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  • : Ecritures à la loupe
  • : Présenter des écritures manuscrites d'écrivains célèbres avec une étude graphologique, des comptines pour enfants, l'un de mes romans et beaucoup de mes coups de coeur, voilà l'objectif de ce blog. J'espère que vous vous y sentirez également chez vous...
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Mes romans

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25 janvier 2014 6 25 /01 /janvier /2014 13:02

 

 

Demain, basta…

 

Gary a une gueule de vieux surfeur : cheveux blonds décolorés par le sel, bronzage pain d’épices, bracelet manille monté sur cordage bleu fluo au bras droit. Et pourtant, il n’a jamais touché à une planche de surf, n’est pas né en Californie et, pour faire bonne mesure, déteste cordialement la soupe californienne des Beach Boys. Aux commandes de son hydravion « Twin Otter », il entame sa douzième rotation de la journée. De la routine… ou presque. Natif de Toronto, la proximité du lac d’Ontario a façonné très tôt sa vocation de pilote. Quant au bourdonnement incessant de ces bateaux volants, au-dessus de Block House Bay, leur tempo répétitif a gravé le sillon de son admiration indélébile pour Flea, le bassiste de Red Hot Chili Peppers. L’Ouest américain revu et corrigé en « Californication ». Gary est un rêveur, un idéaliste, « le petit-fils improbable de Saint Ex », comme il aime lui-même se définir… Il croit en l’humain… Il aime cet archipel qu’il sait condamné tôt ou tard à disparaître. Il survolait l’atoll de Baa, le 24 décembre 2004. Il a tout vu et tout enregistré dans sa mémoire. La précarité de l’existence, il en a fait son ordinaire : la vague meurtrière a emporté ses illusions et ce qui lui tenait le plus à cœur. Gary est aussi et surtout le meilleur pilote de Maldivian Air Taxi. C’est du moins ce que son patron prétend.

 

- Prêt pour le décollage ?

 

Peter, son copilote, lui a posé la question machinalement et s’attend au « O.K !» habituel.

 

Mais Gary ne répond pas. Il vérifie de manière compulsive sa check-list. En réalité, il « checke » ses emmerdes. La coupe est pleine : bosser au paradis et vivre un enfer…

 

L’embarquement à l’aéroport de Hulhulé venait de connaitre quelques péripéties avec l’arrivée sur le quai d’une star du rock alternatif disparaissant derrière une gigantesque gerbe de fleurs de balisier, de ses trois insupportables gorilles charpentés comme des armoires à glace, mâchant du chewing gum et portant des inévitables lunettes noires, façon « men in black ». À ce quatuor de choc, il fallait ajouter, plantée sur des talons de quinze centimètres, l’assistante de la star, copie conforme de sa patronne, deux gamins braillards et mal élevés qui tyrannisaient une jeune nurse dépassée par l’ampleur de sa tache. Gary et Peter devaient les convoyer en moins de quarante cinq minutes jusqu’à l’atoll de Noonu, leur destination cinq étoiles. Le groupe était déjà en soi une plaie : hautaine et bling-bling à souhait. C’était malheureusement sans compter sur la dizaine de journalistes qui accompagnait le déplacement de la star, masse gesticulante et vociférante, vulgaire et obscène, prête à prendre d’assaut l’hydravion pour obtenir un dernier cliché. Au moment de fermer la porte de l’appareil, un paparazzi avait réussi à se hisser sur l’un des flotteurs pour tirer le portrait de la chanteuse à l’intérieur de la carlingue et là, Gary avait vu rouge… Il s’en était fallu de peu que le photographe ne finisse à la baille, lui et ses appareils photos. Peter avait, in extremis, retenu son bras au moment où un imparable crochet du droit allait mettre un terme définitif aux talents d’équilibriste du journaleux. L’hydravion, dont les amarres avaient été desserrées, avait dérivé de quelques mètres du quai d’embarquement et le gars paniqué avait trouvé refuge sur une aile où il était resté accroché dix bonnes minutes jusqu’à ce que la police de l’aéroport, armée d’une échelle, ne le force à abandonner son abri précaire. Gary et Peter, inquiets pour l’état de la voilure, avaient dû vérifier que les nervures étaient intactes, ce qui avait pris cinq bonnes minutes supplémentaires et fini par remettre en question le plan de vol du reste de la journée. Alors que l’incident semblait clos, la porte définitivement verrouillée et le photographe ceinturé par les flics, la star avait réclamé que l’on ouvre une valise pour en sortir le doudou préféré de sa mouflette de cinq ans, fixée dans son développement psychologique à un stade oral mâtiné de sadisme. Les bagages une fois sanglés dans la queue du fuselage, il était hors de question d’en extraire une valise. Gary avait refusé fermement.

 

- Lapiiiiiiiiiiiiiin…… mon lapiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin !

 

- Elle prononce encore une fois ce mot et je l’étrangle…

 

- Gary, il faut que l’on décolle… on a trois « Twin » au cul qui s’impatientent. Derrière nous, Phil ne décolère pas… tu vas le mettre en retard pour son entraînement de hockey de 18 heures. Le championnat débute la semaine prochaine… il ne te le pardonnera jamais.

 

- Lapiiiiiiiiiiiiiiin, lapin, lapin, lapin… Je veux mon laaaaaaapiiiiiiiiin !

 

- Tant que j’entends ce mot… on ne bouge pas. Elle va nous porter la poisse. Une fois dans les airs, elle pourra beugler autant qu’elle veut, ce qu’elle veut, mais sûrement pas tant que mon « Twin » flotte sur l’eau. La mousson d’été est en avance… mâte un peu la houle qui est en train de se former… J’ai un vent Ouest-Sud-Ouest de force sept … Dis à sa mère de la faire taire… et à Phil de demander à la tour de contrôle l’autorisation de décoller… je lui cède ma place…

 

- Tu n’es pas sérieux, j’espère ?

 

- On ne peut plus sérieux… ça te pose problème ?

 

- Un peu… je n’ai pas envie de perdre ma place… toi, tu t’en fous… tout le monde t’a à la bonne… un type qui assure quarante rotations dans la journée pour évacuer la population de deux atolls est intouchable… Heu, Gary ! ça touche à l’hystérie derrière… la môme est au bord de l’apoplexie et maintenant c’est sa mère qui nous injurie et nous menace d’un procès…

 

-Lap… lap… laaaaaaaaaaaaapiiiiiiiiiiiiiiiiiin !

 

- Rien à foutre de ses menaces… d’accord, je décolle mais pas pour Noonu… direction Calgary… Dans à peine dix jours, je serai de retour au bercail. Finies les rotations pour des mecs ou des nanas pleins aux as qui bêtifient devant des poissons Chirurgiens… fini de faire le larbin et d’enrichir des chaînes d’hôtel de luxe, fini de tricher avec la réalité et de fermer les yeux sur toutes ces saloperies… j’en ai ma claque… t’entends Peter ?... ma claque…

 

-Tu dérailles complètement ! Tu comptes parcourir dix-sept mille kilomètres avec une star du showbiz à bord, le tout avec une autonomie de mille sept cent?

 

-Piiiiiiiiiipiiiiiiiiiii……………. !

 

- Bon, tu vois, elle vient de changer de registre… Allez, décolle mon pote avant qu’elle ne se fasse sous elle. Gary, tu m’écoutes ? T’es où, là… Putain, décolle !

