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  • : Ecritures à la loupe
  • : Présenter des écritures manuscrites d'écrivains célèbres avec une étude graphologique, des comptines pour enfants, l'un de mes romans et beaucoup de mes coups de coeur, voilà l'objectif de ce blog. J'espère que vous vous y sentirez également chez vous...
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Mes romans

histoire

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1 juillet 2012 7 01 /07 /juillet /2012 10:36

 

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Gamers

 

(7 et 8)

 

 

Lorsque Gary réapparut en milieu de journée dans la salle d’entraînement, Larry l’accueillit par une bordée d’injures et des demandes d’explications qui restèrent sans réponse. Il ne décolérait pas. Déjà un peu plus tôt, en voyant revenir Gladys bredouille, il s’était emporté et avait menacé l’équipe de sanctions financières. AMD ne pouvait continuer, selon lui, à entretenir des joueurs incapables de sang-froid et qui, au moindre prétexte se comportaient comme des gamins. Gladys avait tu l’épisode de l’XO et supporté sans broncher les reproches. Peter, choqué par les propos du sponsor, avait quant à lui, tenté de voler à son secours, ce qui avait fini d’exaspérer Larry qui lui reprocha son arrogance et lui intima de se taire. Depuis, le clan avait tacitement adopté un profil bas.  

Les parties reprirent, mais le cœur n’y était pas. Seul Lowyfun, qui était resté imperturbable pendant les coups de gueule de Larry, montrait un certain enthousiasme. Il profita du manque de motivation du reste de l’équipe pour marquer un nombre de points remarquable et remporter en solo des parties.  

- Moi, gagner quand autres dormir… asséna- t-il à la fin d’un match. 

La remarque, en temps normal, aurait soulevé des répliques cinglantes, mais elle ne recueillit du clan qu’une indifférence muette. Encéphalogrammes à plat, fonctions neurovégétatives en berne, le team n’était plus qu’un ramassis d’épaves, un anachronique et buté troupeau d’aurochs en voie de disparition. Même Peter, peu coutumier du fait, montrait de nouvelles et étonnantes aptitudes à multiplier les bévues, donnait des consignes ineptes à ses co-équipiers, les conduisant inexorablement à l’échec.  

Le coach commençait à s’énerver. Larry lui avait vanté les mérites individuels de chaque joueur et il contemplait, abasourdi, une bande de béotiens, de débutants maladroits. Il lui fallait remonter le moral de la troupe, leur insuffler l’envie de gagner le plus vite possible. 

- Bon, on marque une pause... Il va falloir tout reprendre à zéro. J’ai foi en vous. J’ai suivi le parcours de chacun et croyez-moi, vous formez une équipe de choc qui a toutes les chances de remporter le tournoi. Il nous reste quelques jours pour que chacun trouve sa place en dépit du fait regrettable que l’un d’entre vous ne participera pas au challenge final. D’ici là, je veux que vous vous serriez les coudes et vous vous éclatiez les tripes. Pas de loosers ici et pas question non plus de se laisser ensevelir sous des tonnes de non-dits. Chacun sera libre de me parler en toute franchise. Nous sommes à deux doigts d’une victoire, alors ne laissons pas passer cette chance. Votre chance ! Vous êtes des joueurs d’élite, des guerriers, pas une bande de bachi-bouzouks ou de mercenaires…

- Moi, pas bachi-bouzouk, moi ancien aide de camp Alexandre Loukachenko, grandissime chef armée biélorusse… s’indigna Anton, le visage empourpré. Si Lowifun être Bachi-bouzouk, lui quitter équipe sur le pré !

Max se retint à grand peine de rire et constata avec plaisir que la tirade d’Anton avait eu pour effet de détendre l’atmosphère.

- Sur le champ, Anton… pas sur le pré. Gary avait raison, il va falloir que je travaille avec toi ton anglais et il est hors de question que tu nous quittes, nous avons besoin de tes talents. Tu es un super joueur ! Peut-être le meilleur que j’ai eu à coacher ! Et je suis sûr que tout le monde dans cette salle est de mon avis… J’ai raison, n’est-ce pas ?

Peter, Gary, John et Gladys sortirent de leur bouderie respective pour acquiescer avec un maximum de conviction. Max sentit qu’il venait de leur faire franchir un pas. Il décida de livrer une information décisive.

- Par ailleurs, j’ai contacté Franck Burneys, un journaliste d’Xbox, le premier magazine de jeux vidéos aux States. Il est d’accord pour faire un reportage sur vous et sera là dans trois jours, juste avant le début du tournoi. Film vidéo, interviews, photos, vous serez à la une. Les nouvelles stars des pro gamers ! Alors pas d’entourloupe, sinon, gare au retour de manivelle. On compte sur vous !

Un frisson parcourut l’assemblée. Faire la une d’Xbox, ils en avaient tous rêvé…

Gary se prit la tête entre les mains et laissa échapper un soupir.

- Ça n’a pas l’air de le réjouir… murmura John à l’attention de Gladys.

- Ouais, bizarre, enfin peut-être pas… De toute manière, je vais vous laisser vous entraîner avec Lowifun… je déclare forfait sur Call of Duty et me concentre à partir de maintenant sur Starcraft… pas question de passer à côté…

- Tu vas pas faire ça Gladys !

- J’vais me gêner…


***


Contrairement à ce qu’elle avait secrètement redouté, Gladys n’eut pas besoin d’insister pour obtenir l’accord de Larry. Elle allait pouvoir dans les jours à venir se consacrer entièrement à Starcraft et avait même réussi à négocier avec l’armoire à glace, quelques heures d’entrainement en compagnie de Max. Le sponsor avait sans doute déjà caressé le rêve de voir une fille remporter un tournoi de la MLG et évalué les retombées financières d’un événement qui ferait illico le buzz sur la toile. Entre la pub dans le magazine et une possible victoire de Gladys en solo, il avait fait ses comptes et s’estimait gagnant sur tous les fronts. En revanche, Peter fut nettement plus réticent. Il avait le sentiment désagréable que son rôle de leader rétrécissait comme une peau de chagrin, entamé par la présence d’un coach directif et les velléités d’indépendance de Gladys. Il essaya de la faire revenir sur sa décision mais se heurta à un mur et à l’absence totale de soutien de la part de John et Gary. Autant faire avaler une brassée d’avoine à des lions affamés par des mois de disette. Devant tant d’obstination, il abandonna tout espoir de la faire changer d’avis.

Max, désormais assuré de l’entière coopération des joueurs établit un planning précis des séances pour le reste de la semaine qui se résumait à douze heures d’entraînements intensifs journaliers. Au fur et à mesure que les journées défilaient, un semblant d’harmonie gagna le clan. La tension entre Gary et Anton s’estompa peu à peu et à la fin de chaque match les acronymes type « G.G »* pleuvaient sur les claviers. Les doigts crépitaient sur les touches et les ordres fusaient sans discontinuité. Au terme du quatrième jour toute l’équipe était épuisée mais satisfaite. On était jeudi soir et le lendemain les séances seraient allégées pour laisser au journaliste d’Xbox du temps pour interviewer l’équipe. À vingt heures, Max suggéra une coupure et proposa d’aller dîner dans le quartier de Little Italy. Il proposa une fois, deux fois, trois fois…Scotchés aux consoles les joueurs l’ignoraient. Larry leva les yeux au ciel et les mains en signe d’impuissance.

-  J’ai un vaisseau-mère en perdition… pas le moment de lâcher… grogna Gladys.

-  Alors combien de sandwichs au pastrami et combien de canettes de coca ? hurla Max.

Des chiffres fusèrent en désordre, dans un brouhaha étourdissant. Le coach fit semblant de prendre des notes et composa le numéro du room-service sur le téléphone de la salle de réunion. Au moment où il raccrochait Anton leva vers lui un visage impavide pour préciser :

- Avec malossols, sandwich pastrami… puis il replongea son regard bleu acier dans l’enfer de Black Ops.

À vingt trois heures pétantes, Larry décida d’arrêter l’entraînement. Ses joueurs avaient des têtes de zombies et la moitié des sandwichs gisaient oubliés et encore intactes sur un plateau en métal argenté. Il décapsula une canette de coca qui émit un pschitt caractéristique, son qui miraculeusement ramena le team à la vie réelle. On s’étira, bailla, fit craquer ses jointures, puis chacun émit des suggestions pour améliorer la technique. Ultime séance de débriefing avant de regagner les chambres. 

