?
- Je ne sais pas, je ne les ai pas comptés. A vue de nez, je dirais une petite centaine.
- Mince, une véritable biblio d'obsédé ! Je comprends que ta mère se soit tirée...
- Ma mère ne s'est pas tirée, comme tu dis, pour cela. Ma mère est partie parce que mon père fréquentait des clubs échangistes.
- Wouah, mortel ! Et ça ne lui plaisait pas ?
- Ce qui ne lui a pas plu, c'est qu'il n'y allait pas avec elle, mais avec sa secrétaire de vingt ans, précisa Alex en fixant Clarisse, droit dans les yeux.
- Manque total de savoir-vivre, ponctua celle-ci en détournant le visage.
- Manque total de savoir-vivre de ma mère surtout, puisque c'est par elle que je suis au courant. Bon, basta ! Je vais sur son blog, lui laisser un message.
Clarisse parut soulagée, approuva d'un hochement de la tête, ramena ses longs cheveux défaits en un chignon improvisé qu'elle fixa à l'aide d'un bic capuchonné. Elle s'approcha du portable et se
lova dans le dos d'Alex alors que celui-ci cliquait dans " ses favoris ".
- Merde, regarde ! Son blog est supprimé. Impossible d'y accéder. On fait quoi ?
- Tu es sûr ?
- Vas-y toi... Si tu ne me crois pas...
- Non, tu as raison... Je te crois. C'est curieux qu'il nous claque comme cela, subitement entre les doigts.
- Ouais! Curieux. Bon, Clarisse, je vais rentrer chez moi. Je laisserai MSN branché toute la nuit. Il finira bien par se manifester.
Alex ferma l'ordinateur, dégagea son corps avec une brutalité maladroite du léger fardeau de celui de la jeune fille, prit l'exemplaire des " Ragionamenti "
de l'Arétin qui traînait sur le bureau et se dirigea vers la porte de la chambre, l'air soucieux, le front buté.
- Ben, tu ne me dis pas au revoir ?
à suivre......
*BLOG-NOTES est un manuscrit déposé, ayant reçu un numéro d'ISBN mais non encore corrigé et édité. Les amis blogeurs qui auront le courage et la ténacité
de lire ce petit suspense jusqu'au bout seront nommément cités sur le livre en dédicace.