 

Gary pense au corps de la petite Faraha, cinq ans elle aussi, un ange offert au belliqueux Pacifique. Sa toute petite sœur… sa « Biche », sa « Mima » à laquelle il lisait, les jours de repos Le Petit Prince… Il se remémore son rire et ses yeux brillants de bonheur quand il l’emmenait, la nuit tombée, à bord de son « dhoni » pêcher le mérou. Faraha… sa petite perle… Faraha… les yeux bouffés et les membres gonflés, et… Il chasse l’image de sa mémoire… des larmes coulent sur ses joues creusées par le sel marin. Il va la faire cette rotation, mais celle-là sera la dernière. Demain, basta… Il partira pour Vaavu, l’album « Mother’s Milk » en poche et l’écoutera en boucle jusqu’au coucher du soleil, puis, il enfilera sa tenue de plongée et se laissera glisser le long de la barrière de corail. Alors, qui sait s’il aura vraiment envie de respecter les règles… ne pas oublier un dernier palier de décompression ? Demain, oui… basta…

Demain... basta....
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24 janvier 2014 5 24 /01 /janvier /2014 11:01

Bonjour chers lecteurs et lectrices,

 

J'ai le plaisir de vous annoncer la création d'un nouveau blog, destiné à mieux faire connaitre mes publications (romans, nouvelles, contes) ainsi que mes critiques de livres publiées par le site La Cause Littéraire en complément de ce site où je continuerai à publier mes coups de cœur ainsi que des micro-nouvelles comme par le passé.

 

Je vous invite à découvrir dès maintenant ce nouvel espace auquel bien entendu vous pouvez vous abonner :-)

 

C'est ici: Catherine Dutigny / Elsa

En vous souhaitant une jolie découverte et en attendant vos commentaires je vous souhaite une excellente journée!

 

Alaligne

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14 novembre 2013 4 14 /11 /novembre /2013 18:20

 

 

 

Vous pouvez suivre l'actualité littéraire en visitant le site de La Cause Littéraire ainsi que mes propres chroniques de romans (cliquer sur Rédacteurs, puis sur Catherine Dutigny) récemment publiés en cliquant sur le lien ci-dessous:

http://www.lacauselitteraire.fr

Bonne lecture!

la cause

la cause

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27 décembre 2012 4 27 /12 /décembre /2012 16:57

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À toi…


 

 

Qu’avais-je donc fait de si terrible ?

 

Le sommeil avait déserté ma couche, si petite et si proche du lit parental. A l’époque, nous habitions un deux pièces dans le XIe arrondissement près de l’Avenue de la République. Exactement à une cinquantaine de coups de pédale de ma flamboyante trottinette. Un deux pièces pour quatre personnes : mes parents, mon frère ainé et moi-même. Mon frère dormait sur un divan dans la salle à manger près de l’antique salamandre qui cette nuit-là répandait une douce chaleur dans les deux pièces contigües et orangeait de ses flammèches, les branches du minuscule sapin garni de quelques boules et d’une unique guirlande scintillante. A sept ans, je ne m’étonnais guère que l’on déposât une carotte et des morceaux de sucre au pied du poêle barrant l’accès d’une cheminée condamnée. La magie rayonnait encore dans ma tête de blondinette.

La cloison entre la chambre et la salle à manger avait été partiellement abattue, créant un espace unique mêlant l’intimité et le trivial. En temps normal, on s’entendait tous dormir ; en temps normal, nos souffles apaisés tissaient le lin de notre amour.

Oui, mais voilà, cette nuit-là, je ne dormais pas. Et rien ne me semblait normal. Le cœur aux abois, je craignais le pire.

 

Pourtant, nous avions été deux enfants sages et raisonnables. Notre liste au Père Noël tenait sur une carte de visite et nous trouvions cela très bien.

Pourtant, nous avions pris soin de ne pas oublier la crèche, avec Marie, Joseph, le bœuf et l’âne, attendant la naissance du petit Jésus qui reposait dans sa coquille de noix et que nous avions pour consigne de ne me mettre entre ses parents que le matin du 25.

Pourtant, nous avions déposé nos plus beaux souliers embaumés de cire au pied du sapin.

Pourtant, nous avions réveillonné chichement.

Pourtant, nous avions sacrifié, sans trop rechigner, à la messe de minuit à l’église Saint Ambroise, dans le froid piquant et sous quelques épars flocons de neige.

Pourtant…

 

Tout avait été parfait, conforme aux usages et à nos moyens d’antan…

 

Qu’avais-je donc fait de tellement horrible?

 

Je sanglotais, la tête pressée contre l’oreiller à m’en étouffer, de peur d’éveiller père, mère et frère.

 

On dit souvent que les mères ont le sommeil léger et qu’un sixième sens les avertit du moindre petit bobo, de l’infime souffrance de leurs enfants. L’étoile du berger avait dû éclairer en cette nuit les songes de mon père, puisque c’est lui qui s’inquiéta. Je sentis sa main chaude et lourde se poser sur mon front brulant.

 

- Qu’est-ce qu’il se passe ma bichette ?

 

Sa voix grave et douce me donna le courage de sortir la tête de l’oreiller et de tourner vers son beau visage des yeux noyés de larmes.

 

Il me fallut rassembler toutes mes forces pour articuler avec peine :

 

- Le Père Noël, ne passera pas…

 

Je me souviens et me souviendrai toujours de l’air étonné qui déforma ses traits à l’annonce de ce qui ressemblait à un verdict. L’image est là, gravée dans mon cœur. Il ne me posa pas de questions sur l’origine de ma détresse. Pas d’interrogation inquiète sur  la certitude dans laquelle je me tourmentais. Rien qui puisse appeler une confession indiscrète.Il était comme cela...confiant.

 

Il sortit de la poche de son pyjama un mouchoir de Cholet rouge et blanc et effaça avec délicatesse les ruisseaux qui empourpraient mes joues.

 

- Attends, ne bouge pas, je vais aller voir…

 

Le silence qui suivit sa disparition me parut durer un siècle… Puis ce fut un « Ooooooh ! » libérateur qui sonna la fin de mes tourments. Il revint près de mon lit tenant dans les bras une ferme en carton dans laquelle s’égayaient tous les animaux de la basse-cour et de l’étable. LA ferme que j’avais demandée au Père Noël.

 

Pas besoin d’appareil photo pour immortaliser le regard que nous échangèrent. Toi, mon père ravi à la vie, patiemment tu parcoures le ciel, filant d’étoiles en étoiles, sur un traineau trainé par des rennes, et chaque jour tu déposes un cadeau dans mon cœur et poses ta main sur mon front brulant. 

 


 

 

 


 

©Alaligne, tous droits réservés


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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 16:42

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Tourner la page

 


 

Anne avait fini par me convaincre. Elle m’attendait là-bas.