Une demi-heure plus tard dans la chambre 905, Gladys repassait dans sa tête les quelques erreurs qu’elle avait commises à l’entraînement. Impossible de dormir… Des armées de Zergs agressifs se profilaient derrière ses paupières dès qu’elle fermait les yeux. Elle quitta la chaleur ouatée du lit pour enfiler un jean et un T-shirt propre. Ce n’était pas le demi-sandwich avalé en début de soirée qui l’avait rassasiée. Elle avait faim et soif et le besoin irrépressible de côtoyer des êtres humains dépourvus de tentacules. Le bar de l’hôtel restait ouvert tard dans la nuit et en insistant un peu elle pourrait sans doute se faire servir du poulet froid, voire un hamburger. En sortant de sa chambre, elle crut reconnaître au fond du couloir John qui frappait à la porte de Gary, une console de jeux sous le bras. Son premier réflexe fut de le héler mais s’ils se retrouvaient à une heure du matin pour jouer à Call of Duty, elle perdrait non seulement son temps mais également de précieuses heures de sommeil. Elle opta pour une attitude discrète, longea le corridor, se faufila dans l’ascenseur et s’abandonna quelques instants aux accords lascifs d’un Lundu brésilien-andalou.

À peine avait-elle franchi la porte du bar, que deux hommes la dévisageaient avec l’insistance des mecs un peu ivres, en mal de chair fraîche. Elle ne répondit pas à leurs sourires lubriques et à leurs œillades torves. Elle commanda directement une Bud au barman avant de chercher des yeux une table à l’écart. C’est en explorant la pièce qu’elle reconnut au dessus d’un col d’une blancheur fluorescente une nuque à la coupe parfaite en grande discussion avec le sponsor de l’équipe d’Intel. Son sang se figea, sa respiration se fit courte et le mot « DANGER » s’imprima en lettres capitales rouges dans son cerveau. En butte à l’un de ces accès de synesthésie qui l’accompagnaient depuis sa tendre enfance, elle sentit, au sens littéral du terme, l’odeur du danger brûler ses narines… Le gars d’Intel l’avait aperçue et l’invitait à les rejoindre. Elle hésita, puis d’une démarche un poil trop raide, se dirigea, les sens en alerte, vers leur table.


* G.G : acronyme de “good game”

 

(à suivre...)
 

 

 


 


 

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21 juin 2012 4 21 /06 /juin /2012 11:19

 

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Gamers

 

(5 et 6)

 

 

À treize heures pétantes, ils se retrouvèrent tous les quatre devant la porte de la salle Lincoln, réservée par leur sponsor. Leur chemin venait de croiser le team au logo bleu d’Intel qui résidait dans le même hôtel. Peter et Gary connaissaient plusieurs des joueurs de l’équipe et les saluèrent amicalement. Echange de tapes dans le dos, sourires complices… Gary s’attarda assez longtemps avec le responsable du clan adverse qui, le prenant par l’épaule, l’emmena à l’écart du groupe et lui parla à voix basse. John était resté en retrait, muré dans sa timidité, quant à Gladys, elle avait essuyé son lot de plaisanteries habituelles. Rôdée, elle avait ignoré les remarques, juste esquissé un haussement d’épaules et avait rejoint John adossé au mur du couloir. 

- T’en as pas marre de ces réflexions idiotes ? demanda John. 

- Pffff, si ça les amuse… En réalité, ça ne me fait ni chaud, ni froid étant donné que j’ai latté la plupart d’entre eux ces six derniers mois. D’ailleurs, je trouve qu’ils sont un peu moins agressifs qu’avant et il y en a même un qui m’a souhaité bonne chance. Le petit brun là… ajouta t-elle en désignant du doigt l’un des joueurs de l’équipe adverse. Faut dire aussi que je l’ai éjecté d’un championnat, dès le premier tour. C’est le meilleur moyen de se faire respecter, tu crois pas ? Qu’est-ce qu’il fout Gary avec le gars d’Intel ? Tu savais qu’ils se connaissaient ? Moi, pas... Bon, mais qu’est-ce qu’on attend ? Je commence à avoir de sacrées démangeaisons dans les doigts… On s’entraîne ou on tchatte ? 

Peter fut le premier à les rejoindre, suivi d’un Gary à la mine pensive. La salle étant fermée à clé, ils prirent d’abord leur mal en patience, mais commençaient à pester contre le manque de ponctualité de leur sponsor lorsque la porte de l’ascenseur s’ouvrit sur la puissante silhouette de Larry, encadrée par deux hommes. Gary eut vite fait de mettre un nom sur l’un d’entre eux.  

- Le petit mec rondouillard, c’est Lowifun… 

- Arf, le travelo… ironisa Gladys. 

Le « travelo » arborait un sourire figé à la Poutine et poussa la ressemblance jusqu’à broyer les mains qui se tendaient lorsque Larry fit les présentations. 

- Je vous présente également Max Goldwin, notre homme réseau et votre coach cette semaine. Max a décortiqué une bonne centaine de tournois et vous sera d’un précieux soutien tant sur le plan technique que stratégique. Pour la petite histoire, sachez qu’il a travaillé deux ans chez Valve Corporation et est l’un des concepteurs de Counter-Strike. J’ai eu du mal à le convaincre de les quitter pour venir nous rejoindre… C’est un lion ce type ! heu… référence à son nom… hé les gars… Goldwin… Goldwyn Mayer… ha ! ha ! ha !... 

La vanne fit un bide. Nullement décontenancé par la froideur de l’accueil, Larry continua à rire seul de sa blague, sortit de sa poche la clé de la salle, ouvrit la porte puis fit entrer les joueurs et le coach. La pièce avait été équipée pour l’occasion des nouvelles consoles promises par Larry, toutes reliées en réseau et de grandes banderoles aux couleurs d’AMD décoraient les murs, épargnant à peine un portrait de mauvaise facture du Président Lincoln. Les casques top-secret encore emballés sous leur film plastique étaient déposés bien en évidence à côté des consoles.

L’équipe avait hâte de tester le nouveau matériel. Ils se précipitèrent chacun devant une console sans prêter la moindre attention aux explications techniques d’un Max, soudain galvanisé par l’ambiance. 

Comme des fauves trop longtemps privés de casse-dalle, ils entamèrent, la rage au ventre, un match à mort en lan-party. Un quart d’heure plus tard, éclata le premier clash. Gary arracha son casque-audio et le jeta au sol.

- Merde ! J’entrave rien Lowifun ! Articule mec ! Tes seins te sont remontés dans la gorge ? Pas possible ce mec… ou t’apprends l’anglais ou je me tire…t’écoutes rien… on te dit « on encercle » et là tu pars en rush*, on te dit « surveille le radar » et tu ne vois même pas l’ennemi planqué derrière la citerne…et puis ça lague à donf… ce putain de réseau lague…pas la peine de faire venir un gourou de l’informatique pour un merdier pareil…Comment voulez-vous jouer dans ces conditions ? Là, j’en ai ma claque…

Avant que Larry puisse intervenir, joignant le geste à la parole, Gary se leva d’un bond, renversa sa chaise et sortit de la salle en claquant la porte. Pour un joueur au sang-froid légendaire, le coup d’éclat laissa le reste de l’équipe abasourdie. Le réseau fonctionnait à merveille. Incompréhension totale. Gladys interrogea du regard Peter qui acquiesça d’un hochement de tête.

- J’y vais… continuer à vous entraîner… je vous le ramène…

Elle semblait sûre de son fait.

*Rush : style de jeu basé sur le mouvement agressif, ou harcèlement.


***


Les appels sur le portable de Gary finissaient inexorablement au fin fond de la messagerie vocale. Gladys laissa un message sibyllin, longea le couloir et regagna par l’escalier le hall de l’hôtel. Elle repéra dans le casier 927 le pass de la chambre de Gary et en déduisit qu’il venait de quitter précipitamment l’hôtel. Mais où donc était-il parti ? Sans se faire trop d’illusions, elle s’approcha du comptoir et demanda au réceptionniste s’il avait vu Gary et si celui-ci lui avait indiqué le lieu où il se rendait.

