15 novembre 2007
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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
(12) Où Abel Beaujour fricote avec la justice
(12) Où Abel Beaujour fricote avec la justice
Abel se leva d’humeur maussade. Quatorze jours le séparaient encore de Noël et quatorze jours, cela voulait dire quatorze vœux supplémentaires.
Là où beaucoup rêveraient d’avoir à portée de main un calendrier magique ou un bon génie exauçant tous leurs souhaits, Abel se montrait de plus en plus septique. Il avait réfléchi à la
soudaine réapparition des livres de Paul Démère dans la librairie de monsieur Tellier mais surtout au fait qu’il ne s’agissait nullement d’un miracle mais d’une décision mûrement pensée et
programmée par Gontran de la Perronière. Les dossiers contenant les décisions du conseil municipal, il les avait épluchés sur les huit derniers mois, la veille au soir après dîner.
Effectivement, dans l’un des compte-rendus datant du mois de juin, il trouva la trace de la subvention et d’un contrat avec un éditeur régional. Cette réunion, il n’avait pas pu y
participer car ce jour là, il était souffrant.
En revanche, certains de ses vœux lui causaient aujourd’hui bien des désagréments. La haine du maire en était le point culminant. Les sorties de
Filou, les jours de pluie, à côté de cela n’étaient que broutilles. Il se demanda avec inquiétude si la responsabilité du suivi scolaire d’un cancre récalcitrant ne serait pas à terme une
croix bien plus lourde à porter sur ses épaules. Il souhaita avec un peu de honte que les parents du gamin refusent de lui confier cette mission. Il avait fait le vœu de se montrer patient
et pédagogue avec l’enfant et regretta de ne pas avoir formulé un souhait moins personnel, à savoir que l’élève trouve seul le chemin de la culture. Perdu dans ses idées peu optimistes, il
avala son bol de café tiède et manqua d’ardeur pour finir les mots croisés du journal. Même les définitions tarabiscotées du cruciverbiste finirent par l’énerver. Il jeta un coup d’œil
négligent sur le cotonéaster qui continuait à hiberner, et c’est avec le plus grand manque de conviction qu’il appela Filou pour l’ouverture du réceptacle numéro dix. Ce qu’il lut, ne
lui remonta guère le moral :
« Bien le bonjour. Voici exactement un siècle, une docte Assemblée votait la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il est
indispensable qu’en cette période de recueillement et d’ouverture de votre cœur sur le monde, ce dixième vœu s’adresse à une personne ne bénéficiant pas de l’un des droits naturels et
imprescriptibles dont chacun peut se prévaloir. Est-il encore besoin de vous préciser que la sagacité de votre choix et la qualité de votre motivation sont déterminants quant à la
réalisation de votre vœu. Citoyennement vôtre. Le calendrier. »
Si le port du bonnet phrygien correspondait plus à la sensibilité d’Abel que celui de la soutane, la référence égalitaire et civique du calendrier le
laissa un instant pantois. Il n’était pas dans sa nature de monter au créneau pour défendre la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. Le grand-père Emile avait
fait en son temps un choix, mené des combats, mais depuis sa disparition, la veine révolutionnaire et civique s’était diluée chez les Beaujour dans des arrangements tout autant personnels
que politiques. Plus modéré et centriste que l’ancêtre, plus attaché à sa propre sécurité qu’à celle des autres, Abel contemplait le bout de papier avec circonspection. Pourtant dans cette
consigne, il y avait un élément troublant. On était bien le dix décembre, et le dix décembre était la journée des droits de l’homme. Cela, un calendrier fabriqué en 1889 ne pouvait le
deviner. Sauf si… Abel n’osa pas aller plus loin dans la déduction.
Au moment de se vêtir, une idée vint enfin le dérider. S’il devait s’habiller, au moins devait-il faire un choix révolutionnaire. Cela lui convenait à
merveille, car Girondins et Montagnards étaient gens de goût, précieux dans la mise, raffinés dans l’apparence. Il hésita entre un costume bleu en hommage à Robespierre et un pantalon gris
de perle, un gilet blanc sous une veste chamois très Saint-Justiniens. Eu égard au gel sévissant depuis deux jours, Robespierre l’emporta. Il restait maintenant à trouver une personne digne
de ce vœu civique. Si tous les êtres humains naissaient libres et égaux en dignité et en droits, s’ils étaient doués de raison et de conscience et devaient agir les uns envers les autres
dans un esprit de fraternité sur le papier et dans les textes, sa bonne ville natale abritait certainement une personne prouvant le contraire. Abel avait sa petite
idée…
En empruntant avec le petit fox la rue des Cordeliers, il s’arrêta devant la plaque d’une étude d’avocats. Maître Barbot siégeait au conseil municipal
et lui vouait une amitié cordiale. C’est donc sans rendez-vous qu’il réussit à franchir le purgatoire du secrétariat et obtenir du bêcheur un court entretien.