J’avais laissé ma voiture au parking, pris un billet de train pour Dijon avec un changement pour Montbard. À l’heure où l’homme dépasse sans moufter le mur du son, l’escapade ferroviaire m’avait parue a priori aussi incongrue qu’accommoder du foie gras avec du topinambour. Encore que.... Mais ma douce était passée experte dans l’art de me faire avaler non seulement des tubercules au passé douloureux mais aussi des couleuvres encore bien vivantes.  En raison de son tempérament aussi docile que celui d’un pitbull, je fuyais la moindre escarmouche, restais sourd à son penchant naturel pour la provocation. Une balade de trois jours en automne à la découverte des crus de l’Auxois valait bien la peine d’y sacrifier quelques kopecks et d’endurer sans broncher les mortelles attentes sur les quais de gare pour voir s’épanouir enfin un sourire sur son tendre visage, divinement planté sur un long cou de femme-girafe. Après m’avoir vanté, au téléphone, la décoration exquise de la chambre d’hôtes qu’elle avait dénichée sur internet, mon Ipad avait été inondé de photos de l’ancien presbytère, où se nichait notre futur nid de turpitudes sensuelles, demeure jadis enfouie sous les images pieuses et aujourd’hui « designée », selon elle, par des gens au goût parfait. S’en était suivi, un long mail où elle m’assurait avoir trouvé enfin le lieu idéal où terminer les derniers chapitres du roman qu’elle avait entrepris d’écrire depuis qu’elle avait compris que l’on pouvait être publié sur la toile, sans subir l’affront d’une lettre de refus d’une major de l’édition. Le message se concluait sur une description précise, pointue, magistralement détaillée des troubles perturbants, liés à une légère infection intestinale qu’elle venait de contracter. Dans son infinie délicatesse, elle avait omis de joindre au mail les photos qui auraient pu l’illustrer. Une pensée précieuse dont je remercie encore Dieu, dans mes prières vespérales, de la lui avoir inspirée.

 

Le panneau de la gare de Lyon affichait pour mon train une demi-heure de retard. Là, où certains commençaient à râler et à couvrir les agents l’administration de noms variés d’oiseaux, je sentis poindre en moi une vague de satisfaction mielleuse. C’était juste le temps qu’il me fallait pour choisir un polar à la librairie de la gare et pour déguster vite fait au zinc, une mousse bien fraiche. À la devanture du buraliste, mon œil fut attiré tour à tour par un livre ceint d’un bandeau rouge, symbole du prix Goncourt, puis par le sticker noir et jaune du prix du polar SNCF.  Anne, sans l’ombre d’un doute, eut préféré que je lui offre le Gallimard. À bourse bien garnie, rien d’impossible. La solution brillait d’évidence : paquet cadeau pour elle et thriller compulsivement parcouru de mon côté au gré de cette brève transhumance vers les plateaux d’argile et le long d’un chemin musardant au pied des vignes, pour moi. Accoudé au bar, je relisais pour la énième fois la quatrième de couverture du livre de poche : une châtelaine anglaise, ancienne maîtresse de l’un de ses domestiques, scieur de long de son état, avait été exhumée de son cercueil pour des analyses ADN. Le tout, à la demande de sa fille Suzan qui doutait de sa filiation ainsi que de la mort naturelle de sa mère. Au moment où la police scientifique allait dévoiler les résultats et classer l’affaire, la jeune femme avait été retrouvée allongée sur les marches de l’abbaye de Westminster, énuclée, un couteau planté entre les omoplates, la robe inondée d’un flot poisseux à la nuance purpurine. Quant l’amant… il s’était fait la malle…

 

 

C’en était trop ou du moins pas assez. Une table au fond du bar m’invitait à en apprendre davantage. Après tout, il me restait dix bonnes minutes.  Dès la première page, je fus accroché. Lorsque je découvris le fin mot de l’histoire, la mienne, ou du moins celle qui me liait encore à ma fiancée prit fin. Un laconique message sur le répondeur de mon portable m’apprit que ma tendre et douce ne supportait pas qu’on lui pose un lapin.

 


 

 

 


 

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8 octobre 2012 1 08 /10 /octobre /2012 10:04

 

 

 

 

bouteille-de-tafia.jpg

 

 

 

 

Le Biban


 

            Il arborait fièrement le nom saugrenu de Biban.

 

            Respectant les interdits : ici on proscrit le vert, là on pose une pièce de monnaie d’or au pied du mât, là-bas on garde toujours une pincée de sel dans la poche, ailleurs on donne une goutte d’alcool à Poséidon à tribord avant de boire son apéro, partout, jamais on ne siffle ni ne prononce le nom d’un animal aux grandes oreilles… le père avait, lors d’une cérémonie ayant rassemblé tous les poivrots du port, tué le Macoui en traversant à trois reprises le sillage et tiré les trois balles fatales dans l’écume avant d’attribuer au bateau un nouveau nom de baptême qui était le sobriquet du prénom de son petit-fils, Alban. Le père se poussait du col élimé de sa vareuse de marin au petit court, quand, godillant à bord de l’annexe de plastique jaune, il allait libérer la bête aquatique des entraves de ses béquilles et du lest du corps mort. À marée haute, cela s’entend - faudrait pas prendre le père que pour un con - car à marée basse, il passait de longues heures à ôter le long de la carène, aussi élégante qu’un ventre de lion de mer, les colonies d’algues et de chapeaux chinois avec tout le soin qu’un chirurgien aurait pris à pratiquer l’exérèse d’une verrue molle. Le père le chouchoutait, le bichonnait, le grattait, le karchérisait, l’antifoulait avec passion. Faut dire qu’il avait de la gueule l’arcachonnais avec ses 5,22 mètres de long, son par-battage tout neuf que le père oubliait souvent de relever avant de prendre la mer. Et le père avait bien raison d’être fier car en dépit d’un 9X9 pétaradant et d’un moteur diesel in-bord teufteutant, c’était le seul bateau à sortir du port à la voile, exploit non négligeable pour un dériveur aussi à l’aise à la manœuvre qu’un ancien dragueur de mines. Le Biban, c’était la chair de sa chair… à tel point qu’il y avait de mauvaises langues pour dire que si un jour le père décidait de mettre fin à ses jours, ce serait en sabordant son navire et qu’ils couleraient ensemble à moins de cinq milles des côtes pour respecter les termes du permis de navigation que le père avait passé, parce que le père, tout le monde le savait, était homme à respecter les règlements. Mais le père était d’un naturel gai et imperméable à toute idée de suicide, d’autant qu’il préférait de loin se noyer dans le tafia qu’il planquait dans un coffre de rangement de la cabine plutôt que de goûter aux saveurs salées de la mer particulièrement turbide du petit large.


 

            Quand même un jour, il nous a foutu la frousse. Sacrément même… Il était parti tôt le matin à marée descendante pour revenir à marée montante en ayant pris soin de souligner au bic rouge les heures sur son annuaire qu’il gardait toujours au chaud dans une poche de sa vareuse. Mais voilà, cette foutue brume s’était levée plus épaisse et poisseuse qu’un sinistre fog londonien à la Dickens. Plus de Biban en vue… disparu… rien que le mugissement sinistre de la bouée à sifflet de l’entrée du chenal. On commençait déjà à chercher le numéro de la SNSM, quand, tel un zombie s’extirpant d’un linceul de ouate, le bateau, grand voile affalée, fit son apparition. Le père, debout à la barre franche, moteur diesel vrombissant, tétait son eau-de-vie. Quand on l’aida à aborder avec précaution la cale, car cette fois il avait carrément oublié de remettre le pare-battage, il nous accueillit par un : « J’ai eu une révélation ! » qui nous fit douter de son état mental. Comme nous le pressions de nous en dire plus, il ajouta : « Le Biban est un nom qui porte bonheur, mes enfants, croyez votre père, car alors que j’étais encalminé dans la brume, un albatros s’est posé sur le puits à chaîne, m’a observé un long instant puis s’est envolé lentement et je n’ai eu qu’à le suivre pour revenir ici sain et sauf. Un albatros, les enfants… vous avez compris ?… Alban… albatros ». On décida alors de compléter en catimini le niveau de sa bouteille d’eau-de-vie avec de l’eau tout court après avoir hésité pour de l’eau bénite.   

 

 

 


 

 

 


 

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3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 17:06

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LA GOURMANDISE

 


 

- Vous faites quoi dans la vie ?

