Blog-notes*
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*BLOG-NOTES est un manuscrit déposé, ayant reçu un numéro d'ISBN mais non encore corrigé et édité. Les amis blogeurs qui auront le courage et la ténacité de lire ce petit suspense jusqu'au bout seront nommément cités sur le livre en dédicace.
IX
Rester cloîtrée dans mon bureau en cet estival début d'après-midi de juin ressemblait à un défi dont les enjeux diminuaient au fil des heures. Par la porte-fenêtre entreouverte, l'odeur insidieuse d'un gazon fraîchement coupé et déjà égayé de pâquerettes, fleurs de trèfle, genêt rampant et tendre véronique me suggérait que si j'avais choisi de travailler à mon compte, ce n'était pas pour me retrouver avec des horaires et des contraintes de salarié.
Cependant, j'hésitai encore à refermer mes dossiers, enfiler un maillot de bain, me tartiner de crème solaire et m'allonger sur une chaise longue, pour une simple et unique raison : Clarisse révisait son Bac. Etait-il décent et responsable de se gorger de soleil, rêvasser tout son saoul lorsque sa progéniture se coltine des nombres complexes et tente d'amadouer le théorème de Bernoulli ?
Les yeux implorants de Washington, mon setter Gordon de douze ans d'âge, militaient en faveur d'une entorse au code de bonne conduite de mère de famille. Toujours collé à mes basques, ce baveur impénitent avait depuis des lustres réduit son champ de libre-arbitre à mes choix personnels.
Sa longue langue pendante et son halètement de chien en pleine sudation balayèrent mes dernières hésitations. Il lui fallait du grand air et l'eau des bassins de la terrasse pour étancher sa soif. Si l'hypocrisie d'un tel raisonnement jetait une ombre sur le plaisir à venir, j'étais décidée à m'autoriser aujourd'hui un peu de temps libre.
- Allez Wash, c'est fini de bosser ! On va mener-mener le chien ?
L'expression débile déclencha les jappements de joie habituels et quelques éclaboussures mousseuses sur le tiroir à caissons de mon bureau.
Armée d'un kleenex, j'effaçai ces traces d'allégresse lorsque la sonnette de la porte d'entrée égrena ses trois notes électroniques. Avant d'avoir pu réagir, j'entendis une porte s'ouvrir dans le couloir et la voix de ma fille claironner : " Bouge pas, man, c'est pour moi, je vais ouvrir ! ".
Une telle réactivité de sa part, fort inhabituelle, titilla ma curiosité et je jetai un coup d'oeil par la fenêtre afin d'identifier le visiteur.
Je reconnus à l'instant Alex, un Alex pourtant relooké, arborant une nouvelle coupe de cheveux à la tondeuse, style Bruce Willis, le torse flottant dans un T-shirt XXL blanc, finement orné de l'effigie d'un taureau aux naseaux fumants, me rappelant vaguement le logo d'une boisson énergétique. Un horrible pantalon baggy beigeasse, resserré aux mollets par un cordon coulissant aux embouts enchâssés dans deux boules de plastique noir achevait de le mettre en valeur.
Pour les chaussures, il me faudrait attendre, car mon angle de vue s'arrêtait au niveau des chevilles. Je pariai pour des Nike, mais sans grande conviction, mes enfants m'ayant informée que celles-ci n'étaient plus du tout tendance.
Je quittai mon poste d'observation afin de connaître les raisons exactes de sa présence à ma porte, alors qu'il avait annulé deux jours auparavant notre rendez-vous hebdomadaire.
Je les rejoignis dans l'entrée et constatai non sans un certain agacement que Clarisse arborait un sourire plutôt niais et que ses yeux pétillaient.