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  • : Ecritures à la loupe
  • : Présenter des écritures manuscrites d'écrivains célèbres avec une étude graphologique, des comptines pour enfants, l'un de mes romans et beaucoup de mes coups de coeur, voilà l'objectif de ce blog. J'espère que vous vous y sentirez également chez vous...
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1 décembre 2007 6 01 /12 /décembre /2007 16:46



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Le calendrier de l’Avent
 
Contes et nouvelles

(20)  Où Abel Beaujour a bien du mal à rester zen


Aussi incroyable que cela puisse paraître, une minuscule pousse d’un vert tendre tentait de se frayer un passage entre les deux rameaux chétifs du cotonéaster. Qu’en plein mois de décembre la plante ait trouvé la vigueur printanière de répandre sa sève vers de nouveaux horizons, aussi modestes soient-ils, récompensait Abel de sa fidélité au calendrier. Une tasse de café noir à la main, il risqua cette fois une vérification en direction du cadre de la photo. Il crut y découvrir de nouvelles formes, plus distinctes que les premières. Une nouvelle observation attentive généra une amère déception. Il avait voulu voir sa femme et sa fille, il avait voulu retrouver leurs sourires au pied du sapin. Le fond de velours gris aux vagues marbrures claires lui redonna le sens des réalités. C’est donc sans se bercer d’espoir inutile qu’il alla chercher son courrier. Il fit le tri des différents prospectus publicitaires, prit le journal et regagna la cuisine pour faire ses mots croisés. Il commença par une définition facile sur un mot de trois lettres et dans les cases correspondant à « ne donne pas droit à l’échange », il inscrivit le mot « ace ».
      
Filou attendit qu’il ait fini la grille pour manifester son envie de promenade matinale. Il appréciait les marches qui devenaient de plus en plus longues et qui lui faisaient découvrir des ruelles cachées où de nouvelles odeurs excitaient son flair de chasseur. L’une d’elles qui fleurait le parfum enivrant d’une bande de matous en goguette le ravissait à l’extrême. Aller s’aventurer sur leur territoire devenait pour le fox une nécessité urgente. Voyant qu’Abel traînait, il le rappela à ses devoirs de maître par des jappements de plus en plus exaspérés. Les manifestations d’impatience de Filou se doublèrent d’une imitation fort réussie de Myrtille. Abel leva les yeux au plafond en signe d’impuissance. Si les deux animaux faisaient front commun, il ne pouvait que se rendre à leur tyrannie.
    
« J’ai compris… Si vous m’autorisez encore un petit instant, souffrez en silence que je prenne connaissance des consignes du calendrier » gronda-t-il en haussant la voix.
      
Est-ce le ton employé ou le mot calendrier, mais les aboiements cessèrent simultanément. Un silence respectueux envahit la demeure.
Il restait bien peu de cases à ouvrir et le chiffre dix-huit fut facile à trouver.
    
« Très cher! Nous sentons monter en vous l’excitation des derniers jours avant Noël. Il vous faut pourtant être encore patient et entretenir ce lien qui nous lie depuis tant de jours. Il vous sera toujours temps de nous jeter dans l’âtre le soir des réjouissances. C’est bien de patience dont nous souhaitons vous entretenir aujourd’hui. Pas de la patience de celui qui aspire à la sagesse mais la douce patience de celui qui s’ouvre à l’inattendu. Pour plus de précisions, référez-vous à l’enseignement de Bouddha. Subhutiquement vôtre, le Calendrier. »
        
Abel s’interrogea. Le calendrier se lançait-il dans le prosélytisme, et aurait-il des visées inavouables? Cherchait-on par des chemins sinueux à le gagner à une cause, à le convertir, lui, l’athée, à une religion? Tolérant, il l’était mais pas au point de supporter n'importe quelle pression. Pacifique, il l’était aussi, tout en étant prêt à lutter avec force et conviction contre des gourous. Un élément du message le fit pourtant sourire quand il vit Filou céder une seconde fois à l’impatience et reprendre ses aboiements. Mais le chien avait eu droit à deux vœux, un troisième eut été du gaspillage. Abel ne fit pas le vœu. En revanche, il choisit une longue laisse d’un tendre gris bleu et chercha dans sa penderie une écharpe de soie assortie. Abel aimait les demi-teintes. Un coup d’œil dans le miroir de l’entrée l’assura qu’il était fort présentable. La balade serait longue, subtile et romantique. Une promenade zen avant la réunion du Conseil municipal de l’après-midi.
      