- Désolé Miss, Mister Logfieldt ne m’a rien dit, juste confié son pass. Je l’ai simplement vu quitter l’hôtel et se diriger vers la droite… vraiment désolé…

Avant même que le gars en uniforme de pingouin n’ait fini sa phrase, elle se ruait vers la sortie dans l’espoir d’entrapercevoir son ami. La fraîcheur humide de l’air la saisit dès qu’elle fut dans la rue. Elle ne portait sur elle que deux T-shirts superposés, un jean et des tennis élimés sans chaussettes. Elle repéra à gauche de l’hôtel une file de taxis et supposa que si Gary avait pris la direction opposée, c’était pour se rendre à pied quelque part, ce qui augmentait d’autant ses chances de le retrouver. Oubliant la brise glacée qui piquait à vif son visage et son cou dénudé, elle partit à petites foulées dans la Gaspee street, jouxtant les jardins du State House de Rhodes Island. En forçant l’allure elle crut reconnaître, cent mètres plus avant, le blouson bleu marine d’un Gary qui avançait d’un pas décidé. Elle hésita à l’appeler. Son envie de le rejoindre pour le convaincre de regagner l’hôtel cédait peu à peu la place à la curiosité. La silhouette disparut dans une rue à hauteur d’un parking. La peur de perdre la trace de Gary libéra une décharge d’adrénaline dans le sang de Gladys. Mixture explosive de frayeur et de rage…

« Toi, mon gars, je commence à t’avoir dans le collimateur… Si tu nous prépares un coup fourré, compte sur moi pour te cadrer maousse sévère. Cinq années de jujitsu, ça laisse des traces… pas besoin de gros bras pour une dérouillée, ni d’hommes de main pour une bastonnade… une chiquenaude d’Ovocyte et te voilà hémiplégique pour le restant de tes jours… Embaumé « Le Scolopendre », avant d’avoir dit ouf ! »

Elle oublia le froid et la chair de poule pour se lancer à sa poursuite. Il réapparut brièvement pour de nouveau tourner à droite. Gladys commençait à ressentir un point de côté quand elle arriva au croisement. Elle s’arrêta pile à l’angle de North Main Street et de Park Row. Le souffle court, elle s’avança prudemment pour repérer Gary. La rue était droite, longue et déserte. Une vague de déception la submergea et elle faillit rebrousser chemin convaincue d’avoir échoué. C’est le grincement d’une enseigne en métal découpé qui attira son attention. Sur le trottoir opposé, de petites maisons en brique de deux étages abritaient des restaurants et cafés à demi-cachés par les frondaisons désolées de maigres tilleuls. Tous arboraient des pancartes à l’ancienne et celle qui couinait au vent appartenait à l’XO café. Les nerfs à vif, comme poussée par une intuition subite, Gladys traversa la rue et se glissa sous l’auvent de l’établissement. Accolée au rebord d’une fenêtre à petits carreaux séparés par des meneaux peints d’un rouge sombre, elle hasarda un coup d’œil à l’intérieur et repéra sans trop de peine Gary en compagnie d’un homme en costume noir, accoudé au bar.

 « Le scolopendre » avait l’air très excité et agitait les bras sous l’œil désapprobateur de la barmaid. L’inconnu, dont Gladys ne voyait qu’un dos massif et une nuque à la coupe de cheveu irréprochable, entraîna Gary vers une table au fond du café. Lorsqu’ils s’assirent, Gary tourna machinalement la tête en direction de la fenêtre. Gladys crut un instant qu’il l’avait reconnue. Elle se rejeta d’un mouvement brusque dans l’encoignure de la porte heurtant violemment un jeune homme à la longue chevelure bouclée qui s’apprêtait à entrer dans le café. Elle allait lui présenter ses excuses lorsque le bellâtre entonna la main sur le cœur :


« Que ce bras si charmant qui m’enfonçât les côtes,

Soit béni d’avoir éveillé en mon cœur la passion,

Ce coup de poing vengeur est un sans-faute

Et suggère qu’ici même nous nous enlacions… »


Un barjo, un toxico ou peut-être les deux à la fois, c’était vraiment sa chance ! Gladys le fusilla du regard, puis en guise d’excuse et de remerciement, lui balança un « fuck off », fort peu enamouré. L’incident aurait dû en rester là, mais le poète n’apprécia pas la réponse. Il haussa le ton, attirant l’attention des clients de l’XO. Craignant d’être découverte, Gladys s’éloigna rapidement du café pour rejoindre l’hôtel, plus que jamais décidée à surveiller Gary et lui tirer les vers du nez.

 

(à suivre...)
 

 

 


 


 

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11 juin 2012 1 11 /06 /juin /2012 10:17

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GAMERS

 

(3 et 4)

 

 

En entrant dans le lobby de l’hôtel Renaissance, Peter eut le choc de son existence : bizarre sentiment de déjà-vu… paramnésie foudroyante… Le lieu ressemblait à s’y méprendre au hall du Mint dans son film culte « Las Vegas Parano ». Lorsqu’il repéra à côté de la pancarte de leur sponsor AMD, la chevelure hirsute et la moustache de Larry Springer, plus aucun doute : Maître Gonzo les attendait, un cocktail fluo à la main. Il fixa la moquette et s’attendit à ce que les volutes criardes se mettent à onduler et s’enrouler en un vortex infernal. Il n’avait pourtant pas touché à un gramme de mescaline, n’était pas plus sous l’emprise du LSD que du coca light sous celle du saccharose. Une prise de sang sauvage n’aurait détecté aucune substance à la licéité douteuse, ni de carence en globules rouges. Il était clean… parfaitement clean… et pourtant il transpirait. 

Un tonitruant « Hi ! » le ramena sur terre. Un quintal de muscles californiens venait de s’effondrer sur son poitrail. Quelques gouttes du cocktail irradièrent son t-shirt immaculé. Il tira la gueule. La mode des « hugs » commençait à le rendre dingue. 

- Alors, en forme… Master ? 

Décidemment le gars lui cassait les burettes… Son rang de 226ième joueur mondial ne lui valait pas le titre de Master et Larry le savait pertinemment. Même IdrA1 n’était que 142ième au hit-parade de Starcraft2, les sud-coréens raflant les meilleures places.

-  Au top ! mentit Peter tout en se dégageant de l’étreinte de l’armoire à glace.

Larry alla se vautrer dans les bras de Gary et de John, gardant Gladys pour la bonne bouche. Il fallut un discret coup de genou de la pétroleuse de service dans l’entrejambes du sponsor pour que les effusions cessent.

- Bon, ce n’est pas tout cela, hoqueta-t-il tout en serrant les cuisses… j’ai avec moi les « pass » de vos chambres… et plein de cadeaux pour ma super équipe. Vous n’allez pas en croire vos mirettes… des nouveaux T-shirts, notre tout dernier écran graphique et… bande de petits veinards … le nec plus ultra des casque-micros sans fil dont je vous réserve la primeur… Et ce n’est pas tout ! On a décidé chez AMD de renforcer l’équipe. Nous avons signé un contrat avec l’ex biélorusse Lowifun… il arrive de L.A par l’avion de 12 heures… Juste le temps pour vous de prendre une douche… On se retrouve dans une heure dans la salle de conférences Lincoln, niveau-1… entraînement avec des petits sacs de sable… Allez, à plus les gagneurs!

La montagne bodybuildée leur faussa compagnie et se dirigea vers l’ascenseur en boitant comme un canard.

- C’est quoi cette histoire de Lowifun et de petits sacs de sable ? gronda Gladys

- Larry n’a pas confiance en moi… je le sais depuis toujours… S’ils font appel à Lowifun, c’est parce qu’ils ont les chocottes, peur que je craque… et les sacs de sable, tu te les attaches aux doigts pour renforcer tes muscles… tous les coréens font cela à l’entraînement… je croyais que tu le savais, murmura John.

Gladys se tut et considéra avec tendresse la mine déconfite du plus jeune de l’équipe. John, l’écorché vif, l’accidenté de la vie qui trompait une timidité maladive dans des jeux où il pouvait écouler son agressivité bridée par des années d’éducation mormone. John… lumineux, inspiré les jours de grande forme, mais également imprévisible, hésitant, jouant flou, capable de bousiller une partie sur un coup de tête.

- T’es l’artiste du groupe… c’est pour cela que tu nous es indispensable… t’inquiète, on est là…

Elle écarta la longue mèche de cheveux blonds zébrant le front du joueur et déposa un baiser furtif au sommet d’une pommette écarlate.


***


Leurs « pass » de chambre à la main, Peter et Gary ruminaient en silence. L’idée d’intégrer à l’équipe, quelques jours seulement avant la compétition, un joueur qu’ils ne connaissaient que de réputation, si flatteuse soit-elle, créait un véritable électrochoc. Il fallait du temps pour tisser des liens et établir un climat de confiance. En introduisant un nouveau quelques jours avant le tournoi, Larry foutait le bordel et déstabilisait le clan.

