Albertine SARRAZIN
Etrange destinée que celle d’Albertine SARRAZIN!
Née en 1937 à Alger d’une relation extra-conjugale de son père colonel et médecin militaire avec
une servante juive de quinze ans, elle est confiée anonymement et sur ordre paternel à l’Assistance publique. Pourtant en 1939, le père décide de l’adopter tout en cachant à sa femme Thérèse les
liens du sang qui le lient à Albertine. Le couple quitte Alger en 1947 et s’installe à Aix en Provence où Albertine, rebaptisée Anne-Marie, suit l’enseignement rigoureux du collège Sainte
Catherine de Sienne, établissement où elle se fait remarquer par d’excellents résultats scolaires.
Bonne élève, mais rebelle et indisciplinée, tout au moins aux yeux de son père, elle commence
dès 1949 à écrire dans de nombreux cahiers à spirales des « aventures ». Violée par un oncle vers l'âge de dix ans, elle se tait et sa révolte prend un caractère de plus en plus
agressif. Son comportement lui vaut l’internat, des visites chez un psychiatre qui recommande fortement aux parents adoptifs un éloignement familial, tout en la jugeant parfaitement
normale. Envoyée de force dans l’établissement du Bon Pasteur à Marseille où elle est censée rester jusqu’à sa majorité et où elle est à nouveau rebaptisée (à l'instar de toutes les
pensionnaires arrivant dans cet établissement) Anick.
En effet, dans les années 50-60, on enfermait des jeunes filles dans les couvents du Bon Pasteur
afin de les mettre dans le droit chemin. Leur faute ? Etre filles-mères, fugueuses, pauvres, abandonnées ou considérées comme ayant « le diable au corps » parce qu'elles avaient embrassé
un garçon. Histoires narrées dans un téléfilm récent « Les diablesses du Bon Pasteur » où l’on découvre ce qu'étaient ces institutions religieuses où l'on cassait la personnalité des
adolescentes. On changeait leur prénom, on coupait leurs cheveux, on bandait leur poitrine pour occulter leur corps et on vérifiait qu'elles étaient vierges. Leurs journées, ponctuées de prières,
étaient consacrées à des tâches ingrates. A leur majorité (21 ans), elles sortaient déshumanisées. Ces institutions (une centaine) ont fermé dans les années 70.
Elle y passe la première partie de son Bac qu’elle obtient avec mention
Bien.
En rupture de bans, elle s’enfuit du Bon Pasteur et se réfugie à Paris où elle retrouve
une camarade de l’établissement. Commence alors pour le duo une vie de rapines et de prostitution. Lors d’un retour éclair dans la maison familiale, elle vole à son père son pistolet et retourne
à Paris où toujours accompagnée de son amie, elle se lance dans le hold-up.
L’affaire tourne mal, sa compagne blessant une vendeuse d’un coup de revolver. Le duo prend la fuite mais se fait arrêter rapidement par la police Boulevard Saint-Michel. Envoyée à Fresnes,
Albertine commence à écrire des poèmes, reprend ses études et passe son Bac de terminale.
En novembre 1955, les deux amies comparaissent aux assises des mineures de la Seine ; le procès
se déroule à huis clos. Albertine, loin de montrer de la repentance, nargue ses juges et les jurés de la cour d'assises : « Je n'ai aucun remords. Quand j'en aurai, je vous préviendrai »,
dit-elle au procès. Elles sont condamnées mais comme elle est considérée comme le « cerveau » du braquage, elle écope de sept ans de prison contre cinq pour sa comparse.
Incarcérée à Fresnes, puis à la prison-école de Doullens dans le Nord de la France, c’est dans cette prison qu’elle apprend la décision de ses parents de révoquer l’adoption plénière, chose
rarissime en France.
En 1957,
elle s’inscrit au certificat d’études littéraires générales classiques, se retrouve au cachot pour avoir embrassé une autre détenue sur la bouche, puis s'évade de la prison le 19 avril en
sautant d'une hauteur de dix mètres.
Dans sa chute elle se brise l’astragale et se traîne en rampant jusqu’au bord d’une route
nationale où un jeune malfrat Julien Sarrazin, la trouve. Il la cache chez sa mère, la soigne et en tombe amoureux. L’idylle se poursuit en cachette; le couple s’installe dans le Val de
Marne mais en mars 1958, Julien est arrêté et incarcéré à Boulogne. Seule à Paris, Anick recommence à se prostituer jusqu’à la libération de Julien.
Ils partent vivre à Calais. Le vol étant leur seule occupation et source de revenus, ils
se font arrêter le 8 septembre 1958 et si Julien bénéficie d’une relaxe, Anick est condamnée à finir sa peine de Doullens. Transférée ensuite à la prison d’Amiens, elle s’occupe de l’entretien,
de la couture, étudie la philosophie et l’anglais, écrit des poèmes. En février 1959, encadrés de deux gendarmes, les jeunes gens se marient.
En prison, Anick commence la rédaction de La Cavale.
