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  • : Ecritures à la loupe
  • : Présenter des écritures manuscrites d'écrivains célèbres avec une étude graphologique, des comptines pour enfants, l'un de mes romans et beaucoup de mes coups de coeur, voilà l'objectif de ce blog. J'espère que vous vous y sentirez également chez vous...
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Mes romans

histoire

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6 décembre 2007 4 06 /12 /décembre /2007 16:36



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Le calendrier de l’Avent
 
Contes et nouvelles

(22)  Où l'on perd la mémoire tout en la retrouvant


Il referma prestement la porte de la salle de bains. Myrtille, en sa présence, se prenait pour une diva. Son répertoire s'étant élargi la veille au premier couplet du cantique de Moreau, la toilette d'Abel se déroulait dans une totale cacophonie. Les boules Kies dont il s'était muni pour prendre sa douche n'atténuèrent que fort peu les décibels. Le vieil homme pensa qu'à son âge beaucoup de personnes perdaient l'ouie et se désolaient de cette infirmité. Leur offrir un mainate en cadeau de Noël suffirait à les convaincre des bienfaits de la surdité. Heureusement, Myrtille présentait d'autres qualités et sa docilité à retenir les leçons du jeune Cédric n'était pas des moindres. La neige continuait à tomber en abondance sur la ville, nappant les toits de la cité d'un manteau blanc uniforme.
       
La proposition faite la veille à l'enfant obligeait Abel à chercher du bois tendre mais suffisamment sec pour pouvoir le sculpter sans difficulté. Il savait où en trouver. Les fermiers qui avaient recueilli René disposaient d'une réserve abondante de planches et bûches de sapin prélevées dans une parcelle de bois dont ils assuraient l’exploitation. Leur rendre une visite de courtoisie présentait l'avantage de vérifier l'installation de René et de leur emprunter le matériau nécessaire à la fabrication du jouet. La ferme était située aux Renardières, un lieu-dit à trois kilomètres de la ville et seul un bus desservait l'endroit plusieurs fois par jour. Abel se demanda si le conducteur accepterait de prendre Filou à bord de son véhicule. Certes, le fox n'était pas gros, mais suffisamment pour se voir refuser l’accès par un fonctionnaire tatillon. Il chercha dans le cagibi un sac ni trop grand, ni trop petit, pour accueillir l'animal et décida de tenter sa chance. Il téléphona au couple de fermiers afin de vérifier leur disponibilité puis se prépara à découvrir le secret du chiffre vingt.
         
« Bien heureux de vous retrouver en ce vingtième jour de l’Avent ! Le choix des dernières consignes est un vrai crève-cœur. Des centaines de vœux mériteraient d’être formulés et nous devons en écarter à notre corps défendant. Cette période est propice aux souvenirs. La mémoire des temps passés et des personnes oubliées envahit nos pensées avant que nous tournions nos regards vers le Divin qui va naître pour montrer l’avenir aux croyants. Il est des êtres qui hélas ont perdu cette faculté du souvenir. Nous souhaitons que votre attention se porte sur l’un d’entre eux. Soyez sincère et motivé, nous ne vous oublierons pas. Le Calendrier. »
        
Abel apprécia la dernière phrase car il commençait depuis quelques jours à se demander si le calendrier l’autoriserait enfin à penser à son propre confort. L’idée de faire du bien autour de lui, le remplissait de bonheur et il avait accepté des changements dans sa vie bien huilée sans faire grise mine. Mais comme tout un chacun, la perspective de s’octroyer un vœu bien choisi le titillait beaucoup. Depuis le premier décembre, il lui était arrivé de se formuler en cachette de petits souhaits très personnels en dehors de ceux qui relevaient des consignes. 
   
« Et bien Filou, il semblerait qu’un jour prochain, ce sera mon tour… » déclara-t-il en caressant la tête du chien. 
         
L’arrêt de bus le plus proche se trouvait rue Grande à une centaine de mètres de la demeure d’Abel. Le ciel continuait à essaimer son duvet neigeux et de petits flocons virevoltants dans l’air firent escale sur ses cils. Le bus apparut au bout de quelques minutes à l’extrémité de la rue Grande. Abel ouvrit le sac, souleva Filou et tenta de l’y faire entrer. C’était sans compter sur la vivacité du fox qui n’avait aucun intention de se retrouver prisonnier. Chaque tentative se solda par un échec. Abel faillit  regretter le temps où l’animal perclus de rhumatismes avait bien du mal à se déplacer. Filou, pris d’une crise d’angoisse, tirait sur la laisse à chaque tentative du bonhomme. Il se débattit tant et tant qu’au moment crucial où les portes de l’autobus s’ouvrirent le chien avait enroulé deux fois la laisse autour des chevilles d’Abel. Son corps basculait déjà dans le sas qu’une main ferme l’empoigna et lui rendit son équilibre. 
            
« Tu nous fais une tentative de suicide ? » Le graillement de la voix de Benoît Champlain résonna aux oreilles d’Abel.
     
Les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre et s’embrassèrent fraternellement. Comme le conducteur du bus perdait patience, Benoît aida son ami à mettre Filou dans le sac et monta avec lui pour lui tenir compagnie un petit bout de chemin. Ils parlèrent de tout et de rien comme deux compagnons de longue date, les demi-mots et les demi-phrases les rapprochant plus que de longues palabres. Quand Benoît arrivé à destination laissa seul Abel poursuivre sa route, le bonhomme se rendit de bonne grâce à l’évidence. Les tics de langage de son « taroteur » d’ami avaient disparu.
          
Là où le bus déposa Abel un paysage fait de silence et de longues étendues blanches légèrement irisées s’étendait à perte de vue. La neige masquait les petits dénivelés des buttes avoisines et seuls quelques pommiers aux branches ployant sous le fardeau glacé rompaient la monotonie de cette terre endormie. Abel libéra Filou de sa prison et prit au croisement la petite vicinale conduisant au hameau des renardières. Au bout d’une centaine de mètres, la silhouette massive de la ferme des Briard se découpa sur le ciel gris ardoise. Il trouva René dans la grange en compagnie d’Augustin Briard, la tête plongée sous le capot allongé d’une antiquité poussiéreuse.
       
« Monsieur Beaujour, j’suis bien content de vous voir… Si on m’avait dit que j’pourrai un jour bricoler un 8 cylindres de plus de cinq mille centimètres cubes… j’tez un coup d’œil sur ce radiateur incliné… un p’tit bijou cette caisse »
        
Abel, que la mécanique intéressait, se fit expliquer par René toutes les subtilités du moteur, admira les formes aérodynamiques, la poupe en « queue de Pie » de la vieille racée.
 
« Une ZD de 1935… M’sieur Beaujour… si on m’avait dit… » 
 
René était aux anges. Abel comprit que son protégé avait trouvé plus qu’un abri et un gîte protecteur chez les fermiers.
 
Augustin Briard prit Abel par le bras et l’invita à venir se restaurer dans la maison principale.
 
« Depuis que René est tombé sur la Stella du grand-père de ma femme, c’est tout juste s’il prend le temps du boire et du manger. Tu viens nous rejoindre, René ? » Demanda le fermier.
 
« Dans cinq minutes…J’arrive…encore un truc à vérifier » répondit le mécano.
 
Une odeur de tarte aux pommes et de caramel flottait dans la grande cuisine de la ferme. Sandrine Briard s’afférait autour d’une longue table en chêne, disposant assiettes et couverts avec la dextérité des habitudes journalières. On entendait un bébé piauler dans une pièce adjacente et une vieille femme dans une robe à  pois noirs fixait d’un œil inexpressif la gazinière, un gros matou lové sur ses genoux. Filou repéra le greffier tant à l’œil qu’à l’odorat. La provocation d’un jappement offensif laissa le chat indifférent. Après plusieurs essais infructueux, de guerre lasse, le fox se coucha frustré aux pieds d’Abel. Le repas fut copieux et bien arrosé. Les Briard étaient des gens simples et généreux. Ils se félicitaient de la compagnie de René qui n’hésitait jamais à offrir ses services, apprenait à traire les vaches et se proposait de restaurer la vieille auto. La grand-mère en revanche restait silencieuse, n’avait qu’à peine touché au savoureux bourguignon de sa bru et passa le repas à tripoter des morceaux de mie de pain qu’elle avait façonnés en petites boulettes. Lorsque Sandrine fit circuler l’eau-de-vie, elle sortit de sa torpeur et tendit son verre.
     
« Mémère, tu sais bien que c’est mauvais pour toi. Le médecin te l’a interdit » s’exclama Augustin.
      
La vieille femme leva un regard vide vers lui.
    
« Mon jacquot, je peux avoir une goutte ? » implora-t-elle
       
« Mémère… J’suis Augustin, ton fils… Jacquot, c’était le père… ton mari… Tu te souviens de ton mari ? » 
        
«J’suis pas mariée, je suis ta petite-fille… Allez, Jacquot rien qu’une p’tite goutte… » Insista l’aïeule.
      
Augustin gêné, soupira et baissa la tête.
        
« Elle perd la boule… elle mélange tout, se souvient de rien… » Murmura-t-il à l’intention d’Abel.
     
Le vieil homme avait compris depuis longtemps de quel mal souffrait la mère d’Augustin. Il y avait peu d’espoir de lui rendre la mémoire. Pourtant, la peine de son fils était si sincère que lorsqu’il prit le verre de gniole, il ferma les yeux et fit un vœu.
       
Quand une heure plus tard, la femme d’Augustin le déposa au seuil de sa maison, deux billots de bois tendre avaient remplacé Filou au fond du sac. Il descendit avec le petit fox de la voiture, remercia Sandrine de sa gentillesse, ouvrit la porte et sans prendre le temps de se changer, descendit à la cave où se trouvait son atelier. Les formes langoureuses d’une Vivastella flottaient dans sa tête. Le bruit du rabot et l’odeur de copeaux de bois vinrent bientôt envahir le sous-sol.
  
 
  
  
 
           

à suivre.... 


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4 décembre 2007 2 04 /12 /décembre /2007 15:04



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Le calendrier de l’Avent
 
Contes et nouvelles

(21)  Où Abel Beaujour pose ses conditions


Lorsque les trois notes de la sonnette d’entrée retentirent, Abel était sous la douche. Le bruit de l’eau ayant étouffé le son, le talent de Myrtille à imiter tous les bruits qu’elle entendait informa le vieil homme de la présence d’un visiteur. Il s’essuya rapidement et enfila une robe de chambre pour aller ouvrir. Il eut quelque peine à reconnaître sous la toque poudrée de fins flocons et l’écharpe remontée jusqu’au nez, le visage de monsieur le Maire. Comme un froid spectral s’engouffrait par l’embrasure de la porte, il encouragea Gontran à se mettre au chaud et à l’abri. L’ayant débarrassé de son manteau, il l’invita à le suivre dans la cuisine et lui proposa une tasse de café. Pendant qu’Abel remplissait d’eau la cafetière, l’édile s’approcha de la fenêtre et les yeux fixés sur les points blancs qui flottaient dans l’air prit la parole avec une voix vibrant d’émotion.
 
« Je te remercie Abel de m’avoir ouvert ta porte. Vois-tu, je tenais à te voir le plus vite possible. Je regrette sincèrement ce qui s’est passé hier. Nous nous sommes conduits… enfin, je veux dire… Je me suis conduit comme un con. Excuse-moi pour le langage, mais il n’y a pas d’autre mot pour qualifier la chose. J’ai bien réfléchi… En réalité, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit… Je souhaite que tu reviennes sur ta décision. Nous avons besoin de toi au conseil, de toi et de tous les autres… » Le maire laissa les derniers mots planer comme s’il attendait le soutien d’Abel.
 
