Blog-notes*
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VIII
De retour au commissariat, Delage se mit en quête de Guedj pour lui communiquer le document confié par le marinier. Il le trouva négligemment assis sur le bord du bureau de Corinne. Celle-ci buvait les paroles du Principal, le corps raidi dans une attitude proche du garde à vous que le comportement décontracté de Guedj, ne justifiait nullement. Ses joues, légèrement rosies, en disaient long sur l'émotion et l'intimidation qu'elle ressentait en présence du patron. Les yeux rivés sur le visage de Guedj, elle ne vit pas le policier arriver et tressaillit lorsqu'il prit la parole.
- J'ai cela pour vous de la part du père Matthieu, dit-il en tendant à son supérieur, la pochette en plastique contenant la feuille de papier quadrillé
- Il avait oublié de nous remettre un document trouvé dans les affaires de la jeune Morgane. Une simple omission. J'ai d'ailleurs le sentiment que le bonhomme perd un peu la mémoire, mentit Delage sans hésitation.
Guedj s'empara de la pochette, en fit glisser le contenu sur le bureau de Corinne, ajusta ses lunettes de vue, lut le texte qu'il rendit aussitôt à son adjoint.
- Merci Hervé, faites-en une copie et faxez-la à notre graphologue. Juste pour confirmer qu'il s'agit bien de la même écriture. Vous lui direz qu'un avis oral m'est largement suffisant, pas la peine de m'envoyer un rapport par écrit. Les numéros de son téléphone et de son fax sont sur mon bureau ainsi que sur l'exemplaire de son dernier rapport, dont vous avez d'ailleurs une copie.
Puis se tournant vers Corinne :
- Lieutenant Gerbaut, vous vous mettrez en contact avec les parents pour les tenir au courant de nos conclusions. Agissez avec tact et rapidement. Nous avons plusieurs affaires en cours qui piétinent et j'ai besoin de vous dans les meilleurs délais.
- Bien Commissaire ! répondit la jeune femme d'un ton décidé
- Vous ne claquez pas des talons aux ordres du Principal ? lui demanda un Delage goguenard
- Hervé, foutez-lui la paix ! s'insurgea Guedj, et rendez-vous dans un quart d'heure dans mon bureau...
Delage haussa les épaules et partit en direction de son bureau, Corinne le suivant sans empressement.
Le commissariat en ce milieu d'après-midi bruissait de toutes parts. Si Delage était habitué à cette activité incessante, à ces allées et venues perpétuelles dans les couloirs, si tout son être redoutait plus que tout de rester confiné entre quatre murs, aujourd'hui sa brève incursion dans l'univers du père Matthieu lui suggérait qu'il avait aussi besoin de calme, de rapports simples et d'authenticité.
Il se prit à détester, l'espace d'un instant, un travail qu'il avait pourtant, lui semblait-il, choisi par vocation.
Mais voilà, tant d'années s'étaient écoulées depuis, tant d'espoirs s'étaient évanouis, tant de liens s'étaient brisés dans son coeur qu'il pensa qu'il devenait trop âgé pour ce genre de boulot, trop blasé pour retrouver la flamme qui jadis l'animait, trop fatigué pour essayer de donner le change.
Le claquement sec et saccadé des chaussures réglementaires du jeune Lieutenant résonnait dans ses oreilles comme un avertissement.
Lui-même commençait à traîner des pieds, à peser d'une jambe sur l'autre. Le son du pas d'une personne recelait du sens. Il avait mémorisé sur le plan visuel et sonore tant de démarches au fil du temps. Il flairait rapidement au travers de cette observation les multiples états d'âme d'un individu, son assurance ou sa crainte, sa rébellion ou sa docilité. Son ouïe s'était tellement affinée qu'elle était devenue une arme à part entière et lui avait sauvé la vie à plusieurs reprises.
Le pas de Corinne lui disait qu'il la gênait dans ses ambitions, qu'elle n'entendait pas se laisser faire, qu'elle ne reconnaissait qu'une autorité, celle de Guedj devant qui elle marchait avec plus de souplesse et de légèreté.
Le pas de Corinne lui disait : pousse-toi de là, t'es qu'un vieux con.
*BLOG-NOTES est un manuscrit déposé, ayant reçu un numéro d'ISBN mais non encore corrigé et édité. Les amis blogeurs qui auront le courage et la ténacité de lire ce petit suspense jusqu'au bout seront nommément cités sur le livre en dédicace.