            Ses bracelets d’argent tintèrent lorsqu’elle remonta les socquettes blanches qui s’amollissaient lascivement sur ses baskets. L’homme qui la dévisageait depuis de longues minutes se tassa sur la banquette.

- Je suis doxographe, mais ça m’étonnerait beaucoup que cela te dise quelque chose.

            La fillette arrondit ses lèvres pour laisser filtrer un « oh ! » émerveillé, battit des cils, le front légèrement plissé. Elle n’allait pas se compliquer la vie et en faire plus qu’elle ne devait. Le temps était compté et l’abruti était aussi transparent qu’une feuille de papier à rouler.

- Vous étudiez la pensée des philosophes ! ça ne doit pas tous les jours vous faire marrer… 

            L’étonnement qu’elle put lire dans son regard, la combla de bonheur. Le mec était piégé.

- Je ne pensais pas qu’une gamine de ton âge s’intéressât à cette discipline. Je vois que je me suis trompé. Ma propre fille qui doit avoir ton âge ne comprend toujours pas en quoi cela consiste. Avec toi, quelque chose me dit que je ne suis pas au bout de mes surprises…

            Il inclina la tête en direction de la fenêtre. La micheline approchait de Scaër laissant loin derrière elle la lugubre monotonie des montagnes noires. La coupole olivâtre de la forêt de Coatloc'h avec ses hautes futaies et ses châtaigniers aux troncs dégoulinant de lichen apparut aux détours d’une rivière. Morgane aurait pu en d’autres circonstances succomber au charme romantique du paysage et laisser l’érudit la bercer des contes du roi Nominoë et de ceux de la Duchesse Anne. Mais elle avait bu le lait des légendes avant celui de sa mère et ces fantaisies étaient la seule éducation qu’elle ait reçue. Ce n’était ni le lieu, ni le moment de faire renaître ces souvenirs, seuls trésors de sa petite enfance, le mot « tendre » n’étant guère de mise. De plus il commençait à transpirer et cela, elle détestait. Elle s’assit en tailleur sur la banquette ce qui fit remonter sa jupe aux limites extrêmes d’un triangle de coton blanc.

- Tout le monde me trouve un peu loufoque, mais vous verrez que cela ne présente pas que des désavantages…

            Elle susurra la phrase en marshmallowisant chaque syllabe. Un sourire imperceptible effleura les lèvres de son compagnon de voyage. Une gamine de cette trempe, c’était un pot de confiture sous les babines d’un ours polaire.

- J’ai faim, pas vous ?

            Sans attendre de réponse, elle grimpa sur la banquette exhibant ses mollets ronds aux effluves de cannelle et ses cuisses opalescentes pour tenter d’attraper un modeste panier d’osier dans le porte-bagages. Le wagon fit une soudaine embardée au passage d’un aiguillage. D’un bond, il fut sur elle et la saisit par la taille pour l’empêcher de tomber. Ils restèrent scotchés l’un à l’autre, en parfaite osmose quelques secondes de trop. Le visage en feu, il desserra son étreinte et l’aida à faire glisser le panier jusqu’au plancher. Elle gloussa à la vue de sa mine gênée. Une rapide radioscopie du cerveau de l’olibrius aurait diagnostiqué deux hémisphères cérébraux en forme de balloches blottis autour d’un bulbe rachidien turgescent.

            Le contenu du panier évoquait une dînette. Quelques couverts en plastique, des serviettes en papier curieusement pliées en forme de cochon, un bol de macédoine de fruits rouges, quelques sucres d’orge et de minuscules gâteaux à peine plus gros que des cacahouètes, parsemés de vermicelles fluo.

- Voilà qui me semble peu diététique ! Si Diogène récusa l’idée même d’accommodement des mets, voire leur simple cuisson et du coup mourra d’avoir voulu ingérer un poulpe cru, tout ce sucre, lui, va finir par t’empâter la silhouette. Veux-tu ressembler à une grosse dondon ? Quant à tes gâteaux, excuse-moi, mais ils ressemblent étonnement à des croquettes pour chat… dit-il, tout autant pour faire diversion et retrouver ses esprits, que pour reprendre en main une situation qui lui glissait entre les doigts.

- Vous ne croyez pas si bien dire, c’est une recette que j’ai inventée et que j’appelle mes chatteries...

            Elle l’enroba d’un regard mielleux et pointa le bout d’une langue rose entre les deux rangées de ses quenottes. Elle lui tut, bien entendu, que la farine avait été mélangée à une décoction de racines de valériane, de feuilles de laitue vireuse et de fleurs de passiflore. Une forte dose de vanille en masquait l’amertume.

- Je peux ? demanda t-il, en tendant la main vers les friandises.

            Pendant qu’elle grappillait quelques baies rouges, prenant un malin plaisir à laisser le jus perler de ses lèvres, il avalait, imperturbable, les bouchées somnifères. Lorsque ses paupières vacillèrent, elle décida de conclure.

- Pourriez-vous m’accompagner aux toilettes, je n’aime pas m’aventurer seule dans le wagon, on ne sait jamais, vous en conviendrez, si l’on ne va pas y faire de mauvaises rencontres…

            Il dodelina un acquiescement de la tête, tenta maladroitement de tenir droit sur ses jambes et la suivit, titubant d’un pied sur l’autre dans le couloir. À peine parvenus au bout de la rame, elle empoigna la poignée de la porte qu’elle réussit à ouvrir sans aucune difficulté et le poussa sur le ballast. Un éclair d’incrédulité plus tard, le vent qui rasait les flancs de la micheline emporta ad patres le « hé merde ! » de son éloge funéraire.

            Morgane regagna le compartiment en fredonnant une comptine :


« Je suis un petit poupon
De bonne figure
Qui aime bien les bonbons
Et les confitures.
Si vous voulez m'en donner,
Je saurai bien les manger
La bonne aventure ô gué,
La bonne aventure.

Lorsque les petits garçons
Sont gentils et sages,
On leur donne des bonbons,
De belles images,
Mais quand il se font gronder
C'est le fouet qu'il faut donner.
La triste aventure ô gué,
La triste aventure… »

 


 

 

 


 

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21 août 2012 2 21 /08 /août /2012 09:55

 

 

 

dollars3

 

 

 

Gamers (13)

 

 

 

 

La nouvelle de la disparition de Gary fit l’effet d’une bombe. L’incompréhension et la consternation se lisaient sur le visage des joueurs. Seul John ne parut pas surpris. Ratatiné dans son fauteuil, le teint livide, il tentait de calmer les tremblements qui agitaient ses membres. Il évitait de croiser le regard de Gladys qui jetait des éclairs. Leur amitié se fissurait inexorablement. Larry, après avoir déversé sa bile, s’était calmé. Il avait retrouvé son sang-froid et considérait le reste de la team d’un air glacial.


- Pas le temps de mener une enquête pour savoir où est passé votre copain. S’il est parti sans payer sa note, je conseillerai à l’hôtel de le poursuivre illico pour grivèlerie et ce ne sera que le début d’une liste interminable de problèmes. Je m’occuperai de lui en personne dès la fin du tournoi. Et je vous jure qu’il s’en souviendra… Pour moi, il n’y a qu’une solution : Gladys prendra la place de Gary dans Call of Duty et concourra ensuite en solo dans Starcraft, comme c’était prévu au début. Il y a un battement de dix minutes entre la finale de Call of Duty et le début du tournoi de Starcraft. Bien assez pour décompresser… Maintenant, vous filez dans le van en priant pour que la route soit déserte !


Il ramassa son attaché case sur la table et voulut se diriger vers la sortie quand Peter lui bloqua le chemin.


