1 décembre 2007
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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
(20) Où Abel Beaujour a bien du mal à rester zen
(20) Où Abel Beaujour a bien du mal à rester zen
Aussi incroyable que cela puisse paraître, une minuscule pousse d’un vert tendre tentait de se frayer un passage
entre les deux rameaux chétifs du cotonéaster. Qu’en plein mois de décembre la plante ait trouvé la vigueur printanière de répandre sa sève vers de nouveaux horizons, aussi modestes
soient-ils, récompensait Abel de sa fidélité au calendrier. Une tasse de café noir à la main, il risqua cette fois une vérification en direction du cadre de la photo. Il crut y
découvrir de nouvelles formes, plus distinctes que les premières. Une nouvelle observation attentive généra une amère déception. Il avait voulu voir sa femme et sa fille, il avait
voulu retrouver leurs sourires au pied du sapin. Le fond de velours gris aux vagues marbrures claires lui redonna le sens des réalités. C’est donc sans se bercer d’espoir inutile
qu’il alla chercher son courrier. Il fit le tri des différents prospectus publicitaires, prit le journal et regagna la cuisine pour faire ses mots croisés. Il commença par une
définition facile sur un mot de trois lettres et dans les cases correspondant à « ne donne pas droit à l’échange », il inscrivit le mot « ace ».
Filou attendit qu’il ait fini la grille pour manifester son envie de promenade matinale. Il appréciait les marches qui devenaient de plus en plus longues et qui lui faisaient découvrir des ruelles cachées où de nouvelles odeurs excitaient son flair de chasseur. L’une d’elles qui fleurait le parfum enivrant d’une bande de matous en goguette le ravissait à l’extrême. Aller s’aventurer sur leur territoire devenait pour le fox une nécessité urgente. Voyant qu’Abel traînait, il le rappela à ses devoirs de maître par des jappements de plus en plus exaspérés. Les manifestations d’impatience de Filou se doublèrent d’une imitation fort réussie de Myrtille. Abel leva les yeux au plafond en signe d’impuissance. Si les deux animaux faisaient front commun, il ne pouvait que se rendre à leur tyrannie.
Filou attendit qu’il ait fini la grille pour manifester son envie de promenade matinale. Il appréciait les marches qui devenaient de plus en plus longues et qui lui faisaient découvrir des ruelles cachées où de nouvelles odeurs excitaient son flair de chasseur. L’une d’elles qui fleurait le parfum enivrant d’une bande de matous en goguette le ravissait à l’extrême. Aller s’aventurer sur leur territoire devenait pour le fox une nécessité urgente. Voyant qu’Abel traînait, il le rappela à ses devoirs de maître par des jappements de plus en plus exaspérés. Les manifestations d’impatience de Filou se doublèrent d’une imitation fort réussie de Myrtille. Abel leva les yeux au plafond en signe d’impuissance. Si les deux animaux faisaient front commun, il ne pouvait que se rendre à leur tyrannie.
« J’ai compris… Si vous m’autorisez encore un petit instant, souffrez en silence que je prenne connaissance
des consignes du calendrier » gronda-t-il en haussant la voix.
Est-ce le ton employé ou le mot calendrier, mais les aboiements cessèrent simultanément. Un silence respectueux
envahit la demeure.
Il restait bien peu de cases à ouvrir et le chiffre dix-huit fut facile à trouver.
« Très cher! Nous sentons monter en vous l’excitation des derniers jours avant Noël. Il vous faut pourtant
être encore patient et entretenir ce lien qui nous lie depuis tant de jours. Il vous sera toujours temps de nous jeter dans l’âtre le soir des réjouissances. C’est bien de patience
dont nous souhaitons vous entretenir aujourd’hui. Pas de la patience de celui qui aspire à la sagesse mais la douce patience de celui qui s’ouvre à l’inattendu. Pour plus de
précisions, référez-vous à l’enseignement de Bouddha. Subhutiquement vôtre, le Calendrier. »
Abel s’interrogea. Le calendrier se lançait-il dans le prosélytisme, et aurait-il des visées inavouables?
Cherchait-on par des chemins sinueux à le gagner à une cause, à le convertir, lui, l’athée, à une religion? Tolérant, il l’était mais pas au point de supporter n'importe quelle
pression. Pacifique, il l’était aussi, tout en étant prêt à lutter avec force et conviction contre des gourous. Un élément du message le fit pourtant sourire quand il vit
Filou céder une seconde fois à l’impatience et reprendre ses aboiements. Mais le chien avait eu droit à deux vœux, un troisième eut été du gaspillage. Abel ne fit pas le vœu. En
revanche, il choisit une longue laisse d’un tendre gris bleu et chercha dans sa penderie une écharpe de soie assortie. Abel aimait les demi-teintes. Un coup d’œil dans le miroir de
l’entrée l’assura qu’il était fort présentable. La balade serait longue, subtile et romantique. Une promenade zen avant la réunion du Conseil municipal de l’après-midi.