Peter, jouissant en tant que stratège du team d’un statut privilégié, les regards se portèrent naturellement sur lui en attente d’une réaction, voire d’une décision. Il leur désigna à l’écart du lobby une table ronde où trônait un énorme bouquet de réséda blanc aux efflorescences vert tendre. La petite troupe comprit le message et s’installa dans les profonds fauteuils de cuir noir à l’abri des oreilles indiscrètes. 

-  On est là pour remporter le tournoi de Call of Duty en équipe à quatre. Voilà des mois que l’on s’entraîne ensemble au risque de descendre chacun à tour de rôle dans le classement individuel. Même toi Gladys qui concours en solo dans Starcraft, tu as accepté de te perfectionner et aujourd’hui tu es une des plus solides de l’équipe. Ta promesse de te hisser au meilleur niveau, tu l’as tenue et nous te sommes tous reconnaissants d’avoir gommé de ton jeu certains réflexes… disons… un peu trop individualistes. John, tes cinq derniers matchs ont été exemplaires et toi Gary, tu sais ce que l’on pense de tes performances, pas besoin d’en remettre une couche… Si Larry nous colle entre les pattes Lowyfun pour remplacer l’un d’entre nous, il n’a pas précisé lequel. Il nous reste cinq jours pour tirer cela au clair. Pas le genre de Larry, de foutre de l’argent en l’air… Plutôt un rat quand il s'agit de sortir son fric… Donc, dans le doute, je vous propose de tester le gars dès cet après-midi. Il est fort, très fort, mais que va –t-il donner en équipe ? Si on arrive à le déstabiliser, le pousser à la faute, c’est peut-être lui qui déclarera forfait avant le début du tournoi. En tout cas, on va se battre pour défendre chacun notre place. Au fond c’est sans doute cela que cherche Larry : nous coller un max de pression pour que l’on se défonce. On garde notre calme, on jauge le type et au final s’il est le meilleur, on décidera ensemble celui ou celle d’entre nous qui quittera le clan pour lui laisser sa place. Larry n’aura rien à dire, je vous le promets…Inutile de préciser que je me sens concerné au même titre que toi Gary, toi John ou toi Gladys… Pour le moment on va se détendre, prendre une bonne douche et tester les nouveaux casques… D’accord ?

-  Lowyfun, ce n’est pas le pseudonyme d’Anton Marcovich ? demanda Gary.

- Je crois que oui… Pourquoi ?

-  Ben, c’est juste que j’ai vu une vidéo et que j’ai lu sur un forum un ou deux trucs sur lui… Côté vidéo, si vous arrivez à comprendre son anglais, moi j’y renonce… Pour communiquer, nous allons devoir inventer un nouveau pidgin ou un sabir biélo-américain ; côté forum il semblerait que le gars soit connu non seulement pour être un génie du « Killstreak »* mais aussi pour avoir subi une gynécomastie en arrivant il y a trois mois à L.A.

Gladys s’étrangla de rire sous les yeux effarés de John.

-  C’est quoi une gynécotasmie ?

-  … mastie, John… pas tasmie, répondit-elle, les yeux mouillés de larmes. Tu vois là, ajouta t-elle, en soulevant d’une main un minuscule sein, c’est pour un homme comme si je me faisais faire un implant de 95C… enfin non, c’est justement l’inverse… t’imagines ?

Elle s’écroula dans le fauteuil, secouée par des hoquets d’hilarité.

-  Lowyfun, un travelo ?

Ce fut au tour de Gary et de Peter d’éclater de rire.

- Non, pas vraiment… quoique… pouffa Peter. Anton, ce n’est pas le style troubadour un UZI à la main. Bon en gros, si je peux dire… le type avait des seins trop importants, un peu comme ceux d’une nana, enfin d’une vraie et aujourd’hui, couic ! il les a aussi développés qu’Ovocyte… c’est tout dire…

- Ha bon ! alors pour toi, sale macho, c’est la taille des seins qui fait qu’une fille est une VRAIE ? D’abord, c’est quoi ta définition d’une VRAIE fille… allez, crache le morceau !

Visage livide, traits crispés, Gladys était résolue à en découdre.

- On s’égare, on s’égare, les gars, intervint Gary qui mourait d’envie d’attaquer l’entraînement et détestait les discussions stériles. Je vous offre une tournée de « Bud » et ensuite on passe aux choses sérieuses… On teste le gars et s’il est bien tendre, on se le mange…

Ils avaient tous soif. Rien de tel qu’une tournée de bière pour ressouder l’équipe. Ils burent, plaisantèrent puis se dispersèrent pour gagner leurs chambres.


* Killstreak : une série d’éliminations d’ennemis dans le jeu Call of Duty

 

(à suivre...)
 

 

 


 


 

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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 10:20

 

 

 

dollars3

 

 

Gamers


 

(1 et 2)


 

- Bon, les gars, on a le choix… De Des Moines à Providence comptez 1324 miles, soit, si on opte pour un trajet en voiture, la bagatelle de 21 heures 35 à condition de respecter les limitations de vitesse, de ne pas s’arrêter pour faire le plein, manger des donuts et vider sa vessie… donc, vous connaissant, je table sur 24 heures minimum. Si on prend l’avion, au plus rapide, c’est cinq heures avec une escale à Détroit de 4h40, décollage 6:00am, arrivée 11:23am… Vous en pensez quoi ?  

Peter se cala dans son fauteuil en attendant une réponse.   Gladys que l’épithète « les gars » avait mise temporairement hors course considéra avec une attention méticuleuse ses ongles courts fraichement vernis et découvrit avec horreur un éclat au petit doigt. Habituée à bourlinguer de tournois en championnats, le moyen d’atteindre Providence, elle s’en foutait comme de son premier coït vaginal. Une seule chose la tenait sur un grill d’airain : battre IdrA1 à Starcraft2, le 20 novembre, au National Championship des gamers professionnels et seule la tactique pour atteindre son objectif faisait phosphorer ses méninges. Qu’une fille au pseudo provocateur d’Ovocyte007 gagne le championnat serait une révolution dans le cercle machiste de la Major League Gaming. Elle en salivait d’avance… se sentait d’attaque, prête à faire péter les scores et empocher le prix de 50 000 dollars. En parallèle, Peter, John et Gary étaient des spécialistes de Call of Duty, et Gladys ne les avaient rejoints que pour leur permettre de concourir à quatre dans ce tournoi. Leur sélection, ils la devaient essentiellement à Gary, l’un des meilleurs fragueurs au monde. Gary, dont le surnom « Le scolopendre » lui allait comme un colt 45 au poing du capitaine Foley, avait le profil type du gagneur: vorace, carnassier, mordant et rapide, froid, sans pitié, profitant sans vergogne du moindre faux pas de l’adversaire.  

- Hou !!… vous me soûlez là… Je vous rappelle que les frais de déplacement sont pour notre pomme… alors, on prend la tire ou on casse nos tirelires ?  

Gary leva enfin les yeux de sa PS3 et balbutia un « oui » interrogateur… 

- Oui… quoi ? hurla Peter. 

-  Ben, j’suis d’accord pour passer niveau 10 en mode zombie, même si je n’aime pas cela…  

Un soupir de découragement cueillit sa phrase au vol.

-  John… t’as suivi, toi !… alors, qu’est-ce que tu décides ?

  -  Comme tu veux Peter, no problem… Hé les gars ! j’viens de trouver le moyen de planter des vignes dans Minecraft en moins de cinq secondes… trop cool !

  Gary applaudit et hucha d’extase…

- Normal, gloussa Gladys... c’est un jeu pour débiles de moins de cinq ans…

Peter regarda consterné ses trois potes replonger le nez dans leurs écrans.

- Vous êtes des pros ou des mômes de maternelle ? 

- Des pros et des putain de gamers ! » répondit en chœur le trio.


***


Lorsque le vol UA 4231 amorça sa phase d’approche du Theodore Francis Green State Airport de Providence, une hôtesse campait depuis plusieurs minutes devant la rangée 32 de l’appareil. Le sourire crispé, elle jetait des regards anxieux vers sa chef de cabine. Quatre olibrius, limite autistes, restaient sourds à ses recommandations et refusaient d’éteindre leurs consoles de jeux.

La chef de cabine, Dorothy, ancienne reine de beauté du middle West, désormais au régime nuggets et à l’élégance boudinée dans le nouvel uniforme de la compagnie, bringuebala ses bourrelets en direction de sa consœur.