- Ça ne marchera jamais ! On vient de passer une semaine à s’entraîner sans Gladys et ma tactique consistait à créer un binôme entre Gary et Anton pendant que John et moi assurions les arrières. C’était la seule solution pour contrer les autres équipes, en particulier les coréens qui manœuvrent généralement groupés… Gary et Anton avaient fini par parfaitement se comprendre et avaient mis au point un langage spécifique… Gladys va être complètement larguée… quant à John, dans l’état où il est…


- Moi pas faire binôme avec une fille… Filles tout juste bonnes à écarter les cuisses… et à être cantinières sur champ de bataille…


Anton, à son tour piquait sa crise. Gladys qui était restée muette jusqu’alors se débarrassa de son sac à dos puis se précipita sur le biélorusse qui n’eut pas le temps de dire « ouf ». Un harai-goshi plus tard, Anton rejoignait le vase cassé, la flotte et les fleurs sur le sol détrempé.


- Toi la gonzesse, tu la fermes… C’est pas un travelo qui va me dire ce que je vais faire. Je jouerai avec Gary et toi John…


Elle se tourna vers le joueur toujours effondré dans son fauteuil en pointant son index d’un geste menaçant.


- …Tu vas me faire le plaisir de lever ton petit cul de ce fauteuil et si tu dois gerber, fais-le maintenant… Tu feras équipe avec ce gros tas et t’as cinq minutes dans le van pour apprendre le code mis au point… et maintenant on déménage…


Elle saisit son sac à dos pendant qu’Anton se relevait péniblement comme un gars pétri de courbatures avec en prime un morceau de cristal planté dans la joue et s’avança d’une allure décidée vers la sortie. Larry apprécia le manque de nuances de la joueuse. Elle le sortait d’une impasse avec maestria. Pas à dire, elle avait des couilles… Il souhaita mentalement qu’elle ait aussi de la baraka. Les joueurs montèrent dans le van et n’eurent guère le temps d’apprécier les berges fleuries de la Woonasquatucket river tant le chauffeur conduisait comme un fou sous les injonctions d’un Larry remonté à bloc. Six minutes plus tard le van stoppait pile devant l’entrée du Conference Center. Une foule de joueurs passionnés se pressait au contrôle des billets dans un capharnaüm bigarré, chacun arborant les T-shirts de leurs équipes préférées. Larry entraîna son clan vers la porte réservée aux compétiteurs et brandit les convocations sous le nez d’un jeune éphèbe totalement myope et presbyte qui perdit de longues secondes à vérifier les identités de chacun et cocher les noms sur son listing. Il leur indiqua sur un plan le salon des officiels en leur rappelant qu’ils ne disposaient que de trois minutes pour s’y présenter. C’est donc au pas de course que Larry franchit les deux cents mètres le séparant du saint des saints. À l’intérieur du salon VIP, joueurs et sponsors déambulaient entre des stands où trônaient du matériel dernier cri ainsi que de nouveaux jeux. Sur celui d’Activision, un commercial affublé d’un ridicule chapeau de Zorro annonçait la version prochaine de Call of Duty pour mobiles et le lancement international de Black Ops Declassified. Peter, Anton et John s’y précipitèrent, tandis que Gladys restait scotchée au fond de la pièce. Dans sa ligne de mire, Frank Burneys papotait un verre à la main avec IdrA1. Le joueur à la tonsure avala une canette de bière à la régalade sans que la moindre goutte ne tombât sur ses fringues. Sentant le poids d’un regard sur lui, Franck tourna la tête et reconnut la gameuse. Il lui fit signe de les rejoindre. IdrA1, la voyant approcher eut un sourire moqueur de mauvais augure.


- Têtue l’Ovocyte… je te croyais retournée dans ta cambrousse de Denver, ou au mieux captive d’une tribu Shoshone à broder des mocassins…


- Très drôle, crâne d’œuf… ben, figure-toi que non seulement je suis là mais que j’ai aussi la ferme intention de te battre à plat de couture. Tu vas tellement te couvrir de ridicule aujourd’hui que personne dans le circuit n’acceptera ensuite de disputer une partie avec toi… sauf peut-être un tournoi de Mario Bros sur Game Boy… grandeur et décadence…vraiment pas de bol…


Franck que l’altercation amusait, éclata de rire et leva le pouce à l’intention de Gladys. Vexé, le joueur tourna les talons en marmonnant une phrase incompréhensible, les laissant seul à seul.


- Tu as le chic pour te faire des amis. Je te souhaite sincèrement de le battre car si tu perds, il ne te loupera pas. Je vous ai vus arriver tout à l’heure… vous n’aviez pas l’air très en forme et il manque un joueur… Gary, c’est ça ?


- Qui ça ?


- Pffff, ne fais pas l’idiote… le « Scolopendre »… Il a déclaré forfait au dernier moment ? Ce qui veut dire que tu le remplaces ? Ça va être chaud d’enchaîner deux tournois à la suite…


Silence… Gladys hésita puis posa sa main sur le bras de Franck.


- Oui, ça va être chaud…


à suivre…

 

 

 

 

 

 


 


 

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11 août 2012 6 11 /08 /août /2012 10:34

 

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Gamers (11 et 12)

 

 

Franck Burneys jubilait. Il ne s’était pas déplacé pour rien. C’est son rédac’ chef qui allait grimper aux rideaux. Certes, pas de quoi briguer le prix Pulitzer, mais l’article allait quand même faire un sacré carton. Bien sûr, il avait été tout d’abord surpris par l’anglais du biélorusse, mais à y bien réfléchir, cette vidéo serait le point d’orgue des interviews des joueurs d’AMD. Entre la manière qu’avait ce type de se tenir les épaules courbées en avant, comme une donzelle de 14 ans affligée d’une opulente poitrine et ses lapsus répétitifs, l’accumulation de mots inadaptés en un amphigouri grandiose, l’effet gaguesque était garanti ! Peter s’était montré très à l’aise, mais la palme revenait à Gladys. Une chabraque de première bourre, cette meuf… Plutôt mignonne avec son look androgyne, un rêve d’imprimeur en flexographie… mais quel tempérament ! Il émanait d’elle une force d’attraction démentielle et il lui manquait une hardcore gameuse à son palmarès de plan cul. Il n’avait pas eu le temps de la draguer mais il était certain que sa seule interview ferait le buzz. Pour les deux autres joueurs, l’ambiance était retombée au plus bas. Pas vraiment coopératifs. Il avait dû lourdement insister pour arriver à leur faire aligner quelques phrases avec un sujet, un verbe et un complément. Et le plus jeune de l’équipe avait viré au rouge cramoisi dès le début de l’interview. Mauvais pour l’image un visage couleur sang… Heureusement il y avait eu une cerise sur le gâteau et quelle cerise… l’annonce surprise faite par Larry du lancement des nouveaux casques audio. L’information n’avait jusqu’alors jamais été mentionnée dans aucun communiqué de presse. Il fallait que le sponsor soit vraiment sûr de sa team pour lâcher le morceau. Si l’équipe remportait le tournoi, ce serait un sacré coup de pub pour la boîte et on pouvait s’attendre à voir les actions d’AMD grimper en flèche dès lundi. Un simple coup de fil ce soir à un pote du Financial times lui permettrait d’arrondir confortablement ses honoraires de pigiste. Pendant que son assistant remballait le matériel, il décida d’aller saluer une dernière fois les joueurs et leur sponsor. Au moment où il allait franchir le seuil de la salle Lincoln, la porte se referma sur son nez.