« Tu veux dire que tu as besoin de moi et de Laforgue ? » Questionna le bonhomme tout en mesurant une dose de café moulu.
 
« Oui… Toi… Laforgue…Tout cela est allé beaucoup trop loin. Je ne sais pas quel vent de folie a soufflé hier sur la mairie… mais je te promets que cela ne se reproduira plus. Je ne partage pas les opinions de Laforgue, les tiennes non plus d’ailleurs… tu le sais depuis longtemps… Ce n’est pourtant pas une raison pour vous traiter de la sorte. Je suis prêt à écouter vos arguments et à en discuter entre gens intelligents. Il y a sûrement un moyen de mettre tout le monde d’accord… Qu’en penses-tu ? »
       
Abel resta songeur quelques secondes. Ses traits ne reflétaient aucun sentiment. Il observa Gontran debout près de la fenêtre, puis lui désigna une chaise et l’invita à s’asseoir.
     
« Je pense qu’il y a beaucoup de mal à réparer. Les attaques et critiques ne datent pas d’hier. Laforgue ne mérite pas le traitement que tu lui fais subir. Moi, il y a longtemps que tes sarcasmes ne me blessent guère. Tu donnes le ton, Gontran… et les autres te suivent… Comme ce matin tu as l’air sincère, je veux bien essayer, mais à une condition… »
    
Le maire leva des yeux interrogateurs.
 
« Je souhaite qu’à la cérémonie des vœux qui aura lieu en janvier, tu invites Laforgue et sa femme… » 
  
Gontran fronça le nez, mais se tut.
    
« Il est grand temps qu’elle retrouve sa place dans notre communauté et que tu veilles à ce qu’elle soit traitée avec tous les égards… à commencer par ta propre épouse. Ce ne sera pas chose facile, j’en conviens, mais j’y tiens. C’est donc à prendre ou à laisser. » 
     
Ce fut au tour de Gontran de plonger dans le doute et l’expectative. Les premières gorgées d’un café corsé vinrent desceller ses lèvres.
    
« J’accepte, Abel… La partie ne s’annonce pas gagnée d’avance mais je te fais le serment de m’employer à ce que tout se passe bien, y compris avec ma propre femme. Je te le promets… »
       
Les deux hommes se sourirent et se serrèrent la main. La discussion prit un ton plus badin, chacun explorant sa mémoire pour dénicher les moments hauts en couleurs des relations agitées de leurs ancêtres réciproques. Lorsqu’ils eurent terminé de raviver le passé, l’ombre de la discorde avait disparu de leurs pensées. Abel raccompagna le maire à la porte mais avant de le quitter, il voulut savoir comment Gontran avait appris à siffler avec les doigts.
     
« Je ne sais pas Abel… ça m’est venu hier comme cela. Quand je t’ai vu partir, je n’ai pas résisté à l’envie de te rappeler…Instinctivement, je t’ai sifflé… J’espère que tu ne l’as pas mal pris ? »
     
« Au contraire… j’ai adoré... » répondit Abel, le regard malicieux.
 
Son hôte une fois parti, il s’habilla rapidement et appela Filou qui dormait sur le tapis de la chambre pour découvrir la nouvelle consigne du calendrier. La case dix-neuf fut ouverte avec autant de soins que les précédentes.
         
« Comme l’a si bien écrit Edgar Poe, ceux qui rêvent éveillés ont conscience de mille choses qui échappent à ceux qui ne rêvent qu'endormis. Cher ami rêveur nous souhaiterions que le vœu de ce jour permette à un être muré dans sa conscience de partager ses rêves avec un être qui l’aime de tout son cœur. Que votre choix sincère et motivé soit fait en toute conscience ! Le Calendrier »
         
« Hé bien Filou! Si tu as compris quelque chose à cette consigne, surtout n’hésite pas à m’aider… » murmura Abel à l’attention de son compagnon à quatre pattes.
       
Le petit fox remua la queue mais resta muet. Abel en conclut qu’il devait tout seul arriver à résoudre l’énigme. Le ciel se chargeait de nombreux nuages cotonneux et la neige s’accumulait sur le rebord des fenêtres. La promenade de Filou devenait hasardeuse. Abel vérifia l’état des trottoirs avant de s’engager avec le chien dans les ruelles de la ville. Il s’arrêta chez le libraire pour acheter un manuel de philosophie traitant de la conscience et regagna sans musarder outre mesure sa demeure.
    
Le jeune Cédric devait venir vers quatre heures, ce qui laissait du temps à Abel pour décrypter le message du calendrier. Pourtant au moment où l’enfant s’installa dans le salon pour goûter, il n’avait toujours pas progressé dans sa réflexion. Le gamin engloutit son bol de chocolat, dédaigna les gâteaux et s’enquit de la forme de Myrtille. Abel qui avait compris le message, n’entendait pas céder aussi vite au désir de l’enfant. Il sortit d’un tiroir un porte-plume, une bouteille d’encre et un bloc de papier vélin de fort grammage. Il écrivit les paroles du cantique de Moreau en prenant soin de respecter les pleins et les déliés, puis il tendit l’instrument à Cédric en lui recommandant d’en faire autant. Surpris, le gamin examina avec méfiance la plume Sergent major, la trempa jusqu’à la garde dans la bouteille et s’essaya à la plus belle des cursives. La plume crissa sur le papier, arracha quelques fibres et une gerbe de gouttelettes bleu-nuit parsema la surface du papier.
         
Dépité, le bout du majeur et de l’index maculé d’encre, il regarda Abel la mine chagrine. Le vieil homme lui prit la main, dégagea les doigts qui enserraient la plume, détendit le poignet crispé et l’encouragea à recommencer. Au bout de dix minutes d’exercices répétés, le gamin parvint à écrire le premier couplet sans tâches ni fautes d’orthographe. Un quart d’heure plus tard, sur une feuille vierge, il écrivait la moitié du cantique avec dextérité. Ils s’extasièrent ensemble sur la qualité de l’écriture, son esthétisme et sa clarté. Abel posa le disque de Moreau sur la platine ; ils l’écoutèrent, le repassèrent et le chantèrent à l’unisson. Quand le vieil homme fut certain que le texte était connu dans son entier, il proposa à Cédric de l’enseigner à Myrtille, à condition que l’enfant lui confie préalablement les raisons de son aversion pour l’école. Le visage du petit se ferma mais il ne prononça pas le fatal « J’sais pas ».
     
Au moment où Abel abandonnait l’espoir d’en savoir d’avantage, Cédric poussa un long soupir et un flot de paroles rapidement noyé par un flot de larmes vint s’épancher en toute sincérité. Il parla, parla sans même reprendre son souffle : la venue d’un petit frère qu’il n’avait pas souhaité ; les idées sombres qu’il avait eu à son encontre; la crainte panique de voir ses parents ne plus l’aimer. Mais le pire était à venir. Il raconta la détresse de sa mère quand elle comprit que le bébé ne répondait pas aux caresses, son désespoir à le voir indifférent au son de sa voix. Il ne gazouillait pas, ne souriait pas et Cédric en avait tiré la conclusion qu’il était responsable de tout cela. Abel laissa les mots se tarir, puis il prit l’enfant dans ses bras et le serra très fort contre sa poitrine. Les hoquets se calmèrent peu à peu et la tête nichée contre le cou du vieil homme, le gamin suça son pouce.
       
« Que dirais-tu de lui fabriquer à ton petit frère un jouet pour Noël ? » Suggéra Abel dans le creux de l’oreille du minot.
      
« Que penserai-tu d’une petite auto en bois? Je commence dès demain et on la finira ensemble, si tu reviens me voir lundi…juste avant Noël »
           
Un hochement de tête et la caresse d’une mèche mouillée sur sa joue remplirent le cœur du bonhomme d’une paix joyeuse. L’amour le plus pur les étreignait dans sa force singulière, lorsque Abel ferma les yeux et formula le vœu.  
 
  
  
 
           

à suivre.... 


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1 décembre 2007 6 01 /12 /décembre /2007 16:46



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Le calendrier de l’Avent
 
Contes et nouvelles

(20)  Où Abel Beaujour a bien du mal à rester zen


Aussi incroyable que cela puisse paraître, une minuscule pousse d’un vert tendre tentait de se frayer un passage entre les deux rameaux chétifs du cotonéaster. Qu’en plein mois de décembre la plante ait trouvé la vigueur printanière de répandre sa sève vers de nouveaux horizons, aussi modestes soient-ils, récompensait Abel de sa fidélité au calendrier. Une tasse de café noir à la main, il risqua cette fois une vérification en direction du cadre de la photo. Il crut y découvrir de nouvelles formes, plus distinctes que les premières. Une nouvelle observation attentive généra une amère déception. Il avait voulu voir sa femme et sa fille, il avait voulu retrouver leurs sourires au pied du sapin. Le fond de velours gris aux vagues marbrures claires lui redonna le sens des réalités. C’est donc sans se bercer d’espoir inutile qu’il alla chercher son courrier. Il fit le tri des différents prospectus publicitaires, prit le journal et regagna la cuisine pour faire ses mots croisés. Il commença par une définition facile sur un mot de trois lettres et dans les cases correspondant à « ne donne pas droit à l’échange », il inscrivit le mot « ace ».
      
Filou attendit qu’il ait fini la grille pour manifester son envie de promenade matinale. Il appréciait les marches qui devenaient de plus en plus longues et qui lui faisaient découvrir des ruelles cachées où de nouvelles odeurs excitaient son flair de chasseur. L’une d’elles qui fleurait le parfum enivrant d’une bande de matous en goguette le ravissait à l’extrême. Aller s’aventurer sur leur territoire devenait pour le fox une nécessité urgente. Voyant qu’Abel traînait, il le rappela à ses devoirs de maître par des jappements de plus en plus exaspérés. Les manifestations d’impatience de Filou se doublèrent d’une imitation fort réussie de Myrtille. Abel leva les yeux au plafond en signe d’impuissance. Si les deux animaux faisaient front commun, il ne pouvait que se rendre à leur tyrannie.
    
« J’ai compris… Si vous m’autorisez encore un petit instant, souffrez en silence que je prenne connaissance des consignes du calendrier » gronda-t-il en haussant la voix.
      
Est-ce le ton employé ou le mot calendrier, mais les aboiements cessèrent simultanément. Un silence respectueux envahit la demeure.
Il restait bien peu de cases à ouvrir et le chiffre dix-huit fut facile à trouver.
    
« Très cher! Nous sentons monter en vous l’excitation des derniers jours avant Noël. Il vous faut pourtant être encore patient et entretenir ce lien qui nous lie depuis tant de jours. Il vous sera toujours temps de nous jeter dans l’âtre le soir des réjouissances. C’est bien de patience dont nous souhaitons vous entretenir aujourd’hui. Pas de la patience de celui qui aspire à la sagesse mais la douce patience de celui qui s’ouvre à l’inattendu. Pour plus de précisions, référez-vous à l’enseignement de Bouddha. Subhutiquement vôtre, le Calendrier. »
        
Abel s’interrogea. Le calendrier se lançait-il dans le prosélytisme, et aurait-il des visées inavouables? Cherchait-on par des chemins sinueux à le gagner à une cause, à le convertir, lui, l’athée, à une religion? Tolérant, il l’était mais pas au point de supporter n'importe quelle pression. Pacifique, il l’était aussi, tout en étant prêt à lutter avec force et conviction contre des gourous. Un élément du message le fit pourtant sourire quand il vit Filou céder une seconde fois à l’impatience et reprendre ses aboiements. Mais le chien avait eu droit à deux vœux, un troisième eut été du gaspillage. Abel ne fit pas le vœu. En revanche, il choisit une longue laisse d’un tendre gris bleu et chercha dans sa penderie une écharpe de soie assortie. Abel aimait les demi-teintes. Un coup d’œil dans le miroir de l’entrée l’assura qu’il était fort présentable. La balade serait longue, subtile et romantique. Une promenade zen avant la réunion du Conseil municipal de l’après-midi.
      
