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  • : Ecritures à la loupe
  • : Présenter des écritures manuscrites d'écrivains célèbres avec une étude graphologique, des comptines pour enfants, l'un de mes romans et beaucoup de mes coups de coeur, voilà l'objectif de ce blog. J'espère que vous vous y sentirez également chez vous...
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Mes romans

histoire

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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 15:03

spectre

 

V

 

 

Arsène était un chat affable, doté d’un tempérament placide qui ne connaissait d’autre vice que d’effectuer de menus larcins dès que son estomac réclamait un peu de subsistance, autant dire assez souvent. Cette dépendance à la nourriture était l’unique séquelle d’une vie commencée à la dure entre les piles de pneus réchappés du garage local, où sa mère, à demi sauvage, avait trouvé judicieux de mettre bât. Sa livrée noire s’égayait de quelques plaques d’un blanc immaculé dont une grande tache située au-dessus de l’œil droit qui s’effilait pour couvrir une grande partie de l’oreille en un point d’interrogation indélébile. Cette particularité lui donnait un air naïf et étonné, qui décourageait les remontrances et éventuelles corrections à base de papier journal roulé serré. Abandonné par une mère vagabonde et frivole, adopté dès l’âge de trois mois par le docteur Grimaud, vétérinaire de son état, Arsène avait développé un sens relationnel et psychologique étonnant pour un greffier d’extraction modeste. La fréquentation quotidienne d’animaux divers, souvent malades et toujours apeurés lui avait conféré une forme de supériorité dont il usait à bon escient, rassurant les plus craintifs par son attitude pondérée, son ronronnement mécanique et discret, distrayant leurs propriétaires en se caressant à leurs jambes et en effectuant quelques pitreries avec une petite balle de caoutchouc que la secrétaire du cabinet lui lançait de temps en temps pour amuser la galerie dans la salle d’attente. Vacciné, châtré, tatoué et doté d’un collier anti puce, son maître lui autorisait des ballades nocturnes dont il n’abusait pas. Deux années passées sur des coussins moelleux, à portée de vue des gamelles, avaient usé son goût de l’aventure ainsi que son instinct de chasseur. Pourtant ce soir là, alors qu’il rodait près des cages où deux patients du docteur, encore sous l’effet d’un puissant narcotique, dormaient d’un sommeil sans rêve, il sentit son poil se hérisser sous l’effet d’une peur inexplicable. Il eut bien des peines à retrouver un rythme de respiration normal et ne parvint pas à calmer les battements de son cœur. En dépit du malaise qu’il n’arrivait pas à dominer entièrement, il s’interrogea sur ses sensations et sur leurs origines ? Une seule idée s’imprima dans son cerveau de matou: il venait de flairer la mort. La mort programmée qu’il côtoyait parfois lorsqu’un vieil animal malade se retrouvait sur la table d’auscultation et dont il avait fini par se faire une raison, avait l’odeur un peu fétide du penthiobarbital ; celle qu’il venait de percevoir était sauvage et libérait des effluves soufrées, extrêmement désagréables. Piqué au vif par l’étrangeté du phénomène, il retroussa ses babines afin de mieux s’imprégner de cette nouvelle odeur et décida d’explorer les ruelles du village pour en remonter le parcours afin de comprendre ce qui s’était passé. D’une démarche ondulante, tous les sens aux aguets, il emprunta une venelle qui débouchait sur la place de l’église, marqua une pause, tout autant pour s’assurer de la sécurité de l’endroit que pour mieux capter l’effluence qui se diluait peu à peu dans l’atmosphère. Des odeurs parasites commençaient à brouiller la piste. Celle, caractéristique du feu de bois, gagnait en force et un coup d’œil rapide sur les cheminées des demeures du bourg lui confirma que des humains sacrifiaient au rite de la flambée. Il se concentra et retrouva après un tri minutieux les particules tenues qui lui avaient causé une si grande frayeur. Il accéléra le pas de manière à n’en manquer aucune et se retrouva bientôt hors de l’enceinte médiévale à une centaine de mètres de la ferme du père Baillou.