 « Les pisse-copie dégagent ! Ils sont priés de ne plus envahir le bunker ! » perçut-il in extremis.


C’était la voix de Gladys. « Quelle chipie cette fille ! Tordue mais sacrément baisable…j’aurais dû lui filer mon numéro de portable », pensa-t-il en s’éloignant d’un pas pesant.


Dans la salle de réunion, Peter avait commencé à exposer les principes généraux de sa tactique pour les premiers matchs  en mode « recherche et destruction » que l’équipe allait disputer le lendemain. Réunis en cercle autour de lui, les joueurs, conscients de l’enjeu, l’écoutaient avec respect et concentration.


- … Je vous rappelle que quelque soient les atouts dont je vais vous soumettre la liste, le plus important en mode « recherche et destruction » est de contrôler en permanence sa progression. Chaque déplacement doit être réfléchi, prudent, furtif et vos armes doivent être équipées de silencieux. Rien ne doit être laissé au hasard… surtout ne pas se faire repérer, à aucun prix. Pas question pour autant de bannir le rush dans une partie de dix minutes, mais seulement au terme d’une avancée concertée. Alors seulement, j’insiste… débutera la curée… un vrai saccage…Pour les atouts, voici  ce que je vous propose…


Peter commença à énumérer les équipements qui lui semblaient les plus adaptés non seulement aux qualités de chacun de ses partenaires mais également aux contraintes du jeu.


Gladys mimait à la perfection la fille super intéressée et sincèrement motivée. Elle poussa le vice jusqu’à faire semblant de prendre des notes. En réalité, elle fulminait intérieurement d’avoir à supporter cette énième mise au point qui ne la concernait en aucun cas. Elle observait du coin de l’œil Gary et John qui buvaient les paroles du leader. Rien dans leur attitude ne trahissait la moindre inattention ; nul signe de désaccord aux propos de Peter. Ils lui paraissaient même beaucoup trop calmes et conciliants. Elle se répéta dans sa tête que toutes ces idées la détournaient de son unique but : gagner en solo et empocher les 50 000 dollars de prime. Elle était là pour cela et pour rien d’autre. Sa méfiance se délita peu à peu et elle se surprit à penser au journaliste d’Xbox. Belle tronche et sourire ravageur… nonobstant ce chandail bleu layette négligemment noué sur ses épaules, le gars ne l’avait pas laissée indifférente. Une envie de sexe l’envahit subitement… Avec l’argent du tournoi, elle aurait la possibilité d’affréter un bateau dans les caraïbes. Divagations, rêveries…Une île au soleil, sans connexion internet, une cabane avec un pieu, genre futon, juste pour s’envoyer en l’air… Depuis longtemps, un homme ne lui avait pas mis les tripes en feu de cette manière.


« J’aurais dû lui laisser mon numéro de portable… »


Gladys se ressaisit. Qui était-elle au juste et où allaient ses préférences sexuelles? Pas le moment de se poser des questions existentielles. Elle haussa les épaules…


- Tu n’es pas d’accord sur l’emploi d’un drone de soutien ?


Manifestement la question lui était adressée… Six paires d’yeux guettaient sa réponse…Elle balbutia un « si, si… c’est génial…» qui laissa perplexe le reste de la team.


La réunion tirait à sa fin. Larry les invita à prendre du repos et en bonne mère poule les incita à se coucher tôt. Voulant conclure sur une tonalité forte, il ajouta :


- Je veux tout le monde d’attaque demain ! Rendez-vous dans le hall à 8 heures pétantes. Pas d’entraînement sauvage jusqu’à deux heures du mat’. AMD compte sur vous les guerriers… L’honneur d’AMD est en jeu… « Justice, Valor and Honor points» pour vous tous demain… Repos et rompez les rangs… déclara t-il la main sur le cœur…


Les joueurs se regardèrent la mine atterrée. Que leur propre sponsor confonde les règles de Warcraft avec celles de Call of Duty et de Starcraft n’était pas vraiment fait pour leur donner la pêche et qu’il se prenne pour un sergent instructeur de Fort Sill leur mettait les nerfs à vif. Par dérision Peter entonna « The Star-Spangled Banner », bientôt rejoint par Gary, John, Gladys et Anton qui, figé dans un garde à vous impeccable, massacra les paroles de l’hymne national à la plus grande joie de ses co-équipiers.


***


Gladys avait passé une nuit agitée. Impossible de fermer l’œil et il était hors de question la veille d’un tournoi d’avaler un somnifère. Elle avait toujours à l’esprit le journaliste d’Xbox. Ce mec parasitait son sommeil. Elle l’imagina en bermuda, la peau bronzée par le soleil, flânant sur une plage déserte des Grenadines ou enfourchant un jet-ski scooter des mers pour venir la rejoindre au creux d’un lagon paradisiaque. Les images faisaient tellement « cliché », qu’elle s’en voulut, se traita de gourdasse puis se mit à compter des moutons pour pouvoir s’endormir. Mais les moutons l’ennuyèrent. Elle les remplaça par des Protoss et se retrouva dans son jeu favori, ce qui eut pour effet indésirable de la tenir éveillée encore de longues minutes. Lorsque la sonnerie du réveil retentit, elle était incapable de savoir combien de temps elle avait dormi. Un café serré au percolateur et une douche glacée lui remirent les idées en place. À huit heures moins dix elle quitta sa chambre emportant dans son sac à dos le matériel nécessaire pour le tournoi. Dans le hall de l’hôtel, elle retrouva Peter installé dans l’un des fauteuils de cuir noir qu’il affectionnait tant. Un peu plus loin, à l’abri des oreilles indiscrètes, l’équipe d’Intel était déjà regroupée autour de leur sponsor. Celui-ci la salua d’un geste de la main puis chuchota quelques mots à ses joueurs qui se bidonnèrent. Une fois de plus, elle les ignora et sourit à Peter.


- En forme Glad ?


- On ne peut pas rêver mieux ! Dormi comme un bébé…Je n’ai qu’une envie : en découdre au plus vite avec IdrA1  … et clouer le bec à cette bande d’abrutis…


Elle n’avait nulle envie de l’inquiéter et encore moins de lui parler de Franck Burneys.


La porte de l’ascenseur s’ouvrit, libérant Larry, Max et Anton. Stupéfaction ! Larry s’était relooké de la tête aux pieds. Mèches effilées sur le front, blouson Dries Van Noten,  Jean G Star Raw, boots Paul Smith et T-shirt AMD, une taille trop étroite. Gladys grimaça de dégoût.


 - Il a beau se faire un nouveau look, à  l’intérieur, c’est le même plouc !

 

- Tu fais dans l’épigramme maintenant ? railla Peter.


- Dans quoi ?


- Laisse tomber… Gary et John sont en retard, à moins qu’ils ne soient à la cafet’. Bouge pas, je vais aller les chercher…


Pendant que Peter se dirigeait vers la cafétéria, Max s’installa aux côtés de Gladys sur le sofa. Il était radieux et lui montra sur l’écran de son Blackberry un article du Financial Times qui titrait « Percée technologique chez AMD ».


- Franck n’a pas chômé ! Non seulement l’annonce des nouveaux casques est déjà dans la presse mais il en a profité pour parler en termes super élogieux de la team et en particulier d’une certaine gameuse… Tu me suis ? Je ne suis pas censé te mettre dans la confidence mais il m’a rappelé hier soir pour me dire qu’il restait un jour de plus à Providence et devine pourquoi ? Heu ! je devrais sans doute dire pour qui ? Il sera là pendant le tournoi de Starcraft…C’est le grand amour, vous deux !