Il prit le chemin le plus court pour gagner les rives de la Louve. Un ancien chemin de halage suivait le cours rectiligne de la rivière. Sur plusieurs kilomètres on avait planté des saules pleureurs le long du parcours et installé des bancs de bois pour le repos des promeneurs. Abel en repéra un dont le dossier au fil des années était devenu le musée des amours adolescentes de la ville. De multiples canifs plus ou moins maladroits y avaient laissé l’empreinte de cœurs enlacés et d’initiales entremêlées. Il s’assit en épiant de droite à gauche la présence éventuelle d’un indiscret. L’horizon libre, il sortit de sa poche un petit opinel et entailla le bois d’un geste précis. Lorsqu’il fut l’heure pour lui et Filou de quitter le lieu, les lettres « a » « l » et « c » tenaient naïvement compagnie au petit peuple des amoureux.
          
A quatorze heures pile, la séance démarra.
     
Si enseigner le silence intérieur, faire taire les luttes et les conflits étaient le grand dessein du Bouddha pour les hommes, son enseignement déserta rapidement l’esprit des participants. Le vent de la discorde soufflait en rafales et éparpillait aux quatre coins de la table les pages d’un dossier soigneusement préparé par Laforgue. Hors la taille et la forme de l’hémicycle, on se serait cru au Palais Bourbon. Gontran de la Perronière si souvent à cheval sur les questions d’étiquette n’avait pas hésité à tomber la veste, à desserrer le nœud de sa cravate pour incendier son collègue, vitupérer et blâmer ses opposants. Il était aidé dans cette tâche par Madame Jouvence, une ancienne juriste qui s’occupait de la rédaction du bulletin municipal et qui était connue pour son franc parler et son tempérament soupe au lait.
         
L’attitude impassible de Laforgue, loin de lui valoir le respect, attisait l’arrogance des propos et la virulence des critiques. Mais, pour la première fois, l’homme affichait une quiétude et une maîtrise de soi profonde et naturelle. Abel qui n’était pas encore intervenu, l’observait avec intérêt. Lorsque Laforgue déposa sur la table la liste des signataires d’une pétition contre le projet de voie rapide, Madame Jouvence s’empara de la liste et énonça un à un, à voix haute et distincte, les noms et prénoms. Hors les calembours inévitables sur certains patronymes, chacun s’exerça à sortir de sa mémoire de vieux griefs et de pitoyables anecdotes sur le compte des absents. Le lynchage verbal prit de l’ampleur et le couvercle de bon sens et de pudeur ayant valsé de la cocotte minute des rancœurs, les ragots les plus bas purent enfin s’exprimer.
       
Alors que Laforgue arborait un visage aussi impassible que celui d’un acteur de Kabuki de l’empire du soleil levant, Abel sentait le sien s’empourprer et des ondes se propager le long de ses membres. L’adrénaline était de nature contagieuse. En dépit des efforts consentis pour accorder à Madame Jouvence une ultime chance de repentance, il savait qu’au prochain accès de bassesse, il sortirait de ses gonds. Par fidélité au calendrier Abel ferma les yeux et fit son vœu.
       
Hélas, la victime suivante étant madame Leboeuf, la charmante directrice de l’école qui lui avait confié le jeune Cédric, Abel trouva l’occasion rêvée pour faire entendre sa voix.
         
Il interpella un à un ses collègues et sur un ton glacial et tranchant qu’il ne connaissait pas lui-même, les rappela à un devoir de respect élémentaire. Il pesa ses mots, les ajusta à la personnalité de chacun, les soumit au difficile exercice de l’examen de conscience. Il réserva son dernier trait pour monsieur le maire. N’ayant plus rien d’autre à dire, il annonça sa démission.
      
Dans un silence de plomb, il ramassa ses affaires, salua Laforgue et tourna les talons. Au moment où sa main se posait sur la poignée de la porte, un sifflement sec l’arrêta dans son geste. Tournant la tête, il vit Gontran deux doigts posés sur les lèvres. L’assemblée le dévisageait avec stupeur. Monsieur le maire laissa sa main retomber négligemment sur le bord de la table. La confusion se lisait sur son visage. Puis il fut secoué d’un petit rire nerveux qui peu à peu se transforma en un immense fou-rire. Les yeux humides, il se tapait sur les cuisses et lorsqu’il fut à même de pouvoir aligner quelques mots sans s’étrangler de rire, ce fut pour déclarer avec l’intonation de ses huit ans : « Je sais le faire… Je sais le faire… »
         
Abel sourit, ouvrit la porte et déclara sans se retourner :
« Je suis heureux pour toi, Gontran »
  
  
 
           

à suivre.... 


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28 novembre 2007 3 28 /11 /novembre /2007 15:33



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Le calendrier de l’Avent
 
Contes et nouvelles

(19)  Où l'on apprend en apprenant à l'autre


Les parents de Cédric avaient insisté. Vacances de Noël ou non, le fruit de leurs entrailles irait cette semaine chez Abel réviser. Le bonhomme tout en préparant le petit-déjeuner se demanda si le terme était vraiment approprié. Il était sans doute encore trop tôt pour en juger, mais ou le gamin cachait à la perfection son jeu et se complaisait dans le rôle du cancre ou les études primaires l’intéressaient si peu qu’il refusait de se plier à la discipline d’apprendre. Le résultat était le même puisqu’il détenait le premier prix du dernier de la classe depuis son entrée en cours préparatoire. Menacé en permanence de redoublement, il n’avait échappé aux délices de l’allongement de sa peine d’incarcération scolaire qu’aux tests maintes fois passés auprès d’un psychologue qui concluait invariablement sur son quotient intellectuel élevé. Abel attendait avec curiosité ce que donnerait leur deuxième rencontre.
             
Dans un autre registre d’idées, il avait compris que les dons de chanteuse de Myrtille étaient liés à sa propre présence. Dès qu’Abel franchissait la porte de la salle de bains, elle lui rappelait que « baby » n’avait toujours pas compris qu’il en était amoureux. S’il finissait par en prendre son parti et s’amuser des talents de la belle, Filou, lui, affichait sa désapprobation et son inimitié. Le refrain chanté par l’oiseau s’accompagnait désormais du sourd grognement d’un fox aux babines retroussées. Un coup de téléphone passé la veille avait débouché sur l’accueil de René dans une famille de paysans qui mettait à sa disposition pour plusieurs semaines une chambre proprette dans l’un des corps de bâtiment de la ferme. L’arrangement était provisoire mais permettait au pauvre homme de passer les fêtes de fin d’année à l’écart du frimas et dans une ambiance familiale chaleureuse. Abel fit les comptes et conclut que les choses de sa vie prenaient un cours plutôt positif. Il s’octroya pour la peine une tartine de pain beurré nappée de gelée de coing. 
        
La cuisine une fois rangée et nettoyée, il partit chercher son courrier en espérant que la boite à lettres contienne une enveloppe écrite de la main d’un enfant de dix ans. Hélas, en dehors d’un prospectus vantant des remises de fin d’année exceptionnelles sur des canapés en cuir d’autruche, la boite ne contenait que le journal et deux factures. Il les déposa sur la table basse du salon et remit une nouvelle fois son destin entre les mains du calendrier.
       
« Nous avions bien caché le chiffre dix-sept en bas à droite du calendrier, car ce jour célèbre le prophète Daniel qui comme vous ne l’ignorez point fut condamné à la fosse aux lions. Cet horrible supplice dont il sortit indemne ne peut que vous guider dans le choix de votre vœu. L’heureux élu n’aura, si vous remplissez aux conditions habituelles de sincérité et de motivation que vous connaissez, plus rien à craindre de la vindicte et des quolibets. Soyez généreux comme Nabuchodonosor le fut pour Daniel et votre chemin vers la nativité en sera éclairé. Prophétiquement vôtre, le Calendrier »
        
La référence au souverain de Babylone et à Daniel éveillèrent l’attention d’Abel. Si son piètre comportement au tournoi de tarot lui avait valu à titre personnel les quolibets de certains, il n’était pas devenu pour autant l’objet de la vindicte des habitants de la ville. En revanche, il connaissait une personne qui devait supporter depuis une longue année les apartés nauséabonds des gens bien-pensants de la cité. Il s’agissait de Jules Laforgue, un psychiatre ayant longtemps exercé dans la ville, siégeant comme lui au conseil municipal mais qui avait eu le mauvais goût de tomber amoureux d’une ancienne prostituée bien connue des notables. Il l’avait épousé en dépit des avis contraires de ses amis les plus proches et son activité avait dans une logique toute provinciale, périclité.
        
A chacune de ses interventions en mairie, la docte assemblée haussait les épaules, se passait en catimini des histoires salaces sur sa personne, riait dans son dos, se hasardait à lui prêter les perversions les plus bizarres. Laforgue continuait à mener sa mission la tête haute mais il était évident qu’il souffrait. Abel était resté bien souvent dans une neutralité bienveillante. La seule fois où il avait pris sa défense, Gontran l’avait fustigé et raillé dans le consentement muet du reste de la salle. Or, dans un jour se tenait l’ultime réunion du conseil de l’année. Laforgue devait y défendre un dossier dénonçant les nuisances sonores d’un projet d’extension d’une voie rapide aux abords de la ville. Un comité de défense des riverains s’était constitué et nonobstant la réputation de l’élu, lui avait confié la tâche d’exposer leurs arguments et de s’opposer coûte que coûte à la réalisation du projet. Entre les récentes menaces du maire à l’encontre d’Abel et l’intervention de Laforgue, la séance promettait d’être houleuse et assassine. Comme fosse aux lions, on ne pouvait rêver mieux. Abel ferma les yeux et fit un souhait.
         
Le cœur plein d’espoir il appela Filou, l’attacha à la laisse, délaissa son feutre taupé pour une casquette à carreaux plus canaille, vérifia dans le miroir de l’entrée qu’elle était posée à l’oblique et opta pour une balade d’une heure et demie afin de soigner sa forme physique.
    
Lorsque vers quatre heures de l’après-midi la sonnette retentit, Abel dormait dans le fauteuil du salon, Filou à ses pieds. La sonnette retentit encore et encore mais curieusement le son provenait de deux endroits différents. L’un, habituel, ne pouvait être émis que par le visiteur, l’autre, identique, venait de la salle de bains. Décidément, Myrtille apprenait très vite.
        
Dans l’encadrement de la porte, deux visages apparurent. L’un souriant jusqu’aux oreilles, l’autre réduit à une longue mèche tombant sur un nez pointant le pavé. La maman de Cédric s’abîma en remerciements divers et promit à Abel qu’il n’aurait qu’à se féliciter de la présence active et motivée de son fils. Un simple coup d’œil au gamin permettait d’en douter. Elle prit congé en promettant de revenir dans une heure. Le bonhomme fit entrer le condamné dans son salon où il avait préparé un goûter pour mettre l’enfant à l’aise.
          
