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  • : Ecritures à la loupe
  • : Présenter des écritures manuscrites d'écrivains célèbres avec une étude graphologique, des comptines pour enfants, l'un de mes romans et beaucoup de mes coups de coeur, voilà l'objectif de ce blog. J'espère que vous vous y sentirez également chez vous...
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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 16:04

 

 

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So romantic !



- Balek, balek !


Le petit homme fit résonner les coupelles de cuivre qui ornaient les larges lanières de cuir zébrant sa djellaba. Jouant des coudes et psalmodiant ses « balek », il se fraya un passage dans la foule puis se planta devant l’objectif de mon Nikon ; une attitude hautaine nullement démentie par un large sourire ombré des franges multicolores de sa tarazza.


- La gazelle, tire-lui le portrait et donne-lui quelques dirhams, si tu veux que le guerrab te fiche la paix, me chuchota Idriss, mon jeune guide-interprète marocain.


J’obtempérais, pensant échapper à la dégustation d’une eau aux origines douteuses qui stagnait - je n’osais imaginer depuis combien de jours – au fond de la gourde. Erreur de débutante ! L’instantané n’était à ses prunelles de geai guère plus mirifique que de la roupie de sansonnet. Il continuait à prendre la pause, mais en me tendant maintenant un bol de flotte à avaler. Je bus avec parcimonie… L’eau avait le parfum légèrement camphré de la santonine, était fraîche et déployait des sapidités de violette qui flattaient le palais. Les yeux mi-clos, je m’imaginais transportée en un antique caravansérail, pieds nus sur les carreaux de faïence émaillée, humant l’odeur du musc, de cuir brûlé, d’essence de rose et de tabac doré, si ces références enchanteresses ne m’avaient été suggérées par la lecture d’un conte de Daudet, abandonné la veille au soir sur une table de chevet.  Quand la coupelle fut aussi sèche que la peau de chèvre de la gourde, le guerrab me gratifia d’une prière et d’un « Allah ibark fit » auquel Idriss répondit machinalement par un «wa fik barak Allah. » 


-  Ça veut dire qu’Allah t’accorde ses bénédictions !


Je remerciais mon précieux traducteur et m’enquit, avec une once bien pesée d’insistance, et ce, afin d’échapper aux tourments d’une deuxième tournée – je redoutais les vertus gastriques de la santonine - du programme de la visite.


- Ha ! la gazelle, laisse-toi gagner par les charmes de Rabat, une ville « so romantic » ! Arrête de tout vouloir savoir à l’avance…  Rêve ma gazelle, laisse le Maroc t’éblouir… tu n’es qu’une toute petite coccinelle, perdue dans le feuillage immaculé d’un Ginkgo biloba, et têtue, tu cherches désespérément ta nourriture en oubliant que la force de l’arbre, ainsi que la tienne, tient dans les racines, non pas dans ce qui remplit ta tête ou l’estomac. Te voilà, sur les pas de tes ancêtres et tu veux lire en moi comme dans un dépliant touristique… Ainsi « nesrani » tu es, et « nesrani » tu resteras…qu’Allah te pardonne ! Puisque tu veux quand même savoir et que tu me paies pour cela… tu vois, là-bas cette petite rue couverte, c’est le Souk-es-Sebat. La perle des maroquiniers et des marchands de tissus t’ouvriront leurs coffres d’Ali Baba. Tu pourras t’y parer des étoffes les plus rares, couvrir tes épaules et ton cou de cotonnades aussi douces que de la soie, orner ta taille et tes hanches délicieuses de vagues frémissantes d’organdi, oui… frémir, ma gazelle… tu frémiras à la caresse de voiles d’une infinie tendresse, puis, errant de ruelles fleuries en enfilades de galeries,  nous ferons halte chez Samir qui tient échoppe place du Souk el Guezel et nous dégusterons un thé à la menthe sous des cascades de lilas, en écoutant roucouler les tourterelles. Tes narines s’habitueront peu à peu à l’âcreté du suint gainant encore la laine fraîchement tondue de nos moutons. Cette odeur, tu l’apprivoiseras... Tu admireras le travail de Kamal, le cardeur qui, tel Sisyphe, peigne et tisse en un labeur interminable et…


- Et … si nous allions directement à la mosquée Moulay Slimane. Idriss, je travaille en France près de Limoges ; alors la laine j’en connais un brin… ne ris pas… c’est sérieux, pas le goût aux  galéjades ! La place El Guezel est plus connue pour ses tire-laines que pour ses cardeurs talentueux. Je te préviens également que je tiens à passer par la rue Taht el Hamman… je suis venue à Rabat, en réalité, uniquement pour cela…


Le regard d’Idriss s’assombrit. Il me dévisagea avec méfiance et cracha à vingt centimètres de mes espadrilles.


- Tu fais quoi ici ? bougonna t-il en ajoutant deux mots d’arabe où je crus reconnaître la douce sonorité du mot « alqahba » ; trois petites syllabes qui, sauf erreur de ma part, rendirent la phrase nettement plus ordurière.


 - Je suis journaliste, mon pote et  j’enquête sur les « samsarate » qui, pour certaines, tiennent échoppe, comme tu le dis si bien, rue Taht el Hamman, au su et vu  de tous, y compris de la police marocaine. Je rédige un article sur le sort d’une « petite bonne » Nora, 11 ans, battue à coups de câble électrique, laissée pour morte pour ses bons et loyaux services 14 heures par jour, violée par le fils aîné de la famille et royalement rémunérée 200 dirhams par mois. Quoi ? Ne me regarde pas comme cela… j’ai fait une bourde ? Allons, calme-toi… Si le mythe de Sisyphe signifie qu’il n’y a pas de châtiment plus terrible qu’un travail inutile et vain,  je donnerai, moi la roumi, la parole à Nora afin de connaître son point de vue sur le sujet, si elle peut encore parler, bien sûr… Mon papier terminé,  j’irai, c’est promis, flâner dans les jardins exotiques de Sidi Bouknadel, errer sur les murailles de la nécropole de Chellah…

 

It will be so romantic… Oh oui… So romantic !

 

 

 

 

 

 


 

©Alaligne

 


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commentaires

V
Je suis tombé sur ton site depuis un retweet, donc j’interagis et je met des commentaires quand cela m'interpelle et que ça en vaut la peine.
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C
<br /> Blog(fermaton.over-blog.com).No.7. - THÉORÈME LIMITE-  LE DÉCÈS DES SUPERSTARS ??<br />
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K
<br /> oh j'avais lu ce texte, j'ignorais que tu en étais l'auteure. Eh bien c'est fort bien éfcrit. Bravo.<br />
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A
<br /> <br /> Merci David... :-)<br /> <br /> <br /> <br />