Abel alla droit au but :
« Philippe, as-tu parmi tes clients, une personne ayant à se plaindre d’une forme quelconque de mauvais traitement ou de propos
dégradants ? »
« Abel, mon vieil Abel… Tu me feras toujours rire toi…Quel énergumène ! Tu te pointes dans mon cabinet sans rendez-vous pour me poser une
question d’une naïveté telle que je me demande dans quel monde tu vis ? » répondit Maître Barbot en se balançant dans son fauteuil de cuir noir.
« Sur la table derrière toi, parmi les dizaines de dossiers qui y sont entassés, il y a au moins cinq affaires ayant trait à de mauvais
traitements. Ce n’est pas parce que nous habitons une petite ville de province que nos délicieuses chaumières ne couvent pas du sordide, du lâche sous ses couettes molletonnées. »
« Et parmi ces affaires… excuse-moi d’insister… y-en a-t-il une qui soit particulièrement révoltante ? »
« Mettre du degré dans l’abject, ce n’est pas mon genre et ce ne serait pas très professionnel. Mais si tu veux mon sentiment personnel, j’ai le
cas d’une jeune fille d’origine maghrébine, employée à tout faire et lorsque je dis tout, tu m’auras compris aisément. »
« Je peux connaître son nom ? » Risqua Abel.
« Affaire en cours, jeune fille mineure, secret de l’instruction.. Désolé mon vieux… je ne peux pas t’en dire plus. Et d’ailleurs en quoi cela
t’intéresse ? »
« Je voulais me rendre utile, du moins financièrement…Je connais tes honoraires » ajouta Abel d’un air entendu.
L’argument déclencha chez l’avocat un perceptible changement d’attitude. L’ami, un tantinet railleur, devenait l’homme âpre au gain qu’il n’avait
d’ailleurs jamais cessé d’être.
« Si tu me promets la plus entière confidentialité, je te permets de jeter un rapide coup d’œil sur le deuxième dossier de la pile de droite. Moi,
pendant ce temps là, je vais me faire chauffer un café. Je t’accorde cinq minutes, pas une de plus, d’accord ? »
Abel était prêt à tout promettre… Il attendit que Maître Barbot ait refermé derrière lui la porte pour se précipiter sur le dossier. La seule lecture
d’un rapport de police lui en apprit plus que sa sensibilité ne pouvait en supporter. Les poings serrés, il ferma les yeux et formula son vœu. Lorsque cinq minutes plus tard, l’avocat
réapparut, tenant à la main une tasse de café fumant, Abel avait déjà sorti son chéquier.
Les heures qui suivirent furent pour Abel d’un grand réconfort. Si le calendrier n’avait pas de pouvoirs magiques, son compte en banque en aurait de
bien plus conséquents. Il avait retrouvé le sourire et un tranquille optimisme quand le téléphone sonna. A l’autre bout du fil, une Madame Leboeuf au comble de l’excitation lui annonça
la nouvelle : Les parents du petit Cédric étaient d’accord… Le soutien scolaire démarrerait le jeudi prochain. Abel raccrocha, de nouveau accablé.
Maugréant et pestant à la perspective d’avoir un âne bâté en cure d’alphabétisation à domicile, c’est sans y prêter une réelle attention qu’il lança dans le salon, la balle de caoutchouc que Filou venait de lui apporter. C’est toujours inattentif, qu’il la relança lorsque le chien la lui ramena et la déposa à ses pieds.
Maugréant et pestant à la perspective d’avoir un âne bâté en cure d’alphabétisation à domicile, c’est sans y prêter une réelle attention qu’il lança dans le salon, la balle de caoutchouc que Filou venait de lui apporter. C’est toujours inattentif, qu’il la relança lorsque le chien la lui ramena et la déposa à ses pieds.
à suivre....
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