Le cartable avait fait l’objet d’une préparation minutieuse car il put au bout de quelques minutes comprendre le programme des cours et retrouver la liste des derniers exercices. La vérification de multiplications simples le laissa abasourdi. Si la table des deux et celle des cinq étaient maîtrisées, le reste n’était que pure fantaisie et improvisation. Il attendit que Cédric ait terminé son bol de chocolat et mangé ses gâteaux pour tirer l’affaire au clair. Quelques interrogations simples reçurent la même réponse. A tout problème, Cédric rétorquait : « J’sais pas… ».
      
Abel n’était pas prêt à se laisser démonter par tant de bonne volonté. Il insista, reposa les même questions. Il eut les mêmes réponses. Au moment où il prenait une feuille de papier pour écrire la table de multiplication par trois, la sonnerie retentit à nouveau. Abel jeta un coup d’œil à sa montre puis continua à aligner des chiffres. 
      
« Vous n’allez pas ouvrir ? » Demanda le roi du calcul mental.
 
« Pas la peine, petit… c’est Myrtille… »
 
« Ben, vous n’ouvrez pas à la dame ? »
     
« Ce n’est pas une dame, c’est un mainate. Un oiseau parleur si tu préfères. Elle répète les sons qu’elle entend, imite les voix. Elle chante aussi. Cela te plairait-il d’aller la voir ? »
 
Le minot écarquilla les yeux et pour la première fois devant Abel, un large sourire éclaira son visage. 
 
« Je peux ? » vint remplacer le « J’sais pas… »
       
Abel le prit par la main et le guida jusqu’à la salle de bains. Myrtille visiblement flattée par la qualité de son auditoire agita ses ailes en signe de bienvenue. Elle entonna immédiatement son blues préféré tandis que Filou déguerpissait au fond du couloir. Elle élargit son répertoire à quelques futilités apprises de son ancien maître, siffla une marseillaise sans fausse note et termina son récital par une chanson paillarde qui fit rougir ses spectateurs. Le gamin était aux anges, riait et applaudissait avec entrain.
      
« Tu vois petit, elle apprend vite… Je suis sûr que tu pourrais lui apprendre des tas de choses, toi aussi… »
      
« Vous croyez ? »  Demanda Cédric soudain intéressé.
    
« J’en suis sûr » répliqua Abel. « Que dirais-tu de commencer par la table des trois ? »
     
« Trop fort… » conclut le gamin en plein nirvana.
        
La main posée sur l’épaule de l’enfant, Abel entama la table de multiplication. La voix de Cédric se mêla à la sienne et bientôt un trio éleva dans le ciel un hymne lancinant à la gloire des petits nombres entiers naturels.  
  
 
           

à suivre.... 


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26 novembre 2007 1 26 /11 /novembre /2007 11:45



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Le calendrier de l’Avent
 
Contes et nouvelles

(18)  Où Abel Beaujour s'engage à la légère


Démarrer la semaine précédant Noël avec la migraine, Abel l’avait bien cherché. Le vin de René devait contenir plus de soufre et d’alcool que de jus de raisin. Il avala quelques cachets d’aspirine avec un grand verre d’eau fraîche en espérant que l’étau qui lui enserrait le crâne finisse par jeter du lest. Une longue douche tiède sous l’œil inquisiteur de Myrtille lui permit de se sentir un peu mieux. La journée s’annonçait chargée. Il avait projeté de passer à la mairie pour vérifier si l’on ne pouvait pas trouver un logement propre et confortable pour son nouveau protégé, déposer le sac de vêtements de madame Beaujour, puis se rendre au local informatique de l’Association du temps libre pour envoyer un e-mail au maître de Filou. Abel ne connaissait rien aux ordinateurs et la perspective d’avoir à se concentrer sur une science barbare le jour même où sa tête allait exploser, faillit le faire renoncer.
          
Sa toilette terminée, il envisagea de nettoyer la cage du mainate. Myrtille était telle que le vétérinaire l’avait prédit, une véritable cochonne. Les graines et morceaux de Kiwi s’aggloméraient en petits tas sur le rebord de la console ainsi que sur le carrelage de la salle de bains. Elle-même n’était pas vraiment nette et avait besoin d’une bonne toilette. Se souvenant des conseils du Docteur Labrusse, il remplit l’évier d’eau fraîche, ouvrit la cage et tendit la main vers l’oiseau qui recula de trois pas. Il réussit à la saisir sans recevoir de coups de bec puis la porta jusqu’au rebord de l’évier. Le mainate observa le petit plan d’eau avec intérêt. Sous les yeux médusés d’Abel, elle plongea sans réticence dans la mini baignoire et s’aspergea avec un évident bonheur. Au bout de quelques minutes, la salle de bains fut transformée en une immense pataugeoire, les graines, les bouts de fruits mélangés à l’eau maculant chaque recoin de la pièce. Satisfaite du splendide désastre qu’elle venait de provoquer, Myrtille s’envola d’un coup d’ailes pour se poser sur la tringle de rideau de la douche. Du haut de son perchoir, elle contempla Abel, l’air satisfait et narquois. L’éponge à la main, le vieil homme entreprit de réparer les dégâts. A quatre pattes, il essorait le sol lorsqu’une voix nasillarde s’éleva dans la pièce :
  
« Huuuuuuuummmm, baby… Won’t you feel, I’m in love …Huuuuuuuummmm, baby… Won’t you feel, I’m in love »
       
Le timbre exact de la voix de Buddy Boy Hawkins résonnait aux oreilles d’Abel. Le timbre, le tempo et la mélodie, tout était à l’identique. Il leva la tête en direction de Myrtille qui dépiautait avec application un morceau du rideau en plastique.
       
« Huuuuuuuummmm, baby… Won’t you feel, I’m in love …» Reprit-elle en secouant la tête. 
        
Ainsi cette tête de piaf avait préféré les roucoulades des fils des plantations de coton aux orgues du cantique de Moreau. Abel, les mains sur les hanches était partagé entre l’admiration des dons d’imitation du mainate et la conviction que si elle ne cessait pas sur-le-champ d’entonner ce refrain, son mal de crâne allait tripler d’intensité. Il l’appela, claqua des doigts, lui tendit une graine et finit par l’injurier. Myrtille n’en avait cure, elle s’égosillait de plus belle, étendait ses ailes et les agitait en proie à une intense excitation. La seule solution qui s’imposait était de garder la porte de la cage ouverte, quitter la pièce et laisser l’oiseau seul jusqu’à ce qu’il se décide à retourner dans son abri et finisse par se taire. La stratégie fut payante. Le silence enfin revenu, le vieil homme sortit le calendrier de son tiroir et Filou en guise de témoin, il décacheta le chiffre seize.
    
«  Les jours passent et nous rapprochent de Noël. Il est temps de vous préoccuper de la forme physique d’une personne de votre entourage. Comme le pensait Juvénal «  Mens sana in corpore sano ». Cette phrase doit vous rappeler que tout équilibre intellectuel doit s’accompagner d’un soin du corps approprié. Il vous sera facile en ces temps où les gens se déplacent en voitures sans chevaux de dénicher une personne manquant d’exercice. Que votre vœu soit exaucé! La perspective de devoir nous quitter dans huit jours, commence à nous peiner. Le Calendrier. »
        
Abel sourit. Toutes ses relations amicales manquaient d’activité physique et ce n’étaient pas les parties de tarot qui allaient brusquement les muscler. Il n’avait que l’embarras du choix. Cela lui laissait le temps de sortir Filou, de faire ses démarches auprès de la mairie, de prendre son premier cours d’informatique, le tout sans se presser.
      
En tant qu’élu municipal, il avait accès à tous les dossiers des affaires de la municipalité. Son collègue n’avait pas menti : Peu d’indigents sur le territoire de la commune et donc une absence de centre d’hébergement. En fouillant dans les dossiers, il finit par trouver l’adresse de quelques familles bénévoles prêtes à accueillir pour un temps limité une personne en difficulté. Il nota leurs numéros de téléphone et se promit de les appeler dans le courant de l’après-midi.
         
Le bâtiment de l’Association du temps libre était une ancienne construction des années soixante dix à l’architecture postmoderne assez massive et laide. On avait par la suite élargi les ouvertures meurtrières pour laisser entrer la lumière si bien qu’au final l’ensemble manquait de charme, de style et de cohérence. A l’intérieur, un parcours fléché indiquait dans une signalétique pour grands débiles les différentes salles et leurs activités. Ayant cru reconnaître la forme d’un écran sur l’une des affichettes, Abel poussa une porte peinte en une indéfinissable couleur oscillant entre l’orange et le jaune moutarde. Les épaules voûtées, les yeux fixés sur un écran blafard, un homme chauve pianotait sur un clavier. Abel toussa pour attirer son attention, mais le responsable de l’atelier informatique ne parut pas s’apercevoir de sa présence. Abel toussa plus fort. L’homme sursauta.
          
« Bonjour… Abel Beaujour… Je pense que vous êtes monsieur Rambeau, le responsable de l’atelier d’informatique ? » Entonna Abel
         
« Oui, oui… C’est moi… » Répondit l’homme en ôtant ses lunettes de presbyte.
          
« Je souhaiterais envoyer un message à une personne habitant le Canada. Elle m’a laissé son adresse informatique, mais je n’y connais strictement rien et je me disais que vous pourriez m’aider. »
     
« Vous avez pris votre inscription aux cours et réglé votre cotisation ? »
         
La question surprit Abel. Il ne s’était pas intéressé à l’organisation des cours ni vraiment au fonctionnement de l’Association. La gratuité, lui aurait parue normale étant donné les finances de la mairie et les subventions qu’elle accordait généreusement à ce type d’organisation. Il s’excusa de sa naïveté et promit qu’il régulariserait les choses dans les meilleurs délais.
       
« Dans ce cas, asseyez-vous là et voyons ce que je peux faire » proposa monsieur Rambeau en désignant à Abel un siège en tubes d’acier.
         
Hypnotisé par le défilement des couleurs à l’écran, par les pages encombrées de textes, c’est d’une oreille distraite qu’il écoutait le chargé de cours énoncer les règles, us et coutumes du parfait internaute. De fait, il ne voyait rien, ne comprenait rien. La pensée d’Abel s’envola vers le grand Nord canadien, vers le pays où l’on chasse l’ours et sur les bords de la Petite Rivière. Le maître de Filou lui avait raconté l’histoire des « galets », ces anciens entrepôts perchés sur leur bloc de granit poli par la mer, exposés aux tempêtes et aux embruns. Il lui avait si bien parlé de ces hangars pour les agrès de pêche, où l’on salait et séchait jadis la morue, qu’il crut quelques instants humer l’odeur de la saumure et entendre le cri des mouettes.
    
« Voilà, vous n’avez plus qu’à saisir votre message et cliquer sur envoyer. »
          
Abel émergea de ses pensées et regarda penaud monsieur Rambeau. Son professeur avait les traits tirés, les yeux légèrement rougis par les heures passées devant un écran. Lorsque celui-ci se leva pour lui laisser sa place, il remarqua la mollesse de son corps, l’amorce d’un enveloppement progressif mais inéluctable, les prémices d’un embonpoint disgracieux. Abel ferma les yeux et formula un vœu.
  