 - Arrête… Ton Franck, ça craint un max… Si j’avais une jumelle cool, je lui dirais peut-être de se le taper. Ça lui apprendrait au passage à faire la différence entre une meuf swagg et une hardcore gameuse… Il se la pète sévère, genre journaleux branché, agitateur de clebs écrasés…


- Ouais… tu fais comme tu veux. Je le connais depuis longtemps et je peux t’assurer que c’est un mec bien. Plutôt un grand timide, derrière une façade de dur à cuire et de Casanova. Ne te fie pas aux apparences…et puis, mine de rien, vous avez des choses en commun…


- Tiens à propos de grand timide… regarde qui voilà…


John et Peter venaient de sortir de la cafétéria. Un truc clochait. Le jeune joueur était plus pale qu’un linceul. Il essaya maladroitement de sourire au reste de l’équipe, mais sa bouche se tordit comme un gars sur le point de vomir. Max se précipita vers lui et le soutint jusqu’au fauteuil le plus proche.


- Tu ne vas pas tomber en syncope, j’espère…


John le rassura et prétexta qu’il avait forcé sur le café au lait. Il transpirait à grosses gouttes et commença à trembler. Gladys s’approcha de lui pour l’interroger du regard. Il détourna la tête, le corps secoué de longs frissons.


La patience n’était pas le point fort du sponsor. L’ambiance devenait électrique. Larry jeta un coup d’œil à sa montre. Huit heures quinze et toujours pas de Gary. Il l’appela sur son portable et tomba sur sa messagerie. Le meilleur moyen de se faire disqualifier était de se pointer en retard auprès des organisateurs du tournoi. Il ordonna à Max de monter frapper à la porte de Gary et de le ramener manu militari. Les joueurs d’Intel avaient déjà quitté l’hôtel quand le coach revint, la mine défaite.


- J’ai frappé à m’en briser le poignet mais il ne répond pas. Il faut demander à la réception un pass. Gary est peut-être malade…


Larry piqua une colère noire. Il jeta son attaché case sur la table qui heurta de plein fouet un vase de cristal, l’envoyant, lui et son contenu, se répandre en grand fracas sur le sol puis il fonça tel un bulldozer exterminateur vers la réception. Deux minutes plus tard, escorté d’un bagagiste muni d’un pass, il s’engouffra dans l’ascenseur. Arrivés au neuvième étage, ils se précipitèrent vers la chambre de Gary. Lorsqu’ils ouvrirent la porte, c’est une pièce vide au lit non défait qui les accueillit. Aucune trace du joueur. Armoire vide, salle de bain nickel. Le « Scolopendre » avait bel et bien disparu. 

 

 

à suivre…

 

 

 


 


 

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13 juillet 2012 5 13 /07 /juillet /2012 15:13

 

 

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Gamers

 

(9 et 10)

 

 

   Le sponsor d’Intel se leva pour l’accueillir et la présenter à l’homme dont elle ne connaissait jusqu’à présent qu’une nuque plantée sur un corps limite obèse. Lorsqu’elle vit son visage, Gladys eut un bref moment de surprise. La couleur de la peau, la face lisse et ronde, les yeux tirés en amande signaient des origines asiatiques évidentes sans que Gladys puisse en déterminer l’origine exacte. Japonais, coréen, chinois… ? Pour elle, ils se ressemblaient tous.

   - Mister Wang, puis-je vous présenter Gladys Murphy, que vous connaissez sans doute mieux sous le pseudonyme d’Ovocyte007 ? Gladys... Mister Wang… un passionné de sports électroniques et un homme d’affaires réputé à Pékin…

   L’homme hocha la tête et émit un bref « enchanté » sans pour autant daigner afficher un quelconque sourire. D’une main boudinée à l’annulaire orné d’une bague où scintillait un énorme diamant, il indiqua le siège libre à sa droite. D’emblée, Gladys le trouva antipathique. Le mec suait par tous les pores de la peau, le nouveau riche, le requin affairiste sous des airs patelins. À part lui subtiliser son caillou « m’as-tu-vu », il ne présentait à ses yeux pas le moindre intérêt. Elle s’assit du bout des fesses sur la chaise prête à battre en retraite à la moindre occasion, puis elle posa son verre humide sur la table basse, curieuse de découvrir le tour qu’allait prendre la conversation. Ce fut à nouveau le gars d’Intel qui brisa le silence.

   - Mister Wang nous fait l’honneur d’assister cette année au tournoi de la MGL, en dépit d’un emploi du temps particulièrement chargé. Mister Wang parle merveilleusement notre langue et il sait allier à la perfection business et mécénat.

   Il guetta en vain une réaction de la part du chinois.

   - Il est également ici pour inaugurer l’exposition du célèbre peintre chinois Zao Wou-Ki et il y a de fortes chances pour qu’il vous invite au vernissage qui aura lieu en début de semaine prochaine, surtout si vous remportez le titre dans Starcraft ! Vous n’êtes pas la moins performante à ce jeu, me semble-t-il ?

   Gladys se demanda si elle devait apprécier la litote à sa juste valeur ou ne retenir que le ton légèrement ironique sur lequel la phrase avait été prononcée. Les vernissages la faisaient carrément chier et son intérêt pour la peinture s’était arrêté le jour où son institutrice avait déclaré en admirant une gouache représentant Winny, son ourson favori, « Bravo Gladys, il est très beau et très coloré ton tumulus ! ». Qu’est-ce que ces deux zèbres lui voulaient et pourquoi le chinois avait-il rencontré Gary à l’XO? Elle n’imaginait pas un seul instant son pote et le bridé papoter sur les nouveaux courants de la peinture chinoise.

   - Très aimable à vous, déclara-t-elle en fixant droit dans les yeux le soi-disant mécène. Vous m’excuserez, mais, je ne vais pas pouvoir rester longtemps. J’étais descendue pour grignoter quelque chose et je dois me lever tôt demain matin. Une rude journée m’attend… Il est clair que je vais remporter le tournoi en solo de Starcraft et que notre équipe va exploser toutes les autres dans Call of Duty… alors pour les invitations, prévoyez-en cinq… Sur ce…

   Gladys vida d’un trait son verre et se leva de sa chaise.

   - Vous paraissez très sûre de vous, jeune fille…cela dénote du cran… mais nous avons en Chine un proverbe qui dit : « Alors que tu chasses un tigre par la porte de devant, un loup peut entrer par celle de derrière ». Rien n’est jamais acquis d’avance… Cela étant, vous me plaisez… alors je vous souhaite bonne chance, à vous et bien entendu à toute votre équipe. Si par malheur votre parcours n’était pas aussi brillant que vous le prévoyez, n’hésitez pas à me contacter, voici ma carte de visite…

   Le gars lui tendit un bout de bristol au design d’un mauvais goût remarquable. Gladys grimaça un sourire et fit disparaître l’horreur dans la poche arrière de son jean. Elle prit congé, furieuse de n’avoir pas trouvé une réplique assassine pour clouer le bec à ce jean-foutre. Qu’il aille se faire voir avec ses proverbes à la con ! Les nerfs en pelote, elle regagna le bar pour commander un sandwich. Les deux casse-couilles étaient toujours perchés sur leurs tabourets et sirotaient un énième bourbon. Leurs tronches glauques lui donnèrent envie de gerber.

   - Ça marche pas fort, ton petit business, on dirait… Hein, poulette !