Julien, libre, continue ses cambriolages et est de nouveau arrêté. Condamné à une peine de
18 mois, il est libéré en septembre 1960. De son côté, Anick obtient une grâce de sept mois, et sort de prison.
La vie du couple engrange les malheurs avec un accident de voiture qui coûtera la vie à la
mère de Julien et de nouvelles arrestations pour divers cambriolages.
Libérée le 6 juin 1963, Anick s’installe à Alès pour se rapprocher de Julien qui purge une
peine à la prison de Nîmes et devient pigiste au Méridional pour gagner sa vie. Le 7 avril elle est surprise en train de voler une bouteille de whisky dans un Prisunic et condamnée à quatre mois
de prison. Elle y écrit « Les soleils noirs » qui deviendront « L’astragale ».
En 1964, enfin l’un et l’autre libérés, ils s'installent dans une vieille maison aux
Matelles (qu'elle appellera la « Tanière ») près de Montpellier. Ils y sont hébergés par Maurice, un ancien client d'Albertine qui vient d'y prendre sa retraite et la poursuit d'un amour tout
platonique.
27 avril 1964, le directeur d’édition Jean-Pierre Castelnau accepte les manuscrits de
L’Astragale et de La Cavale. Anick part alors Montpellier, pour corriger les dernières épreuves. En 1966, elle est enfin reconnue et célébrée.Elle apprend dans la foulée que ses romans vont être
publiés par l'éditeur Jean-Jacques Pauvert. Le succès est immédiat.
Adulée par ceux-là même qui l'avaient méprisée, elle est traduite dans toutes les langues. On la sollicite, on la photographie, on lui demande des autographes. C'est sa revanche sur ses malheurs
passés.
Sa singulière beauté, sa spiritualité, sa fantaisie sont appréciées et elle multiplie les interviews. Albertine est ravie de cette nouvelle gloire dont elle ne doutait pas et qu'elle attendait
avec impatience ; même si elle n'est pas dupe, sachant reconnaître l'hypocrisie où elle se trouve, sachant que certains ne sont pas mus par l'admiration de son oeuvre mais bien par une curiosité
malsaine.
La même année, elle reçoit le prix des quatre-jurys 1966. Elle achève La Traversière
et l' ouvrage est publié le 25 novembre.
En 1967, elle meurt à Montpellier des suites d'une opération du rein mal préparée,
fatiguée par l'alcool, le tabac, deux autres opérations récentes et sa vie chaotique. L'anesthésiste (non diplômé) ne l'a jamais vue et ne connaît ni son groupe sanguin, ni son poids (le minimum
pour opérer) ; de plus, elle n'est pas surveillée en salle de réveil et comble de la négligence, il n'y avait pas de sang de réserve dans la clinique de Montpellier.
Julien attaque l'équipe chirurgicale en justice : le parquet s'empresse d'abord de classer cette mort sans suite. Il fait appel
et gagne son procès : le chirurgien et l'anesthésiste de la clinique Saint-Roch sont condamnés à deux mois de prison avec sursis et 90 000 francs d'amende pour homicide involontaire. Peine
légère, mais amende lourde pour l'époque.
Bibliographie :
L'Astragale (Jean-Jacques Pauvert, 1965)
La Cavale (Jean-Jacques Pauvert, 1965) adapté au cinéma par Michel Mitrani en 1971
La Traversière (Jean-Jacques Pauvert, 1966)
Romans, lettres et poèmes (Jean-Jacques Pauvert, 1969)
Poèmes (Jean-Jacques Pauvert, 1969)
Lettres à Julien (Pauvert, 1971)
Journal de prison 1959 (éditions Sarrazin, 1972)
La crèche, bibiche, l'affaire saint-jus, le laveur (nouvelles, éditions Sarrazin, 1973)
Lettres de la vie littéraire (Pauvert, 1974)
Le Passe-Peine (Julliard, 1976)
Biftons de prison (1976)
Journal de Fresnes
L'ensemble de ces livres a été tiré à plus de 3 millions d'exemplaires
Son écriture:
Ce n'est certainement pas cette dédicace minimaliste d'Albertine Sarrazin qui va nous permettre de faire un portrait fouillé. La simplicité de l'écriture et de la signature au bic bleu,
ne laisse à aucun moment passer l'image d'une jeune femme en révolte, maniant le revolver et défiant les forces de l'ordre. Tout juste signalerons nous, cette curieuse absence de marge du
haut qui selon les contextes et les écritures peut indiquer qu'elle cherche à abolir la distance de ce qui la sépare de ce qu'elle craint dans une attitude de défi. Identification à
l'agresseur? Stratégie pour impressionner l'autre?
Les grands espaces blancs dans la signature, celui entre le mot "en" et "hommage", sont des traces d'un besoin d'éloignement, de coupure par rapport à ce qui pourrait venir empiéter
sur un terrain personnel, interférer sur ses sentiments. Ecriture qui s'isole du reste du monde, traduisant là aussi peut-être (?) les longs moments passés en
prison.
Pour en savoir plus sur Albertine Sarrazin, je vous recommande le site suivant:
http://www.albertine-sarrazin.fr/