« Vous n’avez jamais pensé à faire un peu de sport ? » demanda Abel
     
« Comme si j’avais le temps… C’est l’hôpital qui se fout de la charité… Vous ne brillez pas non plus par votre carrure d’athlète » répliqua son interlocuteur vexé.
  
Abel en convint aisément.
 
« Je viens de m’inscrire à un cours de gymnastique. Je vous assure qu’en quelques temps séances, je me sens déjà beaucoup mieux. Vous devriez en faire autant » mentit effrontément Abel.
      
« Et bien, si vous suivez mes cours avec assiduité, pourquoi pas ? Un peu d’exercice, oui dans le fond, pourquoi pas… et cela nous donnera une occasion de nous revoir, de vous conseiller dans le choix d’un ordinateur par exemple, car vous me paraissez particulièrement doué  » mentit à son tour monsieur Rambeau.
          
Et c’est ainsi que sur deux mensonges, un pacte fut scellé.  
  
 
           

à suivre.... 


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23 novembre 2007 5 23 /11 /novembre /2007 16:26



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Le calendrier de l’Avent
 
Contes et nouvelles

(17)  Où le gros rouge qui tâche crée des liens sincères et motivés


D’humeur mi-figue mi-raisin, Abel arpentait de long en large les quelques mètres carrés de son salon. Il avait de multiples raisons de se perdre en conjectures, de passer par des moments d’euphorie puis de replonger dans une disposition d’esprit maussade. Une chose était certaine. Pour la première fois depuis de longues années, la solitude lui pesait. La présence de Filou et de Myrtille, bien loin de combler son besoin de compagnie, avivait le cruel manque d’une femme à ses côtés. Par ailleurs, il se reprochait de glisser peu à peu dans la certitude qu’avec l’aide du calendrier, il lui devenait possible de changer le cours du destin. La confidence de Louise-Charlotte l’avait ébranlé et lorsque l’enfant avait cessé de hurler, un sentiment de puissance l’avait sournoisement envahi.
   
En y réfléchissant attentivement, en dehors de la disparition de la cécité du fox, tous les événements qui s’étaient passés depuis l’achat du calendrier pouvaient s’expliquer de façon rationnelle. La manie qu’il prenait à surveiller le cotonéaster, à guetter dans le cadre l’apparition d’une photo, lui parut néanmoins inquiétante. La crainte de venir fou ou pour le moins paranoïaque, le rongeait en dépit de toute la lucidité avec laquelle il s’appliquait point par point à garder le contrôle de ses sentiments et de son intellect. Le cœur chargé d’émotions contradictoires, il s’appliqua pourtant à préparer en ce dimanche matin la gamelle de Filou et le repas de Myrtille avec tout le soin nécessaire. 
 
Les vinyles jonchaient toujours la table basse du salon. Il en prit un au hasard et le déposa sur la platine. Assis dans son fauteuil, la voix éraillée de Buddy Boy Hawkins égrena son « Snatch it Back Blues » au contrepoint rigoureux. Le vieux blues de La Nouvelle Orléans, Chicago et Memphis apaisa ses tourments. Il repassa plusieurs fois « Number Three Blues » une composition sur deux accords dont il ne se laissait jamais. Filou qui manifestement ne partageait pas ses goûts musicaux se réfugia dans la chambre pour épargner à ses oreilles le son pincé d’un banjo. L’enregistrement et la voix grattaient, c'en était trop pour l’animal. A la dixième écoute, Abel décida de changer d’occupation.
         
Décontracté par l’intermède musical, il envisagea avec confiance le moment de sacrifier au rituel du calendrier. Le chiffre quinze l’attendait entre le quatre déjà ouvert et le vingt trois encore énigmatique.
 
« Nous n’en revenons pas! Nous avons craint un instant une forme de lassitude. Il est vrai que cette période de l’Avent est longue et met les nerfs à vif. Pourtant la vocation du Calendrier est d’apprendre à son heureux possesseur le charme incomparable de l’attente. Il semblerait que vous ayez les dispositions requises. Nous en sommes enchantés. En ce quinze décembre de froidure, nous aimerions que vos pensées se dirigent vers une personne démunie. Que votre vœu la protège et que l’engelure ne la guette ! Nos chaudes amitiés. Le Calendrier. »
     
Abel jeta un coup d’œil au thermomètre de la fenêtre. Onze degrés, pas de quoi s’inquiéter, mais le jeu de yo-yo du mercure était devenu au fil des années inévitable. Les spécialistes de la météo s’arrachaient les cheveux et invoquaient le réchauffement de la planète : une chute brutale de dix degrés devenait chose courante. Le chargé des affaires sociales au Conseil municipal avait été formel : la ville était prospère et ne comptait pas d’indigents. Abel se souvint d’un endroit où enfant, il allait avec d’autres galopins, traîner ses guêtres, jouer à des guerres enfantines et fumer en cachette des « Boyard maïs » piqués au grand-père. Il s’agissait d’un terrain vague, non loin de La Louve où les gens du voyage aimaient poser leurs roulottes. A sa connaissance, le lieu, proche de la forêt de la Dame blanche, était resté en l’état et avait résisté à tous les plans successifs d’urbanisation plus ou moins sauvages. S’il y avait un coin où l’on venait se réfugier lorsque le sort vous était contraire, c’était bien celui-là.
      
Il alla chercher un grand sac à anses dans le débarras, puis ouvrit sa penderie à la recherche de vieilles couvertures et de vêtements. Abel était conservateur et soigneux, deux qualités qui ce jour-là s’avérèrent précieuses. Lorsque le sac fut plein de pull-overs et d’écharpes tricotés par madame Beaujour, de paires de chaussettes de ski et de parkas, il choisit une couverture en poils de chameau et laine Mérinos rangée au fond d’un placard. Satisfait de son tri, Abel s’apprêtait à enfiler son pardessus et à appeler Filou pour se mettre en route, lorsqu’un doute lui traversa l’esprit. Le type des vêtements, leur taille et leur pointure correspondaient à un homme. Il n’avait pas envisagé un seul instant que l’indigent, s’il en existait un dans sa bonne ville, puisse être une femme. Il se ravisa, sortit un second sac et ouvrit la penderie de madame Beaujour. C’était toujours un crève-cœur que de retrouver toutes ces ultimes traces de l’existence de son épouse. Au fil du temps, ces modestes habits avaient pris un caractère sacré. La gorge nouée, il sortit quelques vieux manteaux qui recelaient encore les fragrances de « Joy », son parfum préféré. Il remplit le deuxième sac moins rapidement que le premier.
       
La laisse de Filou glissée au poignet droit, chaque main empoignant un lourd tribu à la détresse, le bonhomme entama le long trajet à pied qui le conduisait vers le terrain de jeux de son enfance. Une heure après, entrecoupée de multiples petits arrêts pour soulager ses bras ankylosés, Abel longeait enfin une petite parcelle du bois de la Dame blanche et distingua au loin l’espace abandonné. La perspective de ce terre-plein de mauvaises herbes aux saveurs de sa prime adolescence lui redonna du courage et la force de poursuivre son chemin.
         
Il détacha Filou qui courut en tous sens, flairant par-ci, par-là, l’odeur sauvage d’un lapin de garenne qui avait au pied d’un vieux hêtre creusé l’entrée d’un terrier. Le petit fox disparut quelques instants sous le couvert du bois, puis se mit à aboyer avec vigueur alertant le vieil homme qui fit halte. Comme Filou continuait à donner de la voix, Abel s’approcha et découvrit un sentier s’enfonçant sous la voûte de grandes branches dénudées d’un bosquet de noisetiers. Il se guida au son des aboiements. L’odeur d’un petit feu de bois vint enfin caresser ses narines. Caché derrière des branchages solidement attachés par de la grosse ficelle de chanvre, un abri de fortune renforcé par des morceaux de carton semblait abriter une présence humaine. Filou grondait et barrait l’entrée de ce havre de fortune.
         
« Il y a quelqu’un ? »Demanda le bonhomme en renforçant sa voix.
 
« Pour sûr, qu’y a quelqu’un » Répondit une forme floue tapie au fond de l’abri.
 
« Je vous dérange peut-être ? » Insista Abel.
 
« Ben, c’est pas que vous dérangez. Mais, scusez-moi de pas vous faire entrer, j’ai pas fait le ménage… J’ai encore l’argenterie à nettoyer »
 
L’ironie du propos fit sourire Abel.
     
« Je me demandais… Enfin, voilà… j’ai rangé des affaires et j’ai trouvé quelques vêtements d’hiver qui pourraient vous être utiles. Je vous les laisse devant la porte… A vous de voir, si cela peut faire votre bonheur… »
 
« Ben si vous attachez vot’ chien et qui cesse de m’aboyer après, j’veux bien tout’de suite y jeter un coup d’œil »
     
Abel rappela Filou et le prit en laisse. Un homme, autant que l’on pouvait juger du sexe de l’amas de guenilles qui s’extirpa gauchement de la hutte bricolée, fit une apparition titubante et adressa à Abel un sourire franc. Il était difficile de lui donner un âge, mais le regard était vif en dépit d’un faciès aux joues émaciées, aux cernes creuses et au teint cireux. L’homme examina l’intérieur des sacs et siffla d’étonnement.
 
« Monseigneur est trop bon ! De vraies nippes de bourgeois… rien que du beau linge »
      
Abel repensa aux travaux d’aiguilles à tricoter de sa femme et se demanda un court instant si l’autre se moquait de lui. 
 
« Z’avez cinq minutes ? Allez... entrez, on va se fêter ça avec un p’tit gorgeon »
   
Deux heures et quatre verres de piquette plus tard, Abel quitta René en lui promettant de repasser bientôt. Des dizaines de vœux s’accumulaient dans sa tête, et le chemin du retour lui sembla trop court pour trouver le bon.
 
  
 
           

à suivre.... 


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21 novembre 2007 3 21 /11 /novembre /2007 16:45


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles

(16)  Où l'on découvre que certains enfants n'aiment pas le Père Noël


Un sifflement strident réveilla Abel. Il mit quelques secondes à rassembler ses esprits, tendit l’oreille mais un silence ouaté régnait à nouveau dans la chambre. Il jeta un coup d’œil au réveil : cinq heures du matin. Filou dressé sur ses pattes, les oreilles aux aguets semblait inquiet. Il n’avait donc pas rêvé. Il se leva les yeux gonflés de sommeil et ouvrit lentement la porte de la salle de bains. Dans l’obscurité, il crut discerner la silhouette endormie de Myrtille. Rien ne lui parut anormal. Il referma avec soin la porte et alla se recoucher. Les yeux clos, il cherchait des images, le fil d’une histoire à se raconter pour regagner le pays des songes. Hélas, le réveil brutal avait mis ses sens en alerte et son cerveau n’arrivait pas à se concentrer. Il s’agita de gauche à droite dans le lit, tira sur les draps, retapa son oreiller, s’étira, essaya une position fœtale, le tout en vain. Peu à peu, ses yeux s’habituèrent à l’obscurité et détaillèrent des formes familières qui dans la pénombre de la pièce prenaient des allures étranges, éveillaient des craintes enfouies.
 
Le souffle régulier de Filou l’avertit qu’un être au moins dans la chambre, avait retrouvé la voie du sommeil. Abel s’accrocha à une unique pensée : On était samedi et dans quelques heures il reverrait Louise-Charlotte. La paix revint dans son âme et lorsque la figure accorte de la crémière émergea de son esprit, il replongea avec volupté dans un rêve plein de promesses et de douceur. 
        
