Plusieurs semaines s’écoulèrent sans que La Parisette ne donne signe de vie.
En son absence, Lorentz et le hibou Markus s’entretenaient souvent de nuit sur les lois de la perspective et sur la théorie de l’espace euclidien. Si je ne comprenais pas un mot de leurs explications scientifiques, en revanche, le doux son de leurs voix mêlées suffisait à me bercer et à me plonger dans des rêves où la forêt se peuplait de sapins dont les côtés se prolongeaient à l’infini et venaient rendre visite aux étoiles.
On connaît l’excellente vue nocturne des hiboux mais on ignore à tort leur ouïe qui est des plus sophistiquées. Ainsi, à la première aube de septembre il poussa un uhulement qui me sortit de ma torpeur et glaça d’effroi Lorentz. Interrogé sur la raison de son cri, il nous répondit qu’il avait entendu un bruit suspect et inquiétant : un bruit d’herbes froissées, de ricanements étouffés et les gémissements apeurés d’une bête inconnue. La frayeur lui faisant perdre sa sagesse légendaire, il se lança dans une prédiction de catastrophes imaginaires qui, sans la présence rassurante de l’Argoulet, m’aurait donné la force de sortir mes racines de terre et de m’enfuir le plus loin possible du lieu de ma naissance.
Quelques instants suffirent pour donner corps à sa prophétie. La Parisette et La Tourmentine firent leur apparition, traînant dans une cage de branches de bouleau et à roulettes de coquilles de noix, un animal au pelage brun tremblant du bout du museau à l’extrémité de sa longue queue touffue.
Si Markus avait l’ouïe et la vue particulièrement bien développées, il lui manquait un peu d’odorat pour juger de l’horreur de la situation. L’animal empestait tellement que Lorentz préleva un minuscule bout de résine sur mon écorce pour se boucher les narines. Les deux comparses à la mine réjouie tractèrent la cage à quelques pieds de moi et s’assirent sur un coussinet de mousse pour reprendre leur souffle. Je remarquais alors qu’elles ne semblaient guère indisposées par la puanteur ambiante. Au lieu de se boucher le nez, comme tout être sensé l’aurait fait à leur place, elles puisaient dans un petit sac de corolles d’anémones sauvages des gouttes d’une essence rare de fleurs des montagnes dont ensuite elles s’enduisaient abondamment le corps et la chevelure.
Lorentz, d’une voix nasillarde me donna la clé du mystère : l’animal enfermé dans la cage, était un putois qui manifestait sa peur en rejetant ces effluves nauséabondes. Il ne put m’en dire plus, car il porta soudain sa main à son front et je vis ses yeux se plisser, larmoyer, son museau se retrousser jusqu’à ce qu’un terrible éternuement ne fasse valser à quelques mètres de là, les boules de résine protectrices. Les rires aigus des deux lutines déclenchèrent chez le putois une nouvelle vague d’anxiété et en conséquence une nouvelle émission de flux répugnants.
Quelle idée farfelue avait bien pu germer dans la tête des deux lutines pour nous ramener un prisonnier aussi encombrant que malodorant ?
Lorsque je compris que l’Argoulet souffrait d’une sinusite chronique et d’une allergie à l’odeur du putois, tout un pan de l’énigme se leva dans mon esprit. Comme pour me donner raison, La Parisette, après avoir congédié La Tourmentine, réclama de nouvelles parties de jeux de devinettes. Lorentz qui souffrait le martyre de violents maux de tête, n’était plus à même de réfléchir et de donner les bonnes réponses aux questions. La lutine accumula les victoires par ce pitoyable stratagème et son humeur se fit de plus en plus guillerette. Elle prit l’habitude dès que les sinus de mon ami se débouchaient, d’affoler par des pas de danses diaboliques et des cris stridents le pauvre putois enfermé dans sa cage avec le résultat que l’on connaît.
Je mis ces preuves de méchanceté sur le compte de l’exécrable influence de La Tourmentine car le reste du temps, sa légèreté, sa grâce, ses élans de générosité faisaient presque oublier ses mauvais penchants.
L’épisode du putois prit fin au début du mois d’octobre, la réserve d’essence de fleurs qui protégeait La Parisette étant épuisée. L’animal fut libéré de sa cage et manifesta sa panique par un nouveau cadeau olfactif.
Je pensais que nous allions retrouver l’amusante routine et que, Lorentz une fois guéri, nous pourrions reprendre mon éducation, là où sa sinusite l’avait laissée en attente.
Hélas, trois fois hélas, le pire était à venir…
Le malheur s’annonça par de sourds coups répétitifs qui firent s’envoler les oiseaux, déguerpir les lapins de leurs terriers, trembler la sapinière des racines à la cime.
Vous frissonnez dans votre sommeil ? Pourtant vous n’êtes pas au bout de vos peines… Remontez les couvertures et attendez-vous au pire…
A suivre...
©Alaligne