Jean DUTOURD
Jean Dutourd est né à Paris, le 14 janvier 1920. Sa mère meurt quand il avait
sept ans. Il se marie en 1942 avec Camille Lemercier, le philosophe Gaston Bachelard étant son témoin. Fait prisonnier au début de 1944, il réussit à s'évader et rentre à Paris suivre ses études
de philosophie. Licence qui restera incomplète, car il ne parvint jamais à décrocher son certificat de psychologie...
Son premier ouvrage, "Le Complexe de César", paraît en 1946 et obtient le prix Stendhal. En 1950, il reçoit le prix Courteline
pour « Une tête de chien » et, en 1952, le prix Interallié pour « Au bon beurre », scènes de la vie sous l'Occupation. Le prix Prince Pierre de Monaco lui est décerné, en
1961, pour l'ensemble de son œuvre.
Le 14 juillet 1978, une bombe fait sauter son appartement, déposée par des gens qui « n'aimaient pas son style ».
Est-ce cet incident qui lui vaut d'être élu à L'Académie française après deux refus ? Toujours est-il qu'il revêt l'habit vert et prend possession du fauteuil de Jacques Rueff, le 30
novembre de la même année.
En 2001, alors qu'il pense avoir de beaucoup passé l'âge des
récompenses, c'est le prix Saint-Simon pour "Jeannot, mémoires d'un enfant" qui lui est attribué.
Dans ses articles et les quelque 60 romans, essais ou autobiographies qu'il a écrits, cet écrivain à contre courant des modes littéraires, politiques et intellectuelles de son époque n'a cessé de déployer son énergie à fustiger «ce siècle industriel» qui le dégoûte, et à soupirer après «ce temps béni» où, sous Louis XV, l'agriculture et la littérature faisaient tourner le monde. Critique virulent d'un XXe siècle dont il ne retient que trois choses positives: le chemin de fer, l'électricité et le stylo-feutre, il considère tout le reste comme bon à jeter. Membre éminent du club des ronchons, son slogan officiel «En arrière toute!» lui va comme un gant ainsi que son objectif qui est d' « étudier l'horreur du bonheur ». Il ne peut que se réjouir que les réunions du Club soit interdites « aux femmes, aux enfants, aux animaux et aux plantes vertes ».
Pourtant, c'est lui, qui en 1980 se bat pied à pied contre l'entrée sous la Coupole des femmes en général et de Marguerite Yourcenar en particulier et de s'écrier : «Nous sommes d'une tribu de vieux mâles coiffés de plumes qui campent sur la Seine depuis trois cent cinquante ans. N'y touchez pas!».
Farouchement opposé à la féminisation des noms de métiers, Jean Dutourd n'hésite pas à monter au créneau : « Cette histoire est un gadget, ce sont les effets de la polygamie de Jospin, qui est entouré de sultanes et qui, pour faire plaisir à son harem, relance une vieille idée. » et de vitupérer contre Le premier Ministre qui accepte que des femmes se fassent appeler « Madame la Ministre ».
Ses prises de position à l'Académie en faveur de la Serbie, sa défense d'un Papon pourfendu par la presse donnent de lui l' image d'un vieil anar de droite.
Mais c'est sans doute oublier un peu rapidement qu'il est avant tout un grand écrivain, amoureux fou des mots, un bougon talentueux, un râleur ironique.
Dans un excellent portrait brossé par Olivier Le Naire dans l'Express Livres et auquel j'ai emprunté quelques passages pour cet article, on peut lire:
« Ses souvenirs d'enfance éclairent aussi le personnage, son ambition têtue d'artiste et cette maladive nostalgie d'un monde qui n'était déjà plus au jour de sa naissance. Il faut lire ces pages où il décrit la fin prématurée de sa mère, le voyage dans le Midi en De Dion-Bouton, le capharnaüm d'un Louvre désert et envoûtant, avec son odeur d'encaustique, où il traînait étant petit. «Regardez ce qu'on en a fait, du Louvre! Aujourd'hui, il est encombré de visiteurs qui se croient obligés d'y aller parce que des profs ignorants les y ont poussés. Qu'on foute la paix à ces gens et qu'on laisse la peinture à ceux qui en ont vraiment besoin!»...
... Après avoir, ces dernières décennies, beaucoup jargonné, théorisé, exclu, la littérature française saura-t-elle remettre à sa vraie place la petite musique de Dutourd? «J'ai toujours pensé que les gens qui écrivaient tristement écrivaient mal», explique l'académicien. Où sont d'ailleurs les Dutourd de l'an 2000? Quel jeune romancier français sait encore croquer son temps avec ce regard amusé et aiguisé? Qui ressuscitera ce personnage de l'idiot, de l'imbécile, qui disparaît du roman actuel? «Ce Beigbeder, avec son 99 Francs, a essayé», remarque Dutourd. Pas avare de compliments sur la relève, il distingue - outre Patrick Besson - «la petite Nothomb», dont il aime «cette manière de faire le clown, avec son air de bal masqué romanesque», François Taillandier, Eric-Emmanuel Schmitt... »
Jean Dutourd garde toujours un ton corrosif pour évoquer sa vieille ennemie, la bêtise humaine, clamer haut et fort son amour des mots et ... de l'Académie Française qui, selon lui-même et Voltaire qu'il cite « est toujours une espèce de rempart contre les fanatiques et les fripons ».
Son écriture :
Celui qui en dehors des chemins de fer, de l'électricité et du feutre ne trouve rien de bon au XXème siècle, nous prouve par l'emploi d'un feutre noir assez épais pour la dimension de son écriture, qu'il est cohérent dans ses choix.
Peu de pression dans ce graphisme "lesté" qui se dégage de la relative impression de lourdeur du trait par des enchaînements de lettres parfois étalées et parfois étrécies à l'intérieur d'un même mot (cf les mots "meilleures" et pensées"). Cet étalement en "accordéon" sur la ligne de base signe l'alternance de motivations à étendre le champ d'investigation, à chercher le contact avec l'autre, à participer et à réduire le besoin d'expansion, à rester maître de ses convictions et restreindre les contacts.
La "sensorialité " du trait nous renseigne sur une attitude qui sollicite plus l'émotion que la raison pour appréhender la vie. La subjectivité qui en découle éloigne de toute neutralité, et l'originalité des impressions et des idées n'a dégale que la tendance à transformer la réalité. D'où, un besoin de s'accrocher à des valeurs sûres, des repères tangibles qui peuvent expliquer ses choix, ses préférences intellectuelles et personnelles.
Il n'en demeure pas moins que l'écriture ici tracée vers 1988 alors qu'il avait 68 ans reste marquée par de l'élan, une dynamique, une soif de découvertes et montre encore tout le tempérament entier, ardent et absolu de son scripteur.