Lorsqu’il ouvrit pour la seconde fois un œil, il constata avec satisfaction qu’une petite minute le séparait du déclenchement de la sonnerie du réveil. Il l’éteignit du plat de la main, pressé de prendre une douche fraîche et de rendre visite à sa nouvelle locataire. Dans sa cage Myrtille immobile, l’observa faire couler l’eau et ne détourna pas la tête lorsque nu comme un ver, il se glissa sous le jet. Le mainate l’épiait dans chacun de ses gestes, mais restait parfaitement muet. Abel vérifia qu’elle ne manquait de rien, rajouta juste un peu d’eau claire dans une coupelle, puis sacrifia au rite habituel de l’ouverture du calendrier.
             
 « Cher calendrierophile nous sommes heureux de vous retrouver. Ce quatorze décembre notre consigne s’attachera à délivrer une personne d’une phobie. Nous pensons que le choix est suffisamment étendu et que la tâche vous sera légère puisque nous en avons recensé plus de cinq cents. Votre choix devra cependant correspondre aux critères habituels de sincérité et de motivation du Calendrier. Ouvrez les yeux et soyez perspicace. Le Calendrier »
            
Abel songea à sa propre épouse qui cédait à la panique dès qu’elle devait monter dans un ascenseur. Madame Beaujour aurait préféré grimper les deux étages de la Tour Eiffel à pied plutôt que de voir les portes de l’élévateur se refermer sur elle. Oui, mais voilà, il était trop tard pour qu’elle put bénéficier de ce vœu. Il pensa à Gontran qui sans l’ombre d’un doute développait depuis des années une Beaujourophobie, mais Monsieur le Maire avait déjà eu droit à un vœu. Deux, ce serait trop d’honneur à lui faire.
           
Il avait la journée devant lui pour trouver la bonne personne et sa rencontre avec Louise-Charlotte ne devait souffrir d’aucun retard. Le thermomètre affichait huit degrés, un redoux bien agréable après ces derniers jours glacés. De la douceur il y en avait aussi dans la brise légère qui caressa ses joues quand il prit vers dix heures le chemin du marché. La neige avait disparu des toits, un soleil généreux dardait ses rayons sur la petite foule qui se pressait autour des stands, passait commande de chapons, dindes et autres volailles. Le marchand de marrons grillés ne faisait pas recette et le vendeur de sapins tourna la tête pour ne pas croiser le regard de celui qui lui avait fait manquer une vente le samedi précédent. Dans sa liste de courses, Abel avait ajouté quelques kiwis et bananes aux pommes reinettes qu’il achetait d’ordinaire afin de varier les repas de Myrtille.
   
Il commença son tour de marché par les fruits et légumes, traîna devant l’étal du boucher, admira l’œil vif d’un turbot fraîchement pêché et se décida pour de dodues coquilles Saint-Jacques. Une petite visite au vendeur sénégalais s’imposait aussi. Il eut beau le chercher aux quatre coins du marché, force fut de constater que le fier Wolof avait quitté les lieux. Abel n’en fut qu’à moitié surpris et en conçut plus de joie que d’amertume. L’étal de Louise-Charlotte était pris d’assaut par une meute de clients auxquels elle faisait déguster de menus morceaux de Maroilles sur des languettes de pain de campagne tandis que son apprenti versait de petits verres d’un cidre de pays offert par le caviste de la place Saint Pierre. Elle portait autour du cou le collier
aux perles de rocaille et graines d’açaï qu’Abel avait choisi pour elle parmi les bimbeloteries de Malik. Quoique assaillie de toutes parts, dès qu’elle aperçut le vieil homme, d’un signe de la tête, elle l’invita à la rejoindre au Petit Café.
        
A peine furent-ils assis à leur table habituelle que le serveur vint les trouver avec une mine de conspirateur.
« J’ai une petite merveille à vous faire découvrir. Elle n’est pas encore à la carte, mais si vous me le permettez, je vous recommande notre nouveau café : Un huehue tenango du Guatemala. Un pur moment de plaisir, puissant et fruité… Vous m’en direz des nouvelles… »
       
Abel et Louise-Charlotte acquiescèrent d’emblée. Dès qu’il fut parti, Louise-Charlotte bombarda son compagnon de questions sur les vœux de la semaine. Abel se fit une gourmandise de lui narrer chacune des consignes du calendrier ainsi que leurs suites. De son côté, elle lui confia qu’elle était au courant de l’illumination du dimanche et de la réédition des oeuvres de Démère, tout un chacun dans la ville y était allé de son commentaire le matin même sur le marché. Puis elle se révolta à l’idée qu’une enfant ait eu à subir des sévices et ses yeux s’embuèrent de larmes à l’évocation de la lettre d’Abel à son petit-fils. Elle se rasséréna en découvrant que Filou n’aurait plus à souffrir de ses rhumatismes, explosa de joie en apprenant qu’il avait entre temps recouvré la vue, fut prise d’un fou-rire en imaginant Abel aux prises avec un cancre et versa des larmes de joie sur Myrtille. Ils en oublièrent leur café qui tiédissait sur la table. Les rires et les larmes avaient creusé de grands sillages dans leurs deux visages. Ils se contemplèrent un long moment et se sourirent tendrement. Avant qu’Abel n’aborde le sujet du vœu du jour, Louise-Charlotte se pencha vers lui et l’index sur la bouche en signe de secret lui confia une nouvelle.
     
« Notre ami Malik doit bientôt repartir au sénégal. A vous monsieur Beaujour je peux bien vous le dire… Le loto, c’est lui… Il est venu me le dire chez moi, il y a deux jours. Je lui ai payé son billet de train pour Paris. C’est là qu’il va recevoir le chèque puis repartir vers son pays. Je lui ai promis le secret mais il m’a autorisé à vous mettre dans la confidence car depuis que vous lui avez acheté ce collier, il a senti sa vie changer… Il m’a laissé pour vous ces noix de Kola et ce Khat à boire en tisane et il a ajouté : vous lui direz, l’eau chaude n’oublie pas qu’elle a été froide, c’est ce que mon père me disait. »
        
Louise-Charlotte tendit à Abel un paquet semblable à celui ayant enveloppé le collier de graines d’où une forte odeur de khat s’échappait. Abel en huma le parfum avec délice puis à son tour confia à son amie la dernière consigne du calendrier. Elle hocha la tête mais s’avoua impuissante à l’aider.
               
Il était temps pour elle de rejoindre son apprenti et ils quittèrent à regret Le Petit Café aux boissons exotiques. Au détour du stand d’un vendeur de sacs, un Père Noël en tenue traditionnelle, portant chausses et hotte embrassait des enfants pendant que des parents armés d’appareils numériques immortalisaient la scène. Une maman non loin de là, tentait d’attirer vers l’homme en rouge et à la barbe blanche un petit bout de cinq ans qui se débattait et hurlait de terreur. Plus la mère insistait, plus elle tirait sur les bras de l’enfant, plus celui-ci s’arqueboutait et redoublait ses cris suraigus.
     
Abel saisit la main de Louise-Charlotte et l’enchaînant dans son regard lui murmura :
  
« Avez-vous entendu parlé de paternalaphobie, Louise-Charlotte ? La phobie du Père Noël ? Fermez les yeux avec moi et essayons de soulager ce petit. »
               
Les mains liées dans une même communion, ils formulèrent le vœu. Leurs doigts se délièrent dans le calme brouhaha du marché. 
  
 
           

à suivre.... 


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20 novembre 2007 2 20 /11 /novembre /2007 16:10


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles

(15)  Où la voix du calendrier est impénétrable


Abel n’était pas "totalement" superstitieux. Un vendredi treize n’augurait rien qui puisse le mettre de bonne ou de mauvaise humeur, tant que la vie ne lui démontrerait pas le contraire. La révélation d’un Filou ayant recouvré la vue avait suffi à faire son bonheur. Sa nature prosaïque lui avait cependant commandé de téléphoner au vétérinaire qui suivait le chien depuis sa naissance. L’assistante avait dû se faire prier pour prendre le fox en urgence ce vendredi et avait fixé un rendez-vous sur le coup de onze heures. Abel voulait en avoir le cœur net. Seul un spécialiste pouvait vérifier la qualité de la vue de l’animal et apporter une explication rationnelle.
 
Il passa de longs moments après sa toilette à jouer avec le chien pour s’assurer qu’il n’avait pas rêvé. Filou fit des prodiges d’adresse et démontra s’il en était encore besoin que sa vision était tout aussi acérée que celle d’un grand Tétras. Le résultat de ces bonds et voltiges aériennes signèrent la fin d’un vase en cristal de Bohême que madame Beaujour avait reçu en cadeau de mariage d’une tante alsacienne. La perte de l’objet ne déclencha pas d’affliction particulière, Abel n’ayant jamais aimé sa forme tarabiscotée et ses couleurs criardes. Il se demanda cependant, vendredi treize oblige, si casser du cristal, tout comme casser du verre blanc, était annonciateur de bonheur. La journée lui apporterait sans aucun doute une réponse à cette question existentielle. Ils petit-déjeunèrent avec entrain et la découverte de l’épaisse couche de neige tombée pendant la nuit sur les toits des demeures voisines n’inquiéta Abel que modérément. Il ouvrit la fenêtre de la cuisine, chassa du revers de la main les flocons qui s’étaient accumulés sur les branches du cotonéaster, souffla sur les feuilles comme s’il voulait les sortir de leur torpeur. La plante était beaucoup plus résistante qu’il ne l’avait supposé. Empli de pensées positives, il appela Filou pour l’ouverture du réceptacle treize.
 
« Bonjour, bonjour ! Il y a quinze ans notre pâtre Wilfrid Moreau créait ce beau cantique :  Les anges dans nos campagnes, ont entonné l'hymne des cieux, et l'écho de nos montagnes redit ce chant mélodieux.Cherchons tous l'heureux village qui l'a vu naître sous ses toits. Offrons-lui le doux hommage, de nos cœurs et de nos voix. Bergers quittez vos retraites, unissez-vous à leur concert, et que vos tendres musettes fassent retentir les airs. Le Calendrier serait bien aise que cette douce chansonnette soit portée d’une voix claire par un être muet. Sur ce, le Calendrier vous souhaite un chœur accordé. »
   
« Ben, allons donc, faire chanter un muet ! Pourquoi pas faire marcher un paraplégique? » Ironisa Abel.
          
Le texte du cantique de Noël lui rappelait des souvenirs. Le cagibi renfermait quatre caisses de vieux trente trois tours, abrités de la poussière mais qui n’avaient plus délivré leur musique depuis la perte de madame Beaujour. Abel qui s’était passionné jeune homme pour le blues et le jazz, détenait entre autres bijoux, une collection complète du label Yazoo à faire baver d’envie tous les amateurs de bluegrass. De son côté madame Beaujour aux goûts musicaux très éclectiques n’avait jamais résisté à l’attrait du musette, de l’orgue, de Tino Rossi et des chants traditionnels. Abel était convaincu que parmi tous les cantiques de Noël accumulés avec tendresse par son épouse, Moreau avait une place de choix. Il sortit donc les cartons, les ouvrit dans le salon et chercha la perle rare. Son espoir ne fut pas déçu. Entre des enregistrements des Noëls de Daquin et de Dandrieu, un vieux vinyle des « anges dans le ciel » de Moreau figurait en bonne place. Il n’avait plus le temps de l’écouter mais se promit de le faire en revenant de son rendez-vous.
        