Arrivée à sa hauteur, elle repoussa l’hôtesse et roucoula, d’une voix de baryton à l’attention du groupe de gamers :

- Madame, Messieurs, veuillez, s’il vous plait, éteindre vos consoles, nous atterrissons dans cinq minutes… 

Peter fut le seul à daigner lever la tête, tout ébaubi par la vision d’une matrone à l’incroyable chevelure couleur colza et aux pupilles bleu maquereau: une réincarnation en chair et en os, surtout en chair, pensa t-il un brin vachard, de Dorothy Provine, la plus que pulpeuse interprète de seconds rôles dans les fifties.

- Dorothy ? LA Dorothy d’« Un Monde fou, fou, fou, fou… » s’étonna faussement Peter.

Elle marqua un temps d’hésitation, puis arrondit ses lèvres « botoxées » en une moue boudeuse qui faillit faire craquer les commissures. Un mince filet de salive chargé d’un rouge à lèvres qui ne la rendait pas totalement « iconic », glissa le long d’une ride profonde aux trois-quarts comblée par une épaisse couche de fond de teint.

- Juste le prénom en commun, minauda-t-elle, en exerçant sur ses zygomatiques une tension extrême. Je suis quand même beaucoup plus jeune ! Allez, soyez assez aimable pour éteindre votre console, la placer sous le siège et demander à vos amis d’en faire autant, ajouta-t-elle en pointant du doigt le reste de la rangée où Gary, John et Gladys continuaient à pianoter comme de grands malades.

- Hé, le génie ! débranche, on va atterrir ! 

Un violent coup de coude dans les côtes de Gary renforça le contenu du message.

- Merde, t’es chiant ! tu me fais rater un super combo…

Dorothy, qui s’impatientait dans la travée, bascula son opulente poitrine sur le blaze d’un Gary toujours fumasse puis rabattit, d’un geste sec, le capot de la Playstation. Des éclairs jaillirent des yeux du joueur aussi destructeurs qu’une rafale de M16. Un « hitmarker » clignota dans son cerveau… Dorothy était morte... Les traits enfin détendus, Gary rangea sa console.

L’incident eut l’intérêt de ramener le reste de l’équipe à la réalité autant qu’à la raison et l’atterrissage s’effectua dans un calme olympien.

Après avoir récupéré leurs bagages, les quatre amis se dirigèrent vers le panneau Hertz pour louer une voiture. Accoudée au comptoir, une grande silhouette dégingandée leur tournait le dos exhibant une calvitie en forme de tonsure au sommet d’un crâne ovoïde.

- Ce ne serait pas par hasard ton pote IdrA1 ? glissa Peter dans l’oreille de Gladys.

- Ce crâne d’œuf ? Ouais, on dirait bien…

Le crâne d’œuf avait l’oreille fine. Il pivota sur place et décocha à sa rivale un sourire moqueur.

- Ovocyte007 ! Toujours entourée de ses fidèles gardes du corps… Alors, gamine, on vient m’admirer au MLG… Tu t’es quand même pas mis dans ta petite caboche que tu pouvais rivaliser avec moi sur ce coup-là… Si ?... bon, écoute, laisse tomber cette chimère… tu passeras même pas le premier niveau… Tu ne veux pas être la risée d’un circuit de pros, hein petite ? Allez… sois mignonne… retourne dans ton bled et laisse les mecs faire leur boulot… ce sera, pour toi comme pour nous, un grand bol d’air, une vraie libération…Les meufs n’ont rien à foutre chez les « hardcore gamers ».

Gladys serra les poings à s’en faire blanchir les phalanges mais ne dit rien lorsqu’il la frôla d’un peu trop près pour rejoindre le parking.

- Je prends une Chevy Spark… ça te va Gladys ? lui demanda Peter sur un ton apaisant.

- Tu loues un cabriolet Camaro, Peter… un putain de cabriolet Camaro, Peter ! T’inquiète… je vais le laminer ce mec… je sens déjà l’odeur des billets verts… Il va aller griller direct en enfer le crâne d’œuf… « headshot » pour ce « bloody bastard… »

Elle pointa l’index à l’horizontale et tira en direction de son adversaire une balle imaginaire…

 

(à suivre...)
 

 

 

 


 


 

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17 mai 2012 4 17 /05 /mai /2012 09:50

 

 

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Sur les falaises de Tojimbo

 

 

 

Norio regardait fixement la mer engrossée par une houle mauvaise. Il tombait quelques gouttes de pluie et Norio pensa que cela était juste et bien. Il avait hésité à se rendre dans la forêt maudite d’Aokigahara pour y perdre le peu d’âme qu’il lui restait en réserve. Fermer les yeux, s’enfoncer à l’aveugle dans ce dédale végétal profond et obscur, l’idée l’avait effleuré, mais Norio préférait entendre le grondement des vagues, respirer le parfum  de la mousse aux accords de fougère, entendre les claquements de bec crépitants, et tremblotants des frégates.  Il redressa le buste, s’approcha au plus près du bord de la falaise. La mer aspirait son corps comme une tombe creusée à la va vite, un trou plongeant à même le néant pendant que l’écume godillait sur les crêtes comme autant de sourires vipérins. Tendant son visage au crachin, il exposa sa chair à « l’eau du dernier moment ».


- Ohayō gozaimasu…


Une main douce et ferme se posa sur son épaule. Un vieil homme se tenait à ses côtés qu’il n’avait ni vu, ni entendu arriver, le chuintement de ses semelles de crêpe absorbé par le lichen et la mousse.


- Je m’appelle Yukio Shige et vous ?


-Norio, je m’appelle Norio, Shige-san.


- Je ne vous demande pas ce que vous êtes venu faire ici, je l’ai compris dès que je vous ai vu, mais quel mauvais coup du sort a blessé à ce point votre honneur, Norio-san ? Après, je vous laisserai en paix, vous ferez ce que bon vous semble…


La paix songea Norio, voilà un terme qui avait perdu du sens. Se livrer à un inconnu, était-ce là l’ultime affront que la vie lui réservait ? Il hésita mais le vieillard lui souriait et la compassion irradiait son regard.  Il recula de quelques pas, s’assit sur un escarpement rocheux et accepta de parler une dernière fois de lui.

Lorsqu’il avait, deux ans auparavant, perdu son poste dans une petite compagnie aérienne qui avait fait faillite, il s’était retrouvé à la rue, incapable à 48 ans passés de retrouver un emploi, même précaire. Ses diplômes ne lui avaient servi à rien. Le seul poste proposé en deux années de recherches était celui d’apprenti homme de ménage chez Sumitomo. Descendre aussi bas dans l’échelle sociale était pour lui non seulement inacceptable mais inimaginable.  Après avoir erré longtemps dans le quartier de Sanya au nord de Tokyo, il avait fini par se lier d’amitié avec un groupe de sans-abri, des "homuresu" qui campaient sur des bâches bleues au coin d’une rue, eux aussi touchés de plein fouet par les licenciements. Les frères philippins de la mission de mère Theresa, leur servaient deux fois par semaine un repas chaud et des bols de thé vert gratuitement.  La nuit, ils déambulaient dans les  "Internet cafe refugees" où une salle leur était réservée, pour interroger les annonces et parfois dormir pour une poignée de yens et aussi choper des morpions dans les toilettes. Quand l’orage déversait ses pluies torrentielles sur la capitale, transformant les rues en piscine, ils s’abritaient sous des abribus, hagards et fuyant les regards interrogateurs. Au fond d’une poche rapiécée, Norio conservait son unique trésor, un ouvre-boîte en métal qui lui servait autant à rassasier sa faim qu’à défendre son inconsistante existence. Hélas, quelques jours auparavant, alors qu’il s’était évanoui de fatigue et de faim, on le lui avait volé et il avait alors cru comprendre que l’esprit des Kami, réclamait son dû. Les falaises de Tojimbo seraient gourmandes de sa maigre et insignifiante dépouille.

Le vieil homme avait écouté, les yeux plissés, cette histoire qui ressemblait à tant d’autres. Il avait tenté de secourir plus d’une centaine de fois depuis six mois en ce même endroit des postulants au suicide. Souvent avec succès mais parfois non. Qu’allait-il advenir de celui-ci ?

- Avez-vous pensé Norio-san, à vous porter volontaire pour déblayer les gravats des zones touchées par le tsunami et ce dans certaines endroits que l’on dit encore dangereux ? Si vous voulez mourir, faites-le en héros  et si vous en réchappez, vous aurez retrouvé votre honneur ! La vie, Norio-san, n’est qu’une bougie dans le vent… Je vous laisse y réfléchir…."O daiji ni, Dewa, mata"… Portez-vous bien… À plus tard…

- Dōmo arigatō gozaimasu, répondit faiblement Norio.
 