   Ces connards la prenaient pour une pute. Aussitôt, ses neurones sonnèrent le branle-bas. Ils ignoraient qu’elle était une spécialiste du « mae moroté jimé », autrement appelé, étranglement de face en jujitsu, et que seule sa fidélité au serment de n’utiliser son savoir qu’en cas d’ultime nécessité lui interdisait de leur faire goûter les poils synthétiques de la moquette. Elle les toisa avec dédain et évalua leur dangerosité à un niveau en dessous du zéro absolu.

   - J’cause pas à des lavettes… susurra-t-elle en faisant vibrer ses longs cils.

   Le moins bourré des deux retint par le bras son compagnon de beuverie dont la face arborait subitement une admirable couleur violette.

   - Laisse tomber, tu vois pas qu’on a à faire à une geekette… sûrement pas clean en plus, vu la tenue destroy… Vise un peu son jean et son T-shirt Starcraft…

   Et de fait, ils laissèrent tomber…

   Gladys profita de l’instant de répit pour enfin commander son sandwich : un «King Trébizonde», aux morceaux d’agneau, de tomates et d’oignons saupoudrés de paprika, le tout arrosé d’huile d’olive et enveloppé dans du pain Pita. De quoi étouffer une armée entière de Zergs.

   - Avec un verre de Muscadin, heu… de Muscadet peut-être ? interrogea le barman.

   Gladys hésita en pensant à la tête qu’elle aurait pour la séance de photos du lendemain. La colère continuait pourtant à faire bouillir le sang dans ses veines. Le chinois, les deux trouducs et le stress accumulé pendant la journée d’entraînement eurent raison de ses bonnes résolutions.

   - Pas un verre mais une bouteille… et glacée mec…

   Il lui restait un peu moins de cinq heures pour récupérer.


 

***

 

 

   Il était tôt et la salle de restaurant était quasiment déserte. Peter se sentait confiant. Après des débuts difficiles, l’équipe avait fini par trouver un mode de fonctionnement plus que satisfaisant. La rivalité entre Gary et Anton s’était estompée pour céder la place à une émulation féconde et John s’était révélé un sniper d’enfer, protégeant le reste du clan avec une efficacité redoutable sans jamais abuser du « quick scope *». Quant à Max, il lui avait laissé peu à peu reprendre son rôle de leader et n’était intervenu que pour distiller au compte-goutte quelques conseils. Il versa une longue rasade de sirop d’érable sur ses pancakes tout en repassant dans sa tête la stratégie qu’il avait concoctée comme un maniaque dans la nuit pour le tournoi du lendemain. Il but une gorgée de café brûlant et choisit sur son Iphone le dernier CD de John Mayer afin de démarrer la journée sur une tonalité carrément cool et folk. Les premiers accords de guitare de « Born and raised » ondulaient dans ses oreilles lorsque Gladys fit son apparition.

   Quelle tronche ! Visiblement, la hardcore gameuse de choc avait passé une nuit blanche. Les traits tirés, des cernes bleuâtres sous les yeux, les cheveux en pétard, elle avançait vers lui comme un robot en rupture de Lithium. Gary enleva ses écouteurs et l’observa avec inquiétude.

   - T’as pas franchement l’air dans ton assiette !

   - Sans dec… ! J’ai un mal de crâne à faire exploser ma cervelle…heu… pour tout te dire, j’ai biberonné au muscadet une partie de la nuit et le vin blanc ça me déglingue sévère. Pas fermé l’œil…Un excès de sulfite et piouff, j’ai les neurones qui s’entrechoquent. Mais, ça va passer, t’inquiète… Y a quoi à becqueter pour le p’tit dèj ?

   - Comme d’hab… au buffet, tu trouveras de tout. Tu ferais bien de te caler l’estomac avec du lourd et de retourner ensuite dans ta chambre te refaire une beauté. Si le journaliste d’Xbox, par malchance, te croise dans cet état, sûr qu’il faudra un pro de photoshop pour que tu ressembles enfin à une meuf potable.

   - Il arrive à quelle heure ?

   - Vers dix heures, d’après Max. T’as trois heures devant toi… C’est jouable… Qu’est-ce qui t’as pris de boire autant ?

   Gladys hésita un instant. Après tout, elle n’avait eu que des impressions négatives, des pressentiments, des doutes. La rencontre de Gary et du chinois n’était pas due au hasard, mais quelque soit l’objet de leur rendez-vous, depuis ce jour, le joueur n’avait manifesté aucune réaction anormale. Bien au contraire. Alors, pourquoi inquiéter Peter la veille du tournoi ? Elle se mordit les lèvres et opta pour un demi mensonge.

   - C’était l’anniversaire de mon défunt père. Mort d’une cirrhose du foie quand j’avais cinq ans. Une flèche dans la catégorie enfoiré-pochard. Une façon, tu vois, de lui rendre hommage…

   Peter parut gober l’explication au grand soulagement de Gladys qui n’en demandait pas tant. Elle en profita pour aller se servir au buffet une assiette de viennoiseries et quelques rogatons de salami. En longeant les consoles débordant de victuailles, elle croisa son reflet dans le grand miroir du restaurant. Peter avait raison. Elle avait une tête de mort-vivant.

   Le journaliste Franck Burneys n’était pas venu seul. Un jeune homme, crâne rasé, l’accompagnait portant à l’épaule, telle une caricature de grand reporter baroudeur, des tonnes d’appareils photos numériques et un caméscope Sony HD dernier cri. L’équipe d’AMD rassemblée dans l’un des salons de réception de l’hôtel arborait les nouveaux T-shirts de leur sponsor ; la séance photo-vidéo-interview pouvait commencer. Larry passa en premier. Il frimait et se montra intarissable pour vanter les mérites de sa Société. John, toujours en retrait, avait le visage livide et se rongeait les ongles avec une rage de damné. Gladys s’approcha de lui pour le réconforter.

   - T’es plus pâle que moi, il y a trois heures ! Ne crains rien… ils vont pas te manger… quelques photos et une p’tite interview de trois minutes. Tu n’auras qu’à me fixer dans les yeux pendant tout le temps du tournage. Je reste à tes côtés pour t’encourager…

   - C’est pas ça…

   - Ben, c’est quoi, alors ?

   - C’est mon frère qui me fait peur…

   - Ton frère ? Quel frère ?

   - Gary… souffla John en baissant la tête

   -  Gary, c’est ton frère ? C’est quoi cette histoire ?

   - En fait, mais tu gardes cela pour toi… je t’en supplie Gladys… Gary est mon demi-frère… on a été élevés par des mormons fondamentalistes qui pratiquent la bigamie. Même mère, mais deux pères différents, donc on ne porte pas le même nom. J’ai peur qu’il fasse une grosse connerie…

   - Quel genre de connerie ?

   - Je peux rien te dire Gladys… j’ai promis…

   - T’as promis cette nuit quand tu t’es pointé dans la chambre de Gary ?

   John parut stupéfait.

   - Je ne pouvais pas dormir… et quand j’ai décidé de descendre au bar boire un verre et manger un sandwich, je t’ai vu frapper à la porte de Gary. Qu’est-ce qui se passe John ? Qu’est-ce Gary trafique ?

   - J’peux pas Gladys… j’ai promis…

   - Je t’aime bien John, mais je te promets que si quoique ce soit met en péril mes chances de gagner ce tournoi, tu auras des comptes à me rendre… Tu te cales ça dans ta petite tête et tu y réfléchis à deux fois.

   - Mademoiselle Gladys Murphy, c’est votre tour…  brailla le journaliste.


*Quick scope : le quick scope consiste à viser et tuer avec un fusil de précision, en une fraction de seconde

 

 

à suivre…

 


 

 

 


 


 

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