Il prit le chemin le plus court pour gagner les rives de la Louve. Un ancien chemin de halage suivait le cours rectiligne de la rivière. Sur plusieurs kilomètres on avait planté des saules pleureurs le long du parcours et installé des bancs de bois pour le repos des promeneurs. Abel en repéra un dont le dossier au fil des années était devenu le musée des amours adolescentes de la ville. De multiples canifs plus ou moins maladroits y avaient laissé l’empreinte de cœurs enlacés et d’initiales entremêlées. Il s’assit en épiant de droite à gauche la présence éventuelle d’un indiscret. L’horizon libre, il sortit de sa poche un petit opinel et entailla le bois d’un geste précis. Lorsqu’il fut l’heure pour lui et Filou de quitter le lieu, les lettres « a » « l » et « c » tenaient naïvement compagnie au petit peuple des amoureux.
          
A quatorze heures pile, la séance démarra.
     
Si enseigner le silence intérieur, faire taire les luttes et les conflits étaient le grand dessein du Bouddha pour les hommes, son enseignement déserta rapidement l’esprit des participants. Le vent de la discorde soufflait en rafales et éparpillait aux quatre coins de la table les pages d’un dossier soigneusement préparé par Laforgue. Hors la taille et la forme de l’hémicycle, on se serait cru au Palais Bourbon. Gontran de la Perronière si souvent à cheval sur les questions d’étiquette n’avait pas hésité à tomber la veste, à desserrer le nœud de sa cravate pour incendier son collègue, vitupérer et blâmer ses opposants. Il était aidé dans cette tâche par Madame Jouvence, une ancienne juriste qui s’occupait de la rédaction du bulletin municipal et qui était connue pour son franc parler et son tempérament soupe au lait.
         
L’attitude impassible de Laforgue, loin de lui valoir le respect, attisait l’arrogance des propos et la virulence des critiques. Mais, pour la première fois, l’homme affichait une quiétude et une maîtrise de soi profonde et naturelle. Abel qui n’était pas encore intervenu, l’observait avec intérêt. Lorsque Laforgue déposa sur la table la liste des signataires d’une pétition contre le projet de voie rapide, Madame Jouvence s’empara de la liste et énonça un à un, à voix haute et distincte, les noms et prénoms. Hors les calembours inévitables sur certains patronymes, chacun s’exerça à sortir de sa mémoire de vieux griefs et de pitoyables anecdotes sur le compte des absents. Le lynchage verbal prit de l’ampleur et le couvercle de bon sens et de pudeur ayant valsé de la cocotte minute des rancœurs, les ragots les plus bas purent enfin s’exprimer.
       
Alors que Laforgue arborait un visage aussi impassible que celui d’un acteur de Kabuki de l’empire du soleil levant, Abel sentait le sien s’empourprer et des ondes se propager le long de ses membres. L’adrénaline était de nature contagieuse. En dépit des efforts consentis pour accorder à Madame Jouvence une ultime chance de repentance, il savait qu’au prochain accès de bassesse, il sortirait de ses gonds. Par fidélité au calendrier Abel ferma les yeux et fit son vœu.
       
Hélas, la victime suivante étant madame Leboeuf, la charmante directrice de l’école qui lui avait confié le jeune Cédric, Abel trouva l’occasion rêvée pour faire entendre sa voix.
         
Il interpella un à un ses collègues et sur un ton glacial et tranchant qu’il ne connaissait pas lui-même, les rappela à un devoir de respect élémentaire. Il pesa ses mots, les ajusta à la personnalité de chacun, les soumit au difficile exercice de l’examen de conscience. Il réserva son dernier trait pour monsieur le maire. N’ayant plus rien d’autre à dire, il annonça sa démission.
      
Dans un silence de plomb, il ramassa ses affaires, salua Laforgue et tourna les talons. Au moment où sa main se posait sur la poignée de la porte, un sifflement sec l’arrêta dans son geste. Tournant la tête, il vit Gontran deux doigts posés sur les lèvres. L’assemblée le dévisageait avec stupeur. Monsieur le maire laissa sa main retomber négligemment sur le bord de la table. La confusion se lisait sur son visage. Puis il fut secoué d’un petit rire nerveux qui peu à peu se transforma en un immense fou-rire. Les yeux humides, il se tapait sur les cuisses et lorsqu’il fut à même de pouvoir aligner quelques mots sans s’étrangler de rire, ce fut pour déclarer avec l’intonation de ses huit ans : « Je sais le faire… Je sais le faire… »
         
Abel sourit, ouvrit la porte et déclara sans se retourner :
« Je suis heureux pour toi, Gontran »
  
  
 
           

à suivre.... 


