Blog-notes*
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XI
Cet engouement s'était vite doublé d'une manie de tout noter et il noircissait depuis vingt ans des cahiers entiers d'écolier, d'une écriture qui jouait encore les pleins et les déliés. Tous ces mots et toutes ces définitions constituaient un véritable dictionnaire fluvial et batelier.
Il n'avait jamais pensé que cela puisse intéresser quelqu'un d'autre que lui et encore moins le faire éditer. Privé d'enfant à qui léguer ce patrimoine linguistique, il avait décidé que son lexique partirait avec lui en fumée selon ses dernières volontés. Certes, il y avait parfois des personnes comme Delage qui lui posaient des questions, l'interrogeaient.
Mais son instinct lui suggérait que leur intérêt n'était guidé que par une curiosité bon marché, une envie peut-être de caser un joli mot inconnu pour briller lors d'un dîner.
Cette engeance ne méritait pas qu'il ouvre les pages de ses cahiers et encore moins qu'il se donne la peine de frapper à la porte des maisons d'édition, qu'il passe des mois à attendre leur verdict.
Sans doute laisserait-il au commissaire la possibilité de déguster au compte-gouttes quelques termes comme " garabotte ", " gousselis ", " soubriquet ", juste histoire de le faire saliver.
Sans doute n'irait-il pas jusqu'à lui en expliquer l'origine étymologique, sans doute garderait-il pour lui les anecdotes, les hasards de ses découvertes comme il avait gardé pour lui le poème de Baudelaire qu'il avait trouvé dans les affaires de la petite Morgane.
Hé oui ! cette gamine l'avait transformé en cleptomane. Pour une raison qu'il n'arrivait toujours pas à comprendre, il avait cédé au besoin irrésistible de soustraire à la police deux documents. Le premier qu'il venait au final de rendre à Delage était sans doute trop chargé d'émotions parce qu'écrit de la main de l'adolescente. Le second en revanche, imprimé sur une feuille de papier ornée de gravures de Jérome Bosch, contenait un poème de Baudelaire qu'il connaissait depuis des lustres et qu'il comptait bien conserver.
Poème que souvent il récitait.
Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux,
Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs seront, deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
Un soir fait de rose et de bleu mystique
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux ;
Et plus tard un ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
Le fait de prononcer ces quatre strophes était sa manière à lui de garder en vie la jeune fille, lui rendre hommage et lui demander pardon de ne pas avoir été là au bon moment pour la sauver.
Quatre strophes qu'elle avait aimées et qui contenaient un message d'espoir.
A quel ange pensait-elle en lisant ces vers ?
Se pourrait-il que cet ange ce fut lui ?
" Je déraille complètement, voilà que je me prends pour un ange maintenant " pensa le père Matthieu.
à suivre......
*BLOG-NOTES est un manuscrit déposé, ayant reçu un numéro d'ISBN mais non encore corrigé et édité. Les amis blogeurs qui auront le courage et la ténacité de lire ce petit suspense jusqu'au bout seront nommément cités sur le livre en dédicace.