Blog-notes*
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XVI
- Djamila ! Vous gardez vos expressions kabylistiques pour une autre occasion. Quant à vous, père Matthieu, revenez un peu sur terre. Je
n'ai pas de temps à perdre avec un vieux schnock qui bêtifie devant des gamines. Si vous avez quelque chose à dire, c'est maintenant ! Vous m'avez encore planqué quoi ?
Delage en rajoutait dans l'attitude menaçante; ponctuant ses paroles de coups de poing sur la barre métallique du pied de lit du père
Matthieu.
Djamila lui lança des regards furibonds, mais s'abstint d'intervenir.
De longues secondes s'écoulèrent dans un silence plombant. Chacun s'observait. L'inspecteur crut déceler chez le père Matthieu un changement
d'attitude. Il décida de lui accorder en guise de sursis quelques secondes supplémentaires. Le vieux tourna lentement la tête vers la fenêtre et resta silencieux.
- Bon, allez, je me tire, assez rigolé pour aujourd'hui...
Delage quitta la chambre d'hôpital écumant de colère et gratifia la porte d'un violent coup de pied qui résonna dans tout le service de
réanimation.
- Bien, je crois que je vais devoir vous laisser, entama Djamila. Je suis désolée pour cet incident. L'inspecteur n'est pas comme cela
d'habitude. Depuis quelques jours il pète les plombs. Je dis quelques jours, mais en réalité il est comme cela depuis l'arrivée du commissaire principal.
- Depuis l'arrivée de Guedj ?
- Oui, c'est exact. Vous le connaissez également ?
- C'est lui qui a pris ma déposition dans l'affaire de la petite Morgane. Un type plutôt sympa, bien élevé, très pro.
- Oui, soupira Djamila. Dommage que ces deux là, ne s'entendent pas. Je ne vous dis pas l'ambiance au commissariat ! Normalement, Delage
aurait dû être nommé Principal à la place de Guedj, mais avec ses méthodes et ses activités syndicales, il s'est fait barrer par la hiérarchie. Ceux qui ont bossé avec lui, l'apprécient pourtant
beaucoup. Alors, on supporte ses coups de gueule et sa misogynie. C'est le genre de gars qui peut être charmant et parfaitement odieux quelques instants plus tard. Bon, il faut que je file avant
qu'il ne bloque le klaxon de la police de patrouille pour m'inviter à le rejoindre.
- Non, attendez ! juste un instant...
Le père Matthieu tenta de s'extirper des draps bordés avec soin par son infirmière réunionnaise.
- Où allez-vous comme cela ? S'exclama Djamila avec inquiétude.
- Rendez-moi un petit service murmura le bonhomme que l'effort avait essoufflé.
- Là, dans la garde-robe, il y a ma veste. Dans la poche gauche intérieure, vous trouverez un papier plié. Prenez-le et donnez-le à
Delage. C'est pour cela que je lui ai demandé de venir. Je ne voulais pas quitter ce bas monde la conscience pas nette.
Djamila trouva sans difficulté le document rangé à l'endroit qu'il venait de lui indiquer.
- Je peux ? Demanda-t-elle au bonhomme en agitant la feuille encore pliée.
- Oui, jeune fille, vous pouvez le lire. Je serais même très content de connaître votre sentiment.
Elle lut le poème de Beaudelaire, détailla les gravures en noir et blanc qui encadraient le texte. Elle fronça les sourcils, puis son visage
s'éclaira d'un sourire légèrement moqueur.
- C'est marrant à votre âge de vous lancer dans un blog.
- Dans un quoi ? Demanda le père Matthieu interloqué
- Ben, oui, dans un blog... J'en ai un moi aussi, mais je n'ai pas de temps à y consacrer.
- Un clob, je n'ai pas de clob ! Qu'est-ce que vous me chantez là ! De plus, ce papier n'est pas à moi. Voilà... en fait, je l'ai trouvé
dans les affaires de la petite Morgane. Je l'ai gardé pour le poème, ajouta le père Matthieu, un voile de gêne dans la voix.
- Il s'agit d'une page d'un blog, j'en suis sûre ! D'ailleurs regardez là... Il y a le nom de la plate-forme. C'est pas croyable, je suis
sur la même ! A mon avis, il s'agit d'une capture d'écran.
- Après le créole et le kabyle, voilà que vous me parlez chinois. C'est quoi, une capture d'écran ?
- C'est juste un logiciel qui vous permet de prendre une copie de l'écran de votre ordinateur, comme une photo, si vous préférez, et
ensuite, vous pouvez l'imprimer. Et là, c'est le cas. Vous voyez la marge blanche tout autour de la feuille ?
- J'vois rien, j'ai pas mes lunettes. Elles sont dans le tiroir de la table de nuit, mais bougez pas, c'est pas la peine, je vous crois
sur parole. Vous, les jeunes, vous vous y connaissez en informatique. Moi, rien que le mot, ça me donne des boutons. Vous pensez que c'est important que cela provienne d'un clob ?
- Oui, plutôt, sourit Djamila. Avec cela, on peut remonter à l'auteur. Surtout que le pseudo apparaît en clair : Apocalypse666. Brrrrrrrr,
pas cool, le pseudo ! Remarquez, les dessins non plus ne sont pas cools, et le poème, je ne vous dis pas...
- C'est du Beaudelaire ! Un immense poète ! S'offusqua le vieux.
- Ben, votre Beaudelaire, il n'avait pas franchement le moral, lorsqu'il a écrit cela. Bon, je ne sais pas ce que l'inspecteur Delage va
pouvoir tirer de ce papier, mais sûr qu'il ne va pas l'enterrer. Peut-être bien que ça va même lui redonner le sourire?
- Ça m'étonnerait, grogna le bonhomme
- Et pourquoi ?
- Parce que, jeune fille, c'est le deuxième document de la petite Morgan que j'oublie de lui donner... Rien d'intentionnel, juste un
problème d'attention. Je me demande si je ne perds pas un peu la mémoire ? Insista le père Matthieu, décidé à mentir sur toute la ligne.
- Bah ! J'en fais mon affaire. Ne vous inquiétez pas. Je sais parler aux hommes. Il y en a cinq dans ma famille. Je suis la seule fille,
mais l'aînée ! Précisa-t-elle une lueur de défi dans les yeux.
- Cette fois-ci, je vous laisse. Prenez soin de vous. Heu ! Juste une petite question... D'après vous, pourquoi l'inspecteur
m'appelle-t-il Kate ?
Le père Matthieu hésita, cligna des yeux pour ajuster sa vison de myope, observa les boucles rousses qui refusaient de se soumettre au diktat d'épingles à cheveux, s'attarda sur le menton
volontaire, le regard décidé, évalua derechef la stature à la fois ferme et élancée, pour décréter sur un ton qu'il enroba de solennité :
- Vous ressemblez beaucoup à une actrice américaine qui joua dans un film de John Ford. Elle se nommait Maureen O'Hara.
- Ha bon ? Oui, mais Kate ?
- C'était le prénom de l'héroïne du film.
- Et, elle était belle ?
- Plus que cela, jeune fille, superbe...
Djamila se sentit rougir. Elle bredouilla un petit merci et rangea le document dans la poche de sa veste.
- Ce n'est pas moi qu'il faut remercier. C'est votre Delage, conclut le père Matthieu avec un clin d'oeil
appuyé.
à suivre......
*BLOG-NOTES est un manuscrit déposé, ayant reçu un numéro d'ISBN mais non encore corrigé et édité. Les amis blogeurs qui auront le courage et la ténacité de lire ce petit suspense jusqu'au bout seront nommément cités sur le livre en dédicace.