 

 

 


 


 

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26 avril 2012 4 26 /04 /avril /2012 14:32

 

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LIRE TUE !

 


« Le tribunal du Parlement de Paris, en ce 23 décembre de l’an 1552, a condamné, conformément aux dispositions de la novelle 134 de Justinien, et de l’authentique sed hodiè, dont on a retranché la peine du fouet, Marie Quatrelivres, femme de Louis Ruzé, lieutenant civil, pour crime d’adultère, à être fustigée pendant trois jours de vendredi, et à être ensuite enfermée dans un couvent, sauf à ce que son mari l’en retire dans le cours de deux années ; sinon qu’après ce temps, elle sera rasée, voilée et vêtue comme les autres religieuses et filles de la communauté, puis sera affectée à l’ouvroir, pour y rester le reste de sa vie et y vivre selon la règle de la maison ».  


Trois heures vingt du matin, à sa montre bracelet. Simon bailla et referma le poussiéreux Répertoire universel et raisonné de jurisprudence du Comte Philippe Antoine Merlin. Encore deux jours à potasser ce genre de traité et sa vocation de futur avocat risquerait fort de sentir le moisi. À quoi tout cela rimait-il ? On était en 2012 et le divorce existait, il en connaissait tous les ressorts ! Alors pourquoi perdre son temps dans les arcanes de l’adultère ? Un rapide examen de conscience  confirma ce qu’il savait déjà et n’osait pourtant s’avouer au grand jour. Simon adorait briller…CQFD… l’oral du CAPA serait l’occasion rêvée d’étaler sa science, d’en mettre plein la vue aux examinateurs. Il repoussa le livre au bord du bureau, s’étira en faisant craquer ses articulations puis se tourna vers la couche où le corps nu de Laure, reposait formant au creux du lit de multiples ellipses sensuelles. À même le sol, gisaient ses vêtements ainsi que la paire de boucles d’oreilles qu’il lui avait offerte le soir même : des pendeloques d’Agathe noire serties d’argent, cadeau d’anniversaire. Laure bougea dans son sommeil et lui offrit son sexe entrouvert à dévorer du regard.  Ses yeux goûtèrent chaque détour, contour, pourtour et s’attardèrent aux entours du mont moussu.  Si belle, si tentante, offerte, si totalement impudique dans l’éclat nacré d’une parfaite innocence.


Trop épuisé pour éprouver du désir, il la contempla comme on s’attarde parfois, désœuvré, sur un superbe objet de collection. La contemplation glissa sournoisement à l’interrogation. Etaient-ce les longues heures passées à feuilleter  les vingt-deux volumes du répertoire du Comte sur l’adultère qui avaient semé les graines empoisonnées de la suspicion dans son esprit, mais l’abandon de sa compagne, d’innocent lui parut soudain douteux et contrefait. Son imagination s’emballa et l’aimée se métamorphosa au gré de son esprit fiévreux en sulfureuse hétaïre.  Il se prit à lui imaginer de multiples liaisons, de plus en plus sordides.  Stupre, fornication, prostitution volontaire… Laure offrant son cul, son con, son berlingot luisant au premier venu dans une ruelle aux rigoles puant la déjection humaine. Laure suppliante,  gémissante mais consentante, sciée sous les coups de boutoir  d’un violeur anonyme.  Une sueur froide glissa le long de son échine… Il la regarda sans le moindre attendrissement. Il lui fallait la réveiller là, maintenant, la noyer de questions insidieuses, lui faire avouer ses crimes ! Bien entendu, elle nierait tout en bloc, s’emporterait… Elle aimait tellement mentir la sotte ! Brusquement la contrepèterie involontaire le ramena aux bords de la réalité. Il éclata d’un rire hystérique. Laure s’éveilla en sursaut, ouvrit les yeux et découvrit effarée Simon, les cheveux en bataille, le visage livide et barré d’un rire insane.


- Tin Simon….quelle heure est-il ? Simon, mon ange, t’es dingue !  Tu vas finir par tomber malade à force de bosser comme un forcené… Si tu te voyais ! T’as plus rien d’humain… tu me fais peur…


-  Allez, viens te coucher…  s’te plait… ajouta t-elle d’une voix ensommeillée.


- Laure, tu me trompes, Laure dis-moi, tu me trompes ?


- Pardon ? Qu’est-ce que tu dis ? Qu’est-ce qui te prend ? Non, bien sûr que je ne te trompe pas…  Bon, Simon, j’ai vraiment sommeil… Viens te coucher mon amour. Tu devrais avaler un somnifère et tiens pendant que tu y es, un anxiolytique, parce que cet examen…  manifestement, il te rend à moitié cinglé… Te tromper, moi ! Tssssssssss, allez viens te coucher…


- Parce que si tu me trompes, il faut me le dire… je comprendrais, tu sais… je suis invivable en ce moment… tout ce stress accumulé… alors si, tu allais voir ailleurs, je comprendrais… j’excuserais peut-être pas, mais j’essaierais de comprendre, je te le promets. Je t’aime, tu le sais ? bredouilla t-il, sotto voce.


- Réponds Laure ! je t’en supplie !


Le cri se perdit entre les quatre murs de la chambre.

Laure se retourna dans le lit, enfouit sa tête dans l’oreiller, remonta d’un geste nerveux le drap fripé sur sa nudité, opposant un mutisme boudeur à son compagnon de plus en plus agité.


- Au couvent, rasée et voilée… grinça t-il entre ses dents.

- Tu dis ? questionna l’oreiller.


La rage au ventre, il se leva, empoigna les vingt-deux volumes du Comte, s’assit  à califourchon sur le corps de Laure puis pressa de son dérisoire monceau de culture la tête, de longues minutes, contre le coussin duveteux jusqu’à ce que le corps demeure inerte. Un rire dément s’échappa de sa gorge et levant les bras au ciel, il se mit à hurler :


-  Adversus periculum naturalis ratio permittit se defendere ! LIRE TUE, Messieurs et Mesdames les jurés! Simon Grimbat est innocent ! Le SEUL coupable dans ce meurtre abominable, c’est Merlin ! Mais quelle plaidoirie, je vais faire ! Quelle plaidoirie ! Bon sang… je vais faire un malheur… !

 

 


 


 

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24 avril 2012 2 24 /04 /avril /2012 13:31

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In the dark of the sun

 


Une année à en rêver ! Elle était venue écouterTom Petty, Bjørk, Tony Bennett, Sting et Bon Iver en concert lors du festival Norwegian Wood à Frognerbadet. Armée de bikers en cuir noir, moulée dans un jean slim destroy, le piercing étincelant, elle se sentait l’âme d’une  neo-grungette. Son ami et amant épisodique, Per, lui avait donné rendez-vous à la terrasse du Hard Rock café, ce qui n’était ni original, ni tout à fait dans ses goûts, le lieu rassemblant une pléthore de vieux rockers flirtant avec l’andropause, sapés tels d’antiques charognards de la gratte : santiags, T-shirt Mike Jagger et pattes d’éph. Il existait des tonnes d’autres cafés plus ou moins branchés, mais il avait fallu qu’il choisisse celui-là. Per avaient les idées arrêtées de son père, le distingué conservateur du musée des drakkars, un homme qui déchiffrait les runes comme d’autres des textos sur un portable, mais dont le CV s’enorgueillissait de la mention d’ex guitariste du groupe Titanic, un titre que tout bon norvégien se devait d’aimer et  respecter. Elevé  dans le credo que l’âge d’or du Rock s’était arrêté dans les seventies avec  Swinging blue jeans, John Fogerty, Creedence Clearwater revival, Matchbox, Whirlwind, Billy Swan et Robert Gordon, elle avait eu beaucoup de difficultés à le convaincre d’ acheter des billets pour le concert du soir. Per avait la fibre musicale conservatrice et détestait  Bjørk, selon lui une polissonne immature, une espèce de desperado à l’innocence contrefaite.  Leurs querelles interminables sur ce sujet avaient mis plus d’une fois leur relation sur le fil du rasoir. Au lit, leurs ébats  passionnés, peu à peu minés par ces désaccords  en apparence futiles, d’un beat frénétique avaient sombré dans un tempo glacial. Elle supportait de moins en moins bien leurs étreintes qui suivaient de manière systématique leurs engueulades. Raide comme une page de bristol aplatie sous un presse-papier de fonte, elle attendait que cela passe pour justement passer à autre chose, voire à quelqu’un d’autre.  Pourtant elle l’avait aimé, elle l’aurait juré.