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commentaires

C
Rahhhhhhhhhh ces chutes !!! et je chute avec toi et avec délice... encore... Mais derrière il y a quoi au juste... pff ?
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A
Je trouve cet épisode d'une grande virtuosité. Bourré de "formules" qui font mouche. On sent également une mutation profonde chez Abel, cet homme prend de l'épaisseur.
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A
Est-ce la colère, l'indignation qui lui donne cette épaisseur? c'est vrai que j'ai parfois tendance à faire dans "l'aquarelle" surtout pour un conte... ta remarque me donne des idées pour un prochain écrit... ;)
C
après la carte des cafés du monde entier, les oiseaux exotiques et consorts...une écriture qui sait si bien dépeindre les ambiances "bien-de-chez-nous" (sans chauvinisme aucun..l'esprit de clocher des bourgs et hameaux..les feux de boisetc)  tout en sachant trouver le charme de l'ailleurs...aller-retour chez les Uchis de Kyoto via un livret de théâtre  - retrouvé dans ta poche? et pis une voie himalayenne chez Siddharta...continue à me régaler ...goulûment...
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A
Yes Ced... J'aime bien décrire des ambiances confinées avec des ouvertures "flash" sur l'extérieur... lieu, idées, personnes etc...Une façon aussi de dire que ce n'est pas incompatible... Pour le Subuki... c'est plutôt une reminiscence de lecture...
V
Le matin,jai du mal à lire le calendrier,alors,je garde mes vignettes ds une enveloppe pour qd j'aurais un peu de tps.Je suis gourmande,alors parfois,j'en croque un bout et je le savoure...VITa
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A
la gourmandise est tout sauf un vilain défaut... :)
C
L'impatience de t'adresser mon commentaire m'a fait omettre la relecture : résultat, le "quant à" s'est transformé en "quand à"... pas joli joli !!!
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A
pas grave... ;)
C
Je rejoins le commentaire de Cyril quand à une éventuelle remarque que j'aurais pu faire sur cette légère discordance. Ceci dit, je reste néanmoins pendue à tes lignes, avec de nouveau ce sentiment de frustration de ne pouvoir continuer ma lecture faute de matière... Mais c'est bien le but d'un calendrier de l'Avant non ? Apprendre aux enfants à patienter.... Je crains de n'être restée qu'une enfant sur ce coup là, rongée par l'impatience du lendemain ! Vivement demain alors !
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A
me suis rangée à ton avis et à celui de Cyril... passage modifié... ;)
M
un petit coucou de retour du Maroc ;)que de retard après une absence de 4 semaines.lolbises jaguar placide
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A
heureuse de te retrouver sur ces pages... Marc... Si le coeur t'en dit... ce conte attend ta lecture et tes critiques... T'embrasse très fort
C
Pour quelqu'un d'athée, je trouve Abel bien réceptif au calendrier ..Pour quelqu'un de pacifique, l'empalement n'est pas ce qu'il y a de plus réjouissif, ni qui inspire la paix.Ceci cit...Génial! Vivement la suite...Bises Cathy
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A
tes remarques sont pertinentes Zé et je compte effectivement reprendre ce passage en "seconde " écriture... Parfois, je me laisse un peu aller... Gros bisous
L
... Détrompe-toi, tu ne tomberas pas: Je t'ai mis de l'apesanteur en cachette dans tes chaussures. Chuuuuuuuuuuut
Répondre
A
Alors... si en plus j'ai ton aide.... promis... je ne dis rien... lol
P
Je te sens heureuse d'écrire... Heureuse d'aimer. Je te sens, te vois en susppension au-dessus de la salle et inonder le conseil de ton sourire Matriarcal. Abel est un bonheur et tu es sa... Mère.Et.... Je t'aime pour çaBBB EBPE..........................Piotr, homme fils d'Abel
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A
Sa mère plumitive certes... si non tu me vieillis quand même beaucoup!!! Quant à me voir en suspension dans la salle, l'image est belle mais je me vois aussi tomber comme une pierre et m'écraser le nez au sol dans les rires et les sarcasmes de l'Assemblée...T'embrasse petiot...