Pierre Gringore, poète et dramaturge est né en 1475 à Thury-Harcourt et est mort en 1539 en Lorraine.
Gringore a été directeur de troupe et dramaturge à Paris de 1506 à 1512. Il fit partie des Enfants-sans-Souci qui l’élevèrent à
la seconde dignité de leur société, celle de Mère Sotte et, de 1502 à 1517, il dirigea l’exécution des mystères à Paris.
Appartenant au groupe des grands rhétoriqueurs, Pierre Gringore a écrit des poèmes moraux : le Château de Labour (1499), le
Château d’Amours (1500), les Notables enseignements et proverbes par quatrains (1527), les Dits et autorités des sages philosophes (date incertaine) ; des poèmes satiriques : les Folles
entreprises (1502) où il soutient le roi de France Louis XII contre le pape Jules II, les Abus du monde (1504), les Feintises du monde qui règne (1532) ; des pamphlets politiques : la Complainte
des Milannoys (1500), l’Entreprise de Venise (1509), l’Espoir de paix (1510) dirigé contre le pape Jules II, ainsi que le suivant, la Chasse du cerf des cerfs (allusion au titre des Papes :
Servus servorum Dei) ; des soties, des farces et des moralités pour le théâtre, dont quelques-unes, avec l’appui du roi, attaquaient le pape : le Jeu du Prince des sots et de Mère Sotte (1511),
première comédie politique où il encourage Louis XII à engager la lutte contre l'Église, suivi de l’Homme obstiné (Jules II) et de Faire, et Dire, les Fantaisies de Mère Sotte (1516), les Menus
propos de Mère Sotte (1521), le Testament de Lucifer (1521) ; un mystère du genre grave, le Mystère de saint Louis (1541), pour la confrérie de ce roi ; enfin des ouvrages de piété : le Blason
des hérétiques (1524), les Heures de Nostre-Dame (1525), les Chants royaulx, figurés moralement sur les mystères miraculeux du Christ (1527), la Paraphrase des sept très-précieux et notables
Psaumes (1541).
Ses œuvres offrent un singulier mélange de malice et de bonhomie, de gaieté et de gravité, de foi naïve et d’humeur discuteuse ;
elles sont la représentation exacte de l’esprit de la bourgeoisie parisienne au commencement du XVIe siècle. Il est surtout remarquable par ses œuvres dramatiques, auxquelles il doit son renom ;
ses farces ont de la finesse, ses soties de la vigueur et ses comédies politiques une hardiesse qui fait penser à Aristophane et dont on ne vit presque plus d’exemple sur le théâtre en France.
Dans le Mystère de saint Louis, il a de l’élévation et de la grandeur. On le trouve fréquemment énergique dans ses œuvres satirico-morales où il affecte même une solennité que son style ne
soutient pas toujours. La plupart des ouvrages qu’il fit imprimer montrent au frontispice le portrait de Mère Sotte, avec une robe de moine et un capuchon garni d’oreilles d’âne ; on lit autour :
« Tout par Raison ; Raison partout ; Par tout Raison. »
Pierre Gringore est devenu, sous la plume de Victor Hugo et de Théodore de Banville un personnage de fiction avec la graphie de
« Gringoire ». Le premier l’a mis en scène, par anachronisme, dans Notre-Dame de Paris, et le second en a fait le héros d’une comédie en vers et en un acte, jouée au Théâtre-Français en
1860.
Cry du Prince des Sots
Sotz lunatiques, Sotz estourdis, Sotz sages,
Sotz de villes, de chasteaulx, de villages,
Sotz rassotez, Sotz nyais, Sotz subtils,
Sotz amoureux, Sotz privez, Sotz sauvages,
Sotz vieux, nouveaux, et Sotz de toutes ages
Sotz barbares, estranges et gentilz,
Sotz raisonnables, Sotz pervers, Sotz retifs,
Vostre Prince, sans nulles intervalles,
Le Mardy Gras jouera ses jeux aux Halles.
Sottes dames et Sottes damoiselles,
Sottes vieilles, Sottes jeunes, nouvelles,
Toutes Sottes aymant le masculin,
Sottes hardies, couardes, laides, belles,
Sottes frisques, Sottes doulces, rebelles,
Sottes qui veulent avoir leur picotin,
Sottes trottantes sur le pavé, sur le chemin,
Sottes rouges, mesgres, grasses et palles,
Le Mardy Gras jouera le Prince aux Halles.
Sotz yvrongnes, aymans les bons loppins,
Sotz qui crachent au matin jacopins,
Sotz qui ayment jeux, tavernes, esbatz ;
Tous Sotz jalloux, Sotz gardans les patins,
Sotz qui chassent nuyt et jour aux congnins ;
Sotz qui ayment à fréquenter le bas,
Sotz qui faictes aux dames les choux gras,
Advenez y, Sotz lavez et Sotz salles ;
Le Mardy Gras jouera le Prince aux Halles.
Mere Sotte semond toutes les Sottes,
N'y faillez pas a y venir, bigottes ;
Car en secret, faictes de bonnes chieres.
Sottes gayes, delicates, mignottes,
Sottes doulces qui rebrassez vos cottes,
Sottes qui estes aux hommes famillieres,
Sottes nourrices, et Sottes chamberieres,
Monstrer vous fault douces et cordiales ;
Le Mardy Gras jouera le Prince aux Halles.
Fait et donné, buvant vin à plains potz,
En recordant la naturelle game,
Par le Prince des Sotz et ses suppostz ;
Ainsi signé d'ung pet de preude femme.