La guerre des crêpes
Deux crêpes dans des poêles tiédissaient doucement
Qu’un beurre identique enrobait de son onguent.
Tout aurait dû les flatter et leur plaire,
Elles devaient être complémentaires.
Oui, mais voilà, l’histoire en voulait autrement
Car ces deux là, se détestaient cordialement.
La plus grande était brune et exhalait une odeur sauvage,
Se flattait de ses origines sarrazines d'un autre âge.
Fille de Sarah et des peuples nomades, graine des Maures
Elle était fière, et rêvait de sa lointaine Afrique du nord.
La plus petite était blanche et sentait le pré mouillé,
Plus fragile, ses tendres graines se semaient à la volée.
Des vastes plaines fertiles de sa douce Normandie
Elle gardait le souvenir de la caresse de la pluie.
La noiraude n’avait goût que pour les épices
Et du sel et du poivre, elle faisait ses délices;
La blondinette se régalait de sucre et de miel
Une goutte de rhum et elle grimpait au ciel.
La première s’étalait sans façon sur un billig à l’antique
Et attendait qu’on la retourne d’un geste précis et énergique.
La seconde, toute dentelée, n’espérait que le moment divin
Où elle sauterait dans les airs d’un gracieux revers de la main.
Trop de différences pour mettre leurs cœurs à l’unisson,
Trop d’œillères pour tenter la moindre conciliation.
Il fallut qu’elles fussent mangées par un grand glouton
Pour ne plus faire qu’une, dans une ultime communion.
©Alaligne