Le serveur s’approcha pour prendre sa commande.


- Un smørbrød au hareng et une bière, répondit-elle avec nonchalance  

- Ringnes gold ou Aass bock?


Elle fit un geste évasif de la main, indiquant qu’elle s’en foutait.  Per était en retard et cela devenait une habitude. Parti butiner ailleurs ? Elle se prit à l’espérer…   Per lui avait confié les billets et il lui serait facile d’en revendre un au marché noir. Elle vérifia que la batterie de son portable n’était pas à plat sans pour autant prendre la peine de chercher à le joindre. Après tout, pensait-elle, c’était à lui d’appeler en premier et de lui fournir une explication plausible. Elle n’allait pas écorner son forfait pour un mec qui ne se pointait pas à un rendez-vous aussi important pour elle. D’un œil charbonneux elle parcourut les tables à la recherche d’un visage attractif qui selon ses critères se devait d’être maigre, au mieux maladif et, nec plus ultra, ressembler si possible à celui de Thomas Bangalter.  Des faces pouponnes et rosies par le soleil de juin sourirent à ce qu’ils perçurent comme une invite. Elle pinça les lèvres de dégoût et abrita ses yeux derrière d’épaisses lunettes noires. Le soleil soudain lui parut noir. Au loin, tout au bout de la rue, elle distingua trois silhouettes qui couraient et qui disparurent dans une rue à angle droit. Plus loin encore, un petit attroupement s’était formé qui l’intrigua d’abord mais dont son attention se détourna bientôt sans qu’elle en sache la cause.


Elle but quelques gorgées d’Aass et regretta de n’avoir pas plutôt choisi une bière plus légère puis picora quelques bouts de hareng, régla la note et avant de quitter la terrasse du café éteignit définitivement son portable.


Per se releva à grand peine. L’arcade sourcilière ouverte suintait en un mince filet de sang qui glissait le long de la paupière, inondait sa rétine puis goutait sur son blouson et son T-shirt. Il leva les yeux vers le soleil qui prit des reflets noirs. Dans une ville réputée pour sa sécurité, ce qui venait de lui arriver relevait de l’absurde : une agression en plein jour, perpétrée par trois jeunes blancs, à visage découvert, dans une rue commerçante. L’espace qui l’entourait, déserté quelques instants plus tôt des passants effrayés par la violence des trois hommes, se peuplait peu à peu de nombreux curieux et de quelques personnes à la mine compatissante. On lui proposait de l’aide, d’appeler la police, de le conduire à la pharmacie la plus proche pour soigner sa plaie. L’air hébété, Per secouait doucement la tête et répétait « non merci, pas maintenant ».


Les voyous lui avaient arraché son sac à dos, mais avaient négligé dans leur fuite, son portable qu’il tenait à la main au moment de l’attaque et qui gisait morcelé sur le trottoir, inutilisable. Une seule idée l’obsédait : rejoindre Liv le plus vite possible, la tenir dans ses bras, la serrer contre lui et lui dire qu’il l’aimait d’un amour fou, d’un amour inconditionnel. Il avait poussé l’instinct de sacrifice jusqu’à lui acheter le matin même, Biophilia, le dernier CD de Bjørk ; CD qui se trouvait dans son sac à dos, maintenant aux mains de ses agresseurs.  Il se dégagea de la foule, épongea d’un mouchoir en papier resté au fond de la poche de son blouson sa blessure et partit, d’abord chancelant, puis à grandes enjambées vers le Hard Rock café. Lorsqu’enfin  la terrasse fut en vue, il essaya de distinguer la présence de Liv. Les gens attablés le dévisageaient avec stupeur et leurs yeux naviguaient de son arcade au T-shirt maculé de sang. Une table libre, avec un bock de bière vide et une assiette contenant les reliquats d’un smørbrød semblait l’attendre. Il s’écroula sur la chaise, la tête entre les mains pendant que du fond du café la voix de Tom Petty scandait:


“In the dark of the sun will you save me a place?
Give me hope, give me comfort, get me to
a better place”
 

 

 

 


 


 

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4 avril 2012 3 04 /04 /avril /2012 15:43

 

 

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PASO DOBLE

 

 

 

Une chaleur lourde et poisseuse engluait Madrid en ce vendredi 13 mai. La ville bourdonnait à une heure où d’habitude les madrilènes peinaient à ouvrir l’œil. Des volets clos pour contrer les rayons d’un soleil déjà torride, un gai charivari s’échappait en une volute sonore qui  ondulait dans les ruelles jouxtant la Plaza Mayor.

 

Pépé venait d’ouvrir sa boutique de coiffeur dans la calle de la Cava Baja et lavait le trottoir à grands seaux d’eau avec une diligence toute inhabituelle : les festivités de San Isidro allaient commencer et il ne comptait pas y faire défaut. Neuf jours de réjouissances qui attiraient beaucoup d’espagnols et de touristes du monde entier, neuf jours pendant lesquels des cinq heures de l’après-midi, il pourrait assouvir sa passion d’aficionado. Ce vendredi, il travaillerait non-stop jusqu’à quinze heures puis baisserait le store, juste le temps de prendre une douche et de se rendre à pied à la Plaza de la Ventas pour assister à la première des neufs corridas de la fiesta. Il avait économisé en prévision de l’instant magique pendant de longs mois. Son rêve ?  s’offrir une place dans la zone dix, l’une des plus convoitées de l’arène. Le petit pactole accumulé au fil du rasoir et du blaireau avait rendu le rêve réalité et il gardait ses neuf précieux tickets d’entrée dans un coffre-fort au fond de l’arrière boutique. Pépé était en train d’empiler des serviettes fraîches près du bac de lavage, tout en fredonnant un air de Lagrimas Negras, lorsque la silhouette d’Antonio s’encadra dans la porte de sa boutique. Son ancien compagnon de collège avait des jambes courtes et bancroches, un long nez biscornu ainsi qu’une verrue fort peu esthétique au menton. Mais ce n’était pas pour ces singularités physiques que Pépé l’avait surnommé El Diablo. Non, Pépé habitué à l’apparence disgracieuse de ce quasimodo du barrio Lavapiés, ne percevait de lui que la beauté d’un regard cristallin et d’une âme franche et simple.  Il connaissait et appréciait ses multiples activités bénévoles.  Ils s’étaient retrouvés en 2010 au coude à coude au milieu d’une foule imposante lors de la Journée internationale du refus de la misère. Issus tous deux des classes populaires, le sort des miséreux les liait en une fraternité spontanée. Pourtant voilà… depuis deux ans Antonio avait rejoint les rangs du PROU, un collectif de défense des animaux qui avait réussi à faire interdire la corrida en Catalogne. Non seulement Antonio militait mais il était devenu dans la foulée le responsable de l’antenne locale, et cela, Pépé ne pouvait le supporter… Voir son ancien ami entrer dans sa boutique relevait du cauchemar et était aussi incongru que d’élever des piranhas dans un aquarium de pacifiques Tetras ou que de voir un hétéro ouvrir un bar branché dans le quartier gay de La Chueca.

 

Leur amitié, hier une et indivisible, filait depuis à l’asymptote.

 

- ¿Qué tal, El Diablo? demanda d’un ton bourru Pépé.

 

Antonio sourit au sobriquet et d’un geste imitant des lames de ciseaux, montra sa longue tignasse aussi drue que la laine d’un mouton mérinos.