Un mélange de sable et de sel avait été épandu sur les chaussées et les trottoirs de la ville. Une bouillie jaunâtre s’était formée suite au passage des voitures, aux allées et venues des piétons. C’est crotté jusqu’à mi-bottes qu’Abel franchit le seuil de la clinique vétérinaire. La salle d’attente était bondée et il eut des difficultés à trouver une chaise libre. Coincé entre une matrone serrant contre son opulente poitrine un minuscule Chihuahua et une jeune fille couvant des yeux deux caisses à chats, il prit son mal en patience. L’heure du rendez-vous n’avait été que de pure forme et il dut patienter trois quarts d’heure avant que le Docteur Labrusse ne l’appelle.
 
Lorsque Abel déposa Filou sur la table d’examen, le chien tremblait de tous ses membres. Il avait beau proférer des paroles réconfortantes, rien ne calmait son angoisse. Haletant, la langue pendante, l’animal tressautait comme un malheureux atteint de la danse de Saint Guy. Il fallut une extrême patience ainsi qu’une grande expérience au vétérinaire pour examiner les yeux. Au terme de l’auscultation, le praticien hocha la tête.
 
« Je n’y comprends rien… Ce chien a des yeux de jeune chiot. C’est stupéfiant ! Et en plus vous me dites qu’il gambade sans problème? »
  
« Tout à fait » répondit Abel. « C’est venu peu à peu, mais il ne boite pratiquement plus. »
 
« Vous lui donnez ses médicaments ? »
 
« Scrupuleusement, Docteur. Deux le matin et deux le soir. »
 
« Comment cela ? Vous lui donnez quatre comprimés d’anti-inflammatoires par jour ! Vous voulez lui bousiller l’estomac? »
 
Abel vexé, sortit de la poche de son manteau la liste de recommandations laissée par le maître de Filou.
 
« Tenez ! Regardez par vous-même..  Deux le matin, deux le soir… »
 
Le vétérinaire lut la feuille et éclata de rire.
    
« C’est marqué un demi le matin et un demi le soir. J’avoue que le un et la barre de fraction sont à peine visibles, mais pourtant c’est cela qui est écrit. »
  
Abel, confus, reprit la liste et dût convenir que le vétérinaire avait raison. Il avait dans sa méprise quadruplé la dose. Que Filou ne ressente plus ses douleurs n’avait rien d’étonnant ! Pendant que le Docteur Labrusse réexaminait le fond des yeux du petit fox, un sifflement rauque résonna dans la pièce. Abel s’en inquiéta.
   
« Oh! ce n’est rien, c’est Myrtille… Une femelle mainate que j’ai récupérée depuis que son propriétaire est entré en maison de retraite »
« La pauvre bête s’ennuie ici. Elle a perdu la voix, s’alimente à peine» ajouta le vétérinaire d’un ton chagrin.
« Elle ne parle pas ? » Interrogea Abel. 
« Elle ne parle plus, ne chante plus. Mademoiselle est devenue muette… Il faut dire également que sa cage est bien trop petite et que je n’ai pas le temps de m’en occuper. De plus, elle déteste mon assistante et perd ses plumes jour après jour » 
    
Une petite voix dans la tête d’Abel se fit entendre : « Non mon vieux… Ca va comme cela. Tu as déjà récupéré un chien, tu ne vas pas t’encombrer maintenant d’un oiseau ! » Mais il s’agissait d’une petite voix, d’une très petite voix.
   
« Pensez-vous que je pourrai la prendre en garde quelques temps. Juste ce qu’il faut pour qu’elle retrouve et son plumage et sa voix ? » S’entendit-il dire malgré lui.
       
Le vétérinaire n’allait pas laisser passer une aussi belle occasion. Il poussa la sollicitude jusqu’à proposer au bonhomme l’aide de son assistante pour transporter l’oiseau en cage, lui offrit gracieusement deux paquets de nourriture spéciale, l’assura de sa totale disponibilité pour lui prodiguer les conseils adéquats et lui consentit une remise sur son tarif habituel.
      
Abel savait à l’avance où nicherait Myrtille. Il fallait à la belle déplumée un endroit clair et ensoleillé. Il fallait à Abel un endroit facile à nettoyer. Le vétérinaire avait été précis et n’avait pas caché que l’oiseau adorait disséminer tout azimut sa nourriture hors de sa cage. La salle de bains disposait d’une exposition plein sud et d’une desserte désertée des parfums et poudres de riz de madame Beaujour qui ferait un excellent reposoir. 
      
Lorsque l’installation fut finie, Abel songea au cantique de Noël. Il souleva le couvercle de sa vieille chaîne stéréo, vérifia le diamant de la platine et posa le bras sur la petite surface lisse séparant les morceaux, en prenant soin de monter le volume du son assez fort pour que l’oiseau l’entende. Des les premières mesures, il ferma les yeux et émit son vœu. Dans la salle de bains, le bec orangé se glissa sous une aile et vaincue par l’émotion, Myrtille rêva de sa lointaine forêt indonésienne. 
 
   
 
 
           

à suivre.... 


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18 novembre 2007 7 18 /11 /novembre /2007 14:30


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles

(14)  Où la roue de la fortune tourne dans le bon sens
 
Ce jeudi allait marquer les débuts d’Abel Beaujour dans la carrière de précepteur à domicile.D’Aristote à Zénon d'Elée, de Fénelon à d’Alembert le métier s’enorgueillait d’assez de beaux esprits, de penseurs illustres pour qu’Abel n’ait point à en rougir. Il songea que ces hommes brillants n’avaient pas tous eu la chance d’avoir des élèves de qualité et que l’abbé Guénée avait bien failli en perdre son latin à tenter d’élever la pensée du jeune Duc de Berry en son temps. Il avait fait vœu de patience et de sens pédagogique; au calendrier de lui prouver maintenant qu’il méritait sa confiance.
        
Contrairement au rituel établi depuis douze jours, il décida de commencer sa journée par la sortie matinale de Filou et de remettre à plus tard la découverte du douzième vœu. Le thermomètre extérieur et de perfides douleurs dans les articulations annonçaient en effet l’arrivée prochaine de la neige. Il ne souhaitait pas devoir promener le chien sous les bourrasques, risquer de glisser sur la fine pellicule blanche traîtresse, se casser un membre quelques jours avant Noël. Chaudement vêtu, coiffé et ganté, il opta pour un trajet court lui permettant de faire au mieux quelques achats de nourriture et de laisser suffisamment de temps au petit fox pour dégourdir ses membres et satisfaire à ses besoins naturels. Un tour par la rue Grande et la place Saint Pierre serait largement suffisant.
       
Les décorations de Noël accrochées aux lampadaires, les guirlandes lumineuses, les boules multicolores, le faux givre appliqué à la bombe sur les vitrines des boutiques, les Pères Noëls animés à l’étalage, conféraient aux rues du centre ville un petit air cosy qui lui seyait à merveille. On avait élevé sur le terre-plein un sapin gigantesque lourdement chargé de faux paquets cadeaux, de nœuds rouges et d’ampoules clignotantes multicolores. Le pub café-tabac Saint-Pierre était en pleine effervescence. Le patron, un homme râblé, à la face rubiconde et au poil raide, collait une grande banderole sur la vitrine de son établissement. Abel s’approcha pour la lire. On y annonçait en lettres tricolores que la somme mirobolante d’un million huit soixante cinq mille cent trente euros avait été gagnée au second tirage du loto de la veille.
        
Les commentaires allaient bon train autour de l’affiche et Abel se mêla aux badauds et aux habitués du café pour fêter l’événement. L’heureux gagnant ne s’était pas encore manifesté, et les discussions s'animaient pour essayer de deviner son identité. Des paris fusaient de toutes parts. Les rêves les plus fous s’exprimaient sans retenue. D’un côté les adeptes du « tout claquer » apostrophaient les partisans du « tout placer ». Les uns évoquaient les largesses dont ils seraient capables, d’autres se gaussaient et se mettaient en tête de la liste des éventuels bénéficiaires de ces dons. Une grande majorité avouait qu’à l’instar du joueur de grilles, ils éviteraient de se faire connaître. Quelques-uns  enfin se voyaient déjà donnant leur démission. Abel s’amusait à l’écoute de ces propos, partageait l’excitation ambiante et bénéficia d’une tournée générale offerte par le patron. Des cacahouètes circulèrent ainsi que de grosses olives vertes. Le petit blanc sec finit par faire tourner les têtes. Abel sentit qu’il était temps de prendre congé. Au moment où il quittait le bar, le tenancier goguenard l’interpella familièrement :
        
« Et toi Abel, t’as pas ta p’tite idée, de qui que ce serait ? »
 
Abel n’avait pas de petite idée mais il avait fait un vœu quelques jours plutôt et c’était bien plus important.
     
« Pas la moindre… Je souhaite pourtant que ce soit quelqu’un qui en ait réellement besoin »
      
« Pour sûr, que ce serait bien… » conclut fort philosophiquement le patron. 
     
De fins flocons zébraient le ciel plombé d’épais nuages et de vifs coups de vent glacés agitaient les cadeaux factices de l’arbre de Noël. Abel, pressa le pas, soucieux de rentrer. La décision fut prise au bon moment car lorsqu’il ouvrit la porte de sa maison de lourds et drus flocons de neige s’abattaient sur la ville.
          
Il sortit le calendrier de son tiroir et chercha son cutter pour découper le chiffre douze.
        
«  Cher ami… Permettez au Calendrier d’employer ce qualificatif et pardonnez-lui cette soudaine familiarité. Vous voici à la moitié du chemin qui vous mène aux réjouissances de Noël. Nous sommes comblés par votre soin à ne pas nous décevoir. C’est la raison pour laquelle, nous vous autorisons exceptionnellement à compléter votre premier vœu. Cette consigne ne se renouvellera pas, hors erreur d’impression de l’un de nos messages. Soyez assuré, cher ami, de notre entière considération. Le Calendrier. »
         
Abel avait lu à haute voix et Filou parut avoir compris le sens du message. Il en gémissait de plaisir. Il vint lécher la main du vieil homme et attendit qu’il ferme les yeux. De fait, Abel avait constaté que depuis trois à quatre jours le chien donnait moins de signes de faiblesses au niveau de l’arrière-train. Il lui avait administré ses médicaments avec scrupule et en avait conclu que le propriétaire de Filou s’était sans doute montré sur ce point plus négligent. Renforcer l’ordonnance par un nouveau vœu le remplissait de bonheur. Filou était devenu partie intégrante de sa vie et il ne négligerait rien pour le confort de la bête. C’est donc le sourire aux lèvres qu’il formula le vœu.
        
Le déjeuner fut savouré avec le cœur en fête et le Saint-Marcellin partagé comme il se devait en deux parties égales. La neige ayant cessé de tomber vers quatre heures, Abel pensa qu’il était prudent de se mettre en route afin de récupérer son élève à la sortie de l’école. Il trouva le jeune Cédric en pleine bagarre de boules de neige dans le préau de l’école. Le gamin ne mit guère d’empressement à le rejoindre, traîna pour ramasser son cartable, retourna trois fois bombarder un de ses camarades pendant qu’Abel et Filou faisaient les cents pas. Le trajet jusqu’au domicile se fit en silence et la silhouette courbée de l’enfant, la tête rentrée dans les épaules en disait long sur sa motivation. Loin de s’en inquiéter, l’apprenti précepteur essaya une fois rentré de réchauffer l’ambiance, prépara un bol de chocolat chaud et lui offrit des gâteaux au chocolat. De son côté, l’adepte de la technique dite « du poids mort » fit durer le plaisir en buvant à petites gorgées jusqu’à ce que le chocolat fut froid, chipota sur les gâteaux, en réclama de nouveau lorsque Abel l’invita à le rejoindre dans la salle à manger. Il eut également une envie pressante au moment fatidique d’ouvrir son cartable. Au bout d’une bonne demi-heure de simagrées, il accepta enfin de s’asseoir.
        