 

À peine arrivé aux abords de l’élevage de poules, Arsène se figea dans une posture ramassée, les oreilles couchées, le poil du dos hérissé puis, il émit un sinistre feulement. Aucun doute possible, c’était bien là que tout avait commencé. Rien ne semblait pourtant le justifier : tout était calme, nulle agitation particulière ne troublait la basse cour, aucun signe patent de désordre, pas le moindre soupçon de mystère. Pourtant, en arrière plan de l’odeur soufrée, se dégageait l’exhalation ferrugineuse du sang. Arsène était prêt à parier une paire de moustaches qu’un crime odieux avait été perpétré peu de temps auparavant en ce lieu. Il rassembla tout ce qui restait en lui de courage et s’approcha du grillage qu’il longea avec précaution. Les pupilles dilatées, il finit par repérer des taches sombres sur le sol du poulailler, là où le père Baillou avait répandu le sang de Belzébuth et prononcé quelques formules magiques pour écarter le mauvais œil de son élevage. Il s’en dégageait une force farouche, immaîtrisable, ni humaine, ni vraiment animale. Les muscles tétanisés, il vit de la cheminée de la ferme s’échapper un mince filet de fumée qui vint se déposer sur les tuiles faîtières puis s’agglomérer en une forme de coq, à la crête hérissée de pointes acérées, au bec et aux ergots démesurés et dont les grandes faucilles, ces plumes qui sont l’apanage d’un coq ordinaire, brillaient à l’éclat de la pleine lune comme autant de faux affûtées. La tête monstrueuse se tourna vers Arsène et planta un regard de dément dans les yeux du chat. Ce fut pour le matou comme un électrochoc. Il détala dans la mauvaise direction, heurta de plein fouet le grillage du poulailler où il s’arracha deux griffes, rebondit pour atterrir sur un tas de fumier de fientes de poules. À demi groggy, il releva le museau, entrevit le clocher de l’église et s’enfuit vers le village, en boitant d’une patte, le corps couvert de déjections nauséabondes.

 

Une fois de retour sur la place de l’église, il s’accorda quelques secondes pour retrouver son souffle. Sa patte, là où les griffes avaient été arrachées, le faisait atrocement souffrir. Il lapa délicatement les plaies, puis nettoya de sa patte valide son museau auquel était collé un peu de fumier. Bien qu’employé à parfaire sa toilette, il perçut des bruits de voix humaines qui lui semblèrent familières. La présence d’êtres semblables à son bon maître le réconforta et lui mit du baume au coeur. N’avait-il pas toujours bénéficié de l’attention et des caresses de ces grands animaux bavards ? Il s’ébroua, examina une dernière fois l’état de sa patte où le sang avait cessé de couler, avança en claudiquant vers la maison du maire d’où les voix semblaient s’échapper.

 

Lorsqu’il déboucha à l’angle de la maison du Sénéchal et de la rue serpentine, il repéra immédiatement une silhouette familière sur les marches du perron de la maison du maire. Jules faisait partie des amis de son maître et venait parfois « taper la belote » le samedi soir lorsque le rideau de fer tombait sur le cabinet. Rassuré et confiant, Arsène se mit à ronronner et se glissa le long des soubassements de pierre calcaire pour le rejoindre. C’est alors qu’il vit le vieux cantonnier porter la main à son front, glisser lentement en arrière, puis son corps se ployer comme un pantin désarticulé.

 

à suivre...

 

 

 

 

 

©Alaligne

 


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commentaires

V
J’ai sincèrement apprécié cet article qui apporte une véritable aide.
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D
<br /> <br /> Enfin la suite Cathy, que j'ai tardé à liré héhé mais ça valait la peine de se laisser mener par la matou...bises!!!!<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Pauvre Arsène  qui s'egriffe !...<br /> <br /> <br /> J'adore son point d'interogation blanc sur noi s'enroulant de l'oiel jusqu'à l'oreille ...<br /> <br /> <br /> Arsène Nimbus  chat prof de son état !...<br /> <br /> <br /> En tous cas n'apprécie ce "coq hard"  , fumant  ...<br /> <br /> <br /> je le comprends ...<br /> <br /> <br /> De quoi le mettre dans tous ses estats  Minet  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bon on va devoir franchir le perron ... <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> OUI Patrice... je le veux très "visuel" cet Arsène et intello par dessus le marché... ;)<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Je suis entrée dans l'esprit d'Arsène... magnifique description Catherine, je me replonge tout à coup dans les pages de Colette. J'attends la suite... merci et je partage bien sûr.<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Je vais finir par vraiment croire à cette magnifique filiation littéraire puisque même Amélie Nothomb ayant lu le "Calendrier de l'Avent" y fait<br /> référence. Pourtant cela fait des décennies que je n'ai pas relu Colette. J'aime écrire sur les animaux, c'est vrai... Ils apportent une autre dimension dans les textes. Je ne suis pas douée (ni<br /> intéressée) pour écrire sur les sujets dits de Société, en particulier dans mes contes. L'animal... ici un chat permet d'aborder un thème avec un oeil différent, à condition de leur garder leur<br /> spécificité animale ce qui va être un "poil" difficile pour Arsène comme tu pourras en juger bientôt.<br /> <br /> <br /> Enfin, je tenais à te remercier pour ce com sur mon blog... et pour ta fidélité.<br /> <br /> <br /> Bises,<br /> <br /> <br /> alaligne<br /> <br /> <br /> <br />