Il prit le chemin le plus court pour gagner les rives de la Louve. Un ancien chemin de halage suivait le cours
rectiligne de la rivière. Sur plusieurs kilomètres on avait planté des saules pleureurs le long du parcours et installé des bancs de bois pour le repos des promeneurs. Abel en repéra
un dont le dossier au fil des années était devenu le musée des amours adolescentes de la ville. De multiples canifs plus ou moins maladroits y avaient laissé l’empreinte de cœurs
enlacés et d’initiales entremêlées. Il s’assit en épiant de droite à gauche la présence éventuelle d’un indiscret. L’horizon libre, il sortit de sa poche un petit opinel et entailla
le bois d’un geste précis. Lorsqu’il fut l’heure pour lui et Filou de quitter le lieu, les lettres « a » « l » et « c » tenaient naïvement compagnie au
petit peuple des amoureux.
A quatorze heures pile, la séance démarra.
Si enseigner le silence intérieur, faire taire les luttes et les conflits étaient le grand dessein du
Bouddha pour les hommes, son enseignement déserta rapidement l’esprit des participants. Le vent de
la discorde soufflait en rafales et éparpillait aux quatre coins de la table les pages d’un dossier soigneusement préparé par Laforgue. Hors la taille et la forme de l’hémicycle, on
se serait cru au Palais Bourbon. Gontran de la Perronière si souvent à cheval sur les questions d’étiquette n’avait pas hésité à tomber la veste, à desserrer le nœud de sa cravate
pour incendier son collègue, vitupérer et blâmer ses opposants. Il était aidé dans cette tâche par Madame Jouvence, une ancienne juriste qui s’occupait de la rédaction du bulletin
municipal et qui était connue pour son franc parler et son tempérament soupe au lait.
L’attitude impassible de Laforgue, loin de lui valoir le respect, attisait l’arrogance des propos et la virulence des critiques. Mais, pour la première fois, l’homme affichait une quiétude et une maîtrise de soi profonde et naturelle. Abel qui n’était pas encore intervenu, l’observait avec intérêt. Lorsque Laforgue déposa sur la table la liste des signataires d’une pétition contre le projet de voie rapide, Madame Jouvence s’empara de la liste et énonça un à un, à voix haute et distincte, les noms et prénoms. Hors les calembours inévitables sur certains patronymes, chacun s’exerça à sortir de sa mémoire de vieux griefs et de pitoyables anecdotes sur le compte des absents. Le lynchage verbal prit de l’ampleur et le couvercle de bon sens et de pudeur ayant valsé de la cocotte minute des rancœurs, les ragots les plus bas purent enfin s’exprimer.
L’attitude impassible de Laforgue, loin de lui valoir le respect, attisait l’arrogance des propos et la virulence des critiques. Mais, pour la première fois, l’homme affichait une quiétude et une maîtrise de soi profonde et naturelle. Abel qui n’était pas encore intervenu, l’observait avec intérêt. Lorsque Laforgue déposa sur la table la liste des signataires d’une pétition contre le projet de voie rapide, Madame Jouvence s’empara de la liste et énonça un à un, à voix haute et distincte, les noms et prénoms. Hors les calembours inévitables sur certains patronymes, chacun s’exerça à sortir de sa mémoire de vieux griefs et de pitoyables anecdotes sur le compte des absents. Le lynchage verbal prit de l’ampleur et le couvercle de bon sens et de pudeur ayant valsé de la cocotte minute des rancœurs, les ragots les plus bas purent enfin s’exprimer.
Alors que Laforgue arborait un visage aussi impassible que celui d’un acteur de Kabuki de l’empire du soleil
levant, Abel sentait le sien s’empourprer et des ondes se propager le long de ses membres. L’adrénaline était de nature contagieuse. En dépit des efforts consentis pour accorder à
Madame Jouvence une ultime chance de repentance, il savait qu’au prochain accès de bassesse, il sortirait de ses gonds. Par fidélité au calendrier Abel ferma les yeux et fit son
vœu.
Hélas, la victime suivante étant madame Leboeuf, la charmante directrice de l’école qui lui avait confié le
jeune Cédric, Abel trouva l’occasion rêvée pour faire entendre sa voix.
Il interpella un à un ses collègues et sur un ton glacial et tranchant qu’il ne connaissait pas lui-même, les
rappela à un devoir de respect élémentaire. Il pesa ses mots, les ajusta à la personnalité de chacun, les soumit au difficile exercice de l’examen de conscience. Il réserva son
dernier trait pour monsieur le maire. N’ayant plus rien d’autre à dire, il annonça sa démission.
Dans un silence de plomb, il ramassa ses affaires, salua Laforgue et tourna les talons. Au moment où sa main se
posait sur la poignée de la porte, un sifflement sec l’arrêta dans son geste. Tournant la tête, il vit Gontran deux doigts posés sur les lèvres. L’assemblée le dévisageait avec
stupeur. Monsieur le maire laissa sa main retomber négligemment sur le bord de la table. La confusion se lisait sur son visage. Puis il fut secoué d’un petit rire nerveux qui peu à
peu se transforma en un immense fou-rire. Les yeux humides, il se tapait sur les cuisses et lorsqu’il fut à même de pouvoir aligner quelques mots sans s’étrangler de rire, ce fut pour
déclarer avec l’intonation de ses huit ans : « Je sais le faire… Je sais le faire… »
Abel sourit, ouvrit la porte et déclara sans se retourner :
« Je suis heureux pour toi, Gontran »
à suivre....
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