Abel ouvrit le cahier de textes et comprit l’ampleur du désastre. Entre des tâches d’encre et des bavures dignes du test de Rorschach, des lignes entières au bic rouge, ponctuées de points d’exclamation, de soulignés trois fois en composaient la majeure attraction. Sans l’intervention de la maîtresse, Abel aurait été bien en peine de prendre connaissance des devoirs en souffrance. Il n’était cependant pas au bout de sa peine. Lorsqu’il réclama le livre de mathématiques pour effectuer les exercices deux, quatre et cinq de la page vingt-sept, force fut de constater que le manuel manquait à l’appel. Le scénario se répéta pour la leçon d’Histoire. En réalité le cartable de Cédric ne contenait en dehors du cahier de textes, qu’une trousse tâchée d’encre, un cahier de français aux pages cornées, des photocopies d’exercices pliées en sept, deux mots d’excuses datant d’un mois, une ardoise effaçable non effacée, un chiffon aux couleurs chamarrées et le reste d’un petit beurre réduit en miettes.
           
Aux diverses questions d’Abel, le charmant minot répondait invariablement : « J’sais pas.. ». Pendant qu’Abel feuilletait d’un air perplexe le cahier de français à la recherche d’exercices recopiés, Cédric penché sous la table jouait avec Filou qui lui avait apporté sa balle en caoutchouc. 
   
« Qu’est-ce tu fais ? » Demanda Abel que l’énervement gagnait.
 
« Je joue avec votre chien… » 
  
« Laisse-le petit. C’est un vieux chien, perclus de rhumatismes et aveugle. Sois gentil, laisse-le en paix » gronda Abel.
  
« Ben, pour un aveugle, il voit vachement bien votre chien… Allez attrape… »
         
Cédric lança la balle qui ricocha sur le mur du salon, rebondit et fut rattrapée au vol par un Filou en grande forme. Abel se leva d’un bond et se précipita sur l’animal. Il lui prit la tête, examina les yeux. Au fond des pupilles de Filou, se reflétait l’image d’un vieil homme au regard d’enfant. 
 
   
 
 
           

à suivre.... 


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16 novembre 2007 5 16 /11 /novembre /2007 17:12


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles

(13)  Où l'on constate que les souvenirs peuvent faire autant de mal que de bien

 
La saveur d’un mercredi… Abel ne s’en lassait pas. Ce goût de grasse mâtinée, ce sentiment d’avoir une journée bien à soi, oubliés pendant toutes ses années de labeur lui avaient été rendus dès sa retraite. Bien plus que le dimanche, jour où madame Beaujour faisait cuire un inévitable poulet accompagné de pommes de terre sautées, jour où l’on recevait à déjeuner soit la famille soit les amis, le mercredi avait le fumet d’une journée volée, d’une journée offerte à la paresse, à la rêverie et aux jeux, la douceur d’une confiture de groseille sur une tartine beurrée. Ce mercredi onze décembre n’échapperait pas à la règle, Abel en avait décidé ainsi.
       
Il s’autorisa donc une heure supplémentaire au lit, prit un des livres de poésie de Paul Démère qu’il feuilleta en murmurant pour lui-même les passages les plus exquis. Ce poète avait décidément un bougre de talent et de l’humour aussi. Il serait bien resté dans sa couche, deux oreillers calés sous la tête si la promenade du chien n’était devenue une nécessité. Il s’extirpa à regret des draps, laissa la douche finir de réveiller son corps endormi et prépara son petit déjeuner en s’autorisant deux tendres madeleines au frais parfum citronné. Un rapide coup d’œil au cotonéaster lui confirma ce qu’il savait déjà : la plante elle aussi se reposait. Une léthargie bienfaisante régnait dans la maison et même Filou se décrochait la mâchoire à force de bailler. Les nouvelles du jour s’accordaient à l’ambiance : le journal local consacrait sa une aux préparatifs de Noël et la page des faits divers était réduite de moitié. Il sortit le calendrier du tiroir de la bibliothèque et repéra, à sa symétrie dorée, le chiffre du jour sans difficulté.  
        
« Le Calendrier est heureux de vous retrouver et vous espère en excellente santé. Votre fidélité nous honore. Ce onze décembre nous vous demandons de réaliser le vœu d’un enfant qui vous est cher. En allant au devant de sa demande vous pourrez, et seulement à cette condition première, lui souhaiter un vœu qui le remplisse de bonheur. Que cet échange de vœux soit bien pensé et motivé. A demain, si vous le voulez bien. Le Calendrier. »
        
Abel garda dans ses mains le petit rouleau de papier, le relut deux fois puis le remit dans l’habitacle. En allant ranger le calendrier, il passa près du cadre vide et constata avec étonnement qu’il était légèrement déplacé et plus incliné que d’ordinaire. Il le remit d’équerre. Un doute lui traversa soudain l’esprit. Le fond de velours gris avait pris une légère patine et des marbrures aux courbes emmêlées se dessinaient sous la vitre. Il approcha le cadre de la fenêtre du salon pour vérifier à la lumière du jour, s’il s’agissait de marques de moisissure ou de fines poussières qui s’y seraient déposées. L’inspection minutieuse qui s’en suivit, ne décela ni humidité, ni poussière. Il songea alors que les rayons du soleil, voire ceux de la lune avaient décoloré une partie de la sous-face et dessiné ces étranges arabesques. Il replaça après une ultime vérification le cadre sur l’étagère de la bibliothèque, recula de deux pas, faillit écraser une patte de Filou qui le suivait comme son ombre et se dit qu’il devrait surveiller cela de près.
              
La consigne du calendrier l’avait troublé. Il n’y avait pas trente six enfants chers à son cœur. Dès la lecture du message, le souvenir d’un tout petit bébé s’était imposé dans son esprit : Son petit-fils qu’il n’avait vu qu’une fois, le jour où sa fille était revenue à leur domicile, reprendre quelques affaires, dont la fameuse photo. L’image se forma d’un superbe bébé potelé, dodu à croquer, les yeux ronds et noirs comme deux boutons de bottines riant aux éclats lorsqu’il s’était penché pour l’embrasser. Comment savoir ce que ce bébé devenu un enfant de dix ans pouvait souhaiter ?
       
Abel n’avait aucune idée des désirs des enfants de la génération de son petit-fils. Il vivait en quasi autarcie dans un monde d’adultes, éloigné des jeux de nos chères têtes blondes, des tocades passagères de ces pré-pubères, de leurs futiles centres d’intérêt. Le peu qu’il en savait lui était distillé par son poste de télévision et par les journaux qu’il lisait. Que pouvait donc bien souhaiter son petit-enfant ? Le meilleur moyen de le savoir était bien sûr de lui poser directement la question. Mais poser la question, c’était justement là où résidait le problème. Si sa propre fille s’était murée dans le silence, de son côté, Abel n’avait guère fait d’efforts pour essayer de la contacter. Quelques cartes d’anniversaires, quelques coups de téléphone qui terminaient sur un répondeur, une ou deux lettres qui étaient restées sans réponse. De fait, il n’avait jamais vraiment cherché à éclaircir les raisons de cette brouille familiale. Il n’avait jamais cherché ou osé. Renouer le contact, ne serait pas chose facile.
               
Il sortit un bloc de papier à lettres, un stylo Waterman, s’installa confortablement à son bureau et ébaucha le début d’une missive. S’il n’eut aucune difficulté pour inscrire la date, sa main se figea dès l’en-tête.
            
« Mon cher petit » faisait un peu condescendant. Il froissa la feuille et en prit une autre. « Cher sylvain,... » Vraiment trop solennel et impersonnel. La seconde feuille alla rejoindre la première au fond du papier. « Mon cher petit Sylvain… » Voilà qui sonnait juste. Il resta de longues minutes, la plume au ciel, hésita, puis ses doigts coururent sur le papier avec fébrilité. Au fur et à mesure qu’il écrivait une envie irrésistible de tenir cet enfant dans les bras le submergea. Au terme de deux longues pages, il signa « Ton grand-père ». Il hésita, voulut rajouter « qui t’aime » mais comment après un aussi long silence pouvait-il déverser sur cet enfant ignoré un amour si encombrant ?
        
 Il se relut et constata que tout ce qu’il avait écrit tournait autour de son sentiment de manque, de la honte, du regret de ne pas avoir été plus présent, plus inquiet de ce que l’enfant devenait. Abel parlait de lui. Et même sous les questions qu’il adressait à son petit-fils c’était encore sur lui-même qu’il s’apitoyait. Il se saisit de la feuille, la déchira et la jeta dans le panier. Qu’il lui était difficile de trouver la manière simple et juste qui donnerait à l’enfant l’envie de le connaître !
            
Il pensa alors à son propre grand-père, aux parties de pêche à la ligne sur les rives de la Louve, la rivière qui longeait le jardin maraîcher de ses grands-parents. Il le revit la main sur le cœur, la tête bravant le plafond de leur humble demeure, la voix emplie de trémolos déclamer le discours que Jaurès prononça cinq jours avant son assassinat. Il se remémora la matinée où ils délivrèrent ensemble près du champ du père Bernard un jeune renardeau pris dans un piège à collets et à arrêtoirs. Surgirent alors de sa mémoire, les mille et unes inventions d’Emile pour lui faire avaler la cuillère d’huile de foie de morue censée lui apporter force et croissance, les ruses grosses comme des ficelles pour piquer les chocolats noirs à la liqueur de Kirsch que sa grand-mère, la bonne Mireille conservait avec soin en prévision des jours de fête. Assailli de souvenirs, Abel prit une nouvelle page blanche et entreprit de les lui raconter.
           
Il noircit ainsi des pages et des pages comme si tout ce qu’il avait conservé dans son cœur de moments précieux, n’avait attendu que cette occasion pour s’écouler dans un flot d’encre. Lorsqu’il arriva à la fin de la lettre, il signa « Le grand-père que j’aurais aimé être ».
            
Il rédigea l’enveloppe, colla deux timbres qu’il choisit dans sa toute dernière collection. Il irait la déposer à la Poste, pour être sûr qu’elle partirait le jour même. Filou qui ne s’était jusque là pas encore manifesté aboya d’impatience en voyant Abel se lever, enfiler son pardessus et ajuster son chapeau feutre. Le seuil de la porte était recouvert d’une fine pellicule de givre. Précautionneusement le vieil homme et le chien s’aventurèrent dans les rues glissantes de la ville. A hauteur de la boulangerie Abel attacha Filou à un crochet de fer fixé à l’angle de la devanture. Il ressortit quelques instants plus tard un gros paquet de papier blanc à la main.
 
Le chien flaira le sac et se mit à japper.
                    
« Plus tard Filou, attends un peu… Je nous ai acheté quelques friandises. Pour moi des roudoudous et pour toi des rubans de guimauve. C’est mercredi, on a le droit de se faire plaisir, non ? » Déclara Abel, un carambar entre les dents.   
 
 
           

à suivre.... 


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