 

Pépé soupira et indiqua d’un geste négligent à son ancien ami une place au bac. En temps normal, Pépé était connu pour sa bonne humeur, son optimisme jovial, mais là, il faisait carrément la gueule.  Il traîna des pieds jusqu’au  lecteur de CD près de la caisse, inspecta soigneusement la pile de musiques rangées dans une tour, fit son choix et appuya sur Play. Aussitôt  les accords enflammés d’une banda résonnèrent entre les murs. Il avait choisi à dessein  Cielo Andaluz…  Antonio faillit bondir de son siège, mais Pépé le maintint avec vigueur le dos collé au fauteuil, lui bascula la tête en arrière et fit couler dessus un jet d’eau glacial qui par une inadvertance totalement coupable et parfaitement volontaire glissa le long de la nuque et mouilla le col de chemise. El Diablo couvert d’eau puis d’une dose de shampoing assez importante pour décrasser toutes les têtes pouilleuses du quartier de Baranquillas, ne pouvait bouger sans risquer de ruiner et sa veste de serge à effet de chevron, et son pantalon de flanelle. Il enrageait ;  sa verrue se mit à trembler au bout du menton. La face écarlate, il flirtait dangereusement avec l’apoplexie. Rassemblant toute son énergie, pendant que trompettes, trombones, hélicons, sax et clarinettes glorifiaient l’art tauromachique, il entonna d’une voix tonitruante un couplet vengeur :

 

« Festejo criminal, vergüenza

Torero, eres la vergüenza de una nación

Torero, eres la violencia en televisión

Torero, eres asesino por vocación

Torero, me produce asco tu profesión… »

 

 

Aussitôt Pépé appuya sur la télécommande et poussa le volume du CD à fond. De son côté Antonio s’époumonait à s’en briser les cordes vocales :

 

 

« Llamar cultura al sadismo organizado
A la violencia, a la muerte o al dolor
Es un insulto a la propia inteligencia
Al desarollo de nuestra evolución… »

 

Par la porte laissée grande ouverte, une cacophonie assourdissante emplit la calle de la Cava Baja et les voisins accourus pour se régaler du spectacle prenant subitement fait et cause pour l’une ou l’autre des parties reprenaient, qui de voix de stentors, le chant andalou traditionnel, qui de voix de ténors, le refrain anti-tauromachique. La fête de San Isidro débutait en fanfare…

 

 

 


 


 

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23 mars 2012 5 23 /03 /mars /2012 09:34

 

 

 

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Chassé-croisé

 

 

Il y a des gens que tout sépare ; l’origine, la culture, la religion, les moyens financiers, que sais-je encore… Ginette et Archibald en faisaient partie.

 

Après avoir poussé plus vite que du chiendent  entre les pavés disjoints d’un passage oublié du haut Belleville, à une époque où la feuille de menthe et le couscous n’avaient pas encore succombé aux effluves des nems et du nuoc mam , la famille de Ginette avait été boutée hors de la capitale faute de moyens financiers adéquats pour résister à la hausse des loyers.  Au nadir de l’échelle sociale, deux barreaux les séparaient du bitume. C’est dans le bas Fontenay que la famille s’était retranchée dans un HLM, habitat lézardé et moche, comme l’avait baptisé le père de Ginette, cheminot syndiqué, athée, esthète du dimanche et salarié tatillon sur les horaires, déformation professionnelle d’une époque aujourd’hui révolue.  Un CAP de secrétariat commercial en poche et un gros coup de bol avaient permis à la jeune Ginette de rentrer dans la Société Kodak à l’âge de vingt ans. Plutôt que de courir les jobs, à l’heure des encore « glorieuses », elle avait assuré le sien. Quarante ans dans la même boîte, souffrant en silence les restructurations successives, les changements de patrons, elle avait fait partie des meubles au même titre que le siège de moleskine qui déménageait avec elle à chaque changement d’affectation dans la société.  On ne l’avait jamais vu jeter un coup d’œil à son bracelet montre, dire un mot de reproche à quiconque, prendre une seule journée de congé maladie.  Elle était restée célibataire et ses économies lui avaient servi à gâter ses neveux et ses nièces. Discrète à la limite de la transparence, la retraite l’avait cueillie à la surprise de tout le monde, y compris la sienne.  Ginette partait, le Kodachrome en fit de même, l’Eldorado de l’argentique entamait sa phase terminale.

 

Archibald était né coiffé, dans une grande famille bourgeoise, sise dans le 7ième. Au zénith de l’échelle sociale, deux barreaux les séparaient de l’opulence. Deux barreaux que le père d’Archibald, déjà rentier, catholique traditionnaliste convaincu et proche de l’Ecclesia Dei, était néanmoins prêt à franchir via la réussite exemplaire de son fils qui fut dument envoyé faire ses humanités en contrées protestantes, d’abord en  Angleterre puis aux Etats-Unis, à la Rochester University.  D’excellents résultats et la fréquentation assidue de l’Alpha Delta Phi fraternity , passage obligé de la réussite, scella son avenir.  Il est vrai également que lorsqu’il ferra au bout de son hameçon la nièce de Gerald B. Zornow, futur président de Kodak, certains mauvais esprits, aux synapses tordus, le traitèrent d’opportuniste. Quarante ans dans la même boîte, souffrant en silence les nominations les plus variées dans des pays au climat parfois gluant,  jusqu’à ce qu’on lui confie la direction de la filiale française, Archibald avait fait partie des meubles au même titre que ceux en loupe de citronnier qui déménageaient avec lui  à chaque nouvelle mission.  On ne l’avait jamais vu autrement qu’habillé en Cerruti, qu’au volant d’une grosse cylindrée, et ne déjeuner ailleurs, une fois revenu en France, que chez Maxim’s. Il n’avait jamais eu d’enfant, raison pour laquelle sa femme l’avait quitté et pilier d’une entreprise qu’il considérait comme sa seule famille, il avait converti tout son patrimoine en actions. Funeste erreur! Lorsqu’il prit sa retraite, ses plus proches collaborateurs et ennemis jurés réclamaient depuis longtemps en loucedé son scalp pour n’avoir pas anticipé l’arrivée du numérique.  Archibald partait, la boîte était déjà au bord de la faillite.

 

Ginette avait gardé une peau de jeune fille avec juste ce qu’il faut de légères touches de poudre pour lui donner le velouté de la pruine sur une grappe de raisin. À petits pas elle se dirigeait maintenant vers le banc au fond du parc d’où la vue sur deux chênes centenaires était imprenable.

 

Archibald avait le teint cireux, indice d’une maladie qui rongeait ses entrailles, mais le regard était encore vif et d’un bleu de cyan. À petits pas il se dirigeait maintenant vers deux chênes centenaires d’où la vue sur un petit banc de pierre était imprenable.

 

Trois cents mètres séparaient Ginette d’Archibald, autant dire, un gouffre,  une distance incommensurable. Ayant cotisé à la même caisse de retraite, leurs chemins se rejoignaient en bout de course, là, aux confins de la Seine et Marne, dans une bâtisse  sans charme et ce, sans aucune chance de volte-face, aurait dit Ginette, de palinodie, aurait dit Archibald.


Aussi quand leurs regards se croisèrent, c’est d’un même élan qu’ils levèrent la main pour un tendre et timide salut amical.

 

 


 


 

©Alaligne


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14 mars 2012 3 14 /03 /mars /2012 11:02

 

 

cheval-au-galop.jpg

 

 

 

 

Le popotin de Lyne

 


 

- Lyne, magne-toi le popotin !

 

Et le popotin, justement c’est cela qu’ils regardent, les lads-drivers, lad-jockeys et petits proprios de canassons rassemblés autour du percolateur du Cerf aux bois d’or, rade à l’ancienne et à l’occasion PMU interlope.  Faut dire que la Lyne, elle a tout pour leur plaire : une tête allongée avec de grands yeux bruns ombrés de cils épais et drus, une crinière lourde aux mèches raides comme des stalactites, une nuque cambrée, le garrot bien marqué, le poitrail rebondi, les reins souples et la croupe d’une jument ardennaise. La croupe, c’est le truc irrésistible qui les fait bandocher, leur frise les guiboles en serpentins. Ils appellent cela la magie équine, l’indice qui, selon eux, fera la bonne garce et la vraie salope ; alors forcément dans leurs caboches de branquignoles, dans leur confrérie qui fleure la paille et le crottin, une meuf qui ressemble à une jument, il n’en faut pas plus pour leur chauffer les burnes.

 

Et puis, la Lyne, elle n’a pas inventé la lune, même qu’on chuchote qu’il lui manque une case et que les gars entre eux la surnomment « linotte », vu qu’elle mélange les commandes et sert du café à la place du calva, ou l’inverse, c’est tout comme… Le sourire toujours aux lèvres, elle s’excuse et rougit sous leurs sarcasmes. Eux, quand ils ne parient pas sur une course, ils misent sur celui qui se la fera. Faut dire aussi qu’elle n’est pas farouche, la Lyne… pas besoin de lui tendre une embuscade pour la faire s’allonger au fond d’un box. Il n’y a qu’à lui promettre un week-end aux confins de sa Normandie natale, lui parler des alizés, des zozios de mer, de grand large, d’air iodé et en avant l’abordage… manœuvre d’autant plus rapide que son accastillage est réduit au minimum ; une robe de coton, pour tout accessoire. Quant à la promesse… on peut compter sur ses trous de mémoire.

 

Il n’y a qu’une chose qui les dérange, leur coupe les roubignolles; c’est lorsque sous leurs coups de boutoir, des larmes coulent lentement sur ses joues et que d’une voix de petite fille, elle murmure : « C’est beau la mer… »

 

 

 

 


 


 

©Alaligne

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