6 décembre 2007
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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
(22) Où l'on perd la mémoire tout en la retrouvant
(22) Où l'on perd la mémoire tout en la retrouvant
Il referma prestement la porte de la salle de bains. Myrtille, en sa présence, se prenait
pour une diva. Son répertoire s'étant élargi la veille au premier couplet du cantique de Moreau, la toilette d'Abel se déroulait dans une totale cacophonie. Les boules Kies dont il
s'était muni pour prendre sa douche n'atténuèrent que fort peu les décibels. Le vieil homme pensa qu'à son âge beaucoup de personnes perdaient l'ouie et se désolaient de cette
infirmité. Leur offrir un mainate en cadeau de Noël suffirait à les convaincre des bienfaits de la surdité. Heureusement, Myrtille présentait d'autres qualités et sa docilité à
retenir les leçons du jeune Cédric n'était pas des moindres. La neige continuait à tomber en abondance sur la ville, nappant les toits de la cité d'un manteau blanc uniforme.
La proposition faite la veille à l'enfant obligeait Abel à chercher du bois tendre mais suffisamment sec pour pouvoir le sculpter sans difficulté. Il savait où en trouver. Les fermiers qui avaient recueilli René disposaient d'une réserve abondante de planches et bûches de sapin prélevées dans une parcelle de bois dont ils assuraient l’exploitation. Leur rendre une visite de courtoisie présentait l'avantage de vérifier l'installation de René et de leur emprunter le matériau nécessaire à la fabrication du jouet. La ferme était située aux Renardières, un lieu-dit à trois kilomètres de la ville et seul un bus desservait l'endroit plusieurs fois par jour. Abel se demanda si le conducteur accepterait de prendre Filou à bord de son véhicule. Certes, le fox n'était pas gros, mais suffisamment pour se voir refuser l’accès par un fonctionnaire tatillon. Il chercha dans le cagibi un sac ni trop grand, ni trop petit, pour accueillir l'animal et décida de tenter sa chance. Il téléphona au couple de fermiers afin de vérifier leur disponibilité puis se prépara à découvrir le secret du chiffre vingt.
La proposition faite la veille à l'enfant obligeait Abel à chercher du bois tendre mais suffisamment sec pour pouvoir le sculpter sans difficulté. Il savait où en trouver. Les fermiers qui avaient recueilli René disposaient d'une réserve abondante de planches et bûches de sapin prélevées dans une parcelle de bois dont ils assuraient l’exploitation. Leur rendre une visite de courtoisie présentait l'avantage de vérifier l'installation de René et de leur emprunter le matériau nécessaire à la fabrication du jouet. La ferme était située aux Renardières, un lieu-dit à trois kilomètres de la ville et seul un bus desservait l'endroit plusieurs fois par jour. Abel se demanda si le conducteur accepterait de prendre Filou à bord de son véhicule. Certes, le fox n'était pas gros, mais suffisamment pour se voir refuser l’accès par un fonctionnaire tatillon. Il chercha dans le cagibi un sac ni trop grand, ni trop petit, pour accueillir l'animal et décida de tenter sa chance. Il téléphona au couple de fermiers afin de vérifier leur disponibilité puis se prépara à découvrir le secret du chiffre vingt.
« Bien heureux de vous retrouver en ce vingtième jour de l’Avent ! Le choix des dernières consignes est un
vrai crève-cœur. Des centaines de vœux mériteraient d’être formulés et nous devons en écarter à notre corps défendant. Cette période est propice aux souvenirs. La mémoire des temps
passés et des personnes oubliées envahit nos pensées avant que nous tournions nos regards vers le Divin qui va naître pour montrer l’avenir aux croyants. Il est des êtres qui hélas
ont perdu cette faculté du souvenir. Nous souhaitons que votre attention se porte sur l’un d’entre eux. Soyez sincère et motivé, nous ne vous oublierons pas. Le
Calendrier. »
Abel apprécia la dernière phrase car il commençait depuis quelques jours à se demander si le calendrier
l’autoriserait enfin à penser à son propre confort. L’idée de faire du bien autour de lui, le remplissait de bonheur et il avait accepté des changements dans sa vie bien huilée sans
faire grise mine. Mais comme tout un chacun, la perspective de s’octroyer un vœu bien choisi le titillait beaucoup. Depuis le premier décembre, il lui était arrivé de se formuler en
cachette de petits souhaits très personnels en dehors de ceux qui relevaient des consignes.
« Et bien Filou, il semblerait qu’un jour prochain, ce sera mon tour… » déclara-t-il en caressant la tête
du chien.
L’arrêt de bus le plus proche se trouvait rue Grande à une centaine de mètres de la demeure d’Abel. Le ciel
continuait à essaimer son duvet neigeux et de petits flocons virevoltants dans l’air firent escale sur ses cils. Le bus apparut au bout de quelques minutes à l’extrémité de la rue
Grande. Abel ouvrit le sac, souleva Filou et tenta de l’y faire entrer. C’était sans compter sur la vivacité du fox qui n’avait aucun intention de se retrouver prisonnier. Chaque
tentative se solda par un échec. Abel faillit regretter le temps où l’animal perclus de rhumatismes avait bien du mal à se déplacer. Filou, pris d’une crise d’angoisse, tirait
sur la laisse à chaque tentative du bonhomme. Il se débattit tant et tant qu’au moment crucial où les portes de l’autobus s’ouvrirent le chien avait enroulé deux fois la laisse
autour des chevilles d’Abel. Son corps basculait déjà dans le sas qu’une main ferme l’empoigna et lui rendit son équilibre.
« Tu nous fais une tentative de suicide ? » Le graillement de la voix de Benoît Champlain résonna aux
oreilles d’Abel.
Les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre et s’embrassèrent fraternellement. Comme le conducteur du bus perdait patience, Benoît aida son ami à mettre Filou dans le sac et monta avec lui pour lui tenir compagnie un petit bout de chemin. Ils parlèrent de tout et de rien comme deux compagnons de longue date, les demi-mots et les demi-phrases les rapprochant plus que de longues palabres. Quand Benoît arrivé à destination laissa seul Abel poursuivre sa route, le bonhomme se rendit de bonne grâce à l’évidence. Les tics de langage de son « taroteur » d’ami avaient disparu.
Les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre et s’embrassèrent fraternellement. Comme le conducteur du bus perdait patience, Benoît aida son ami à mettre Filou dans le sac et monta avec lui pour lui tenir compagnie un petit bout de chemin. Ils parlèrent de tout et de rien comme deux compagnons de longue date, les demi-mots et les demi-phrases les rapprochant plus que de longues palabres. Quand Benoît arrivé à destination laissa seul Abel poursuivre sa route, le bonhomme se rendit de bonne grâce à l’évidence. Les tics de langage de son « taroteur » d’ami avaient disparu.
Là où le bus déposa Abel un paysage fait de silence et de longues étendues blanches légèrement irisées s’étendait à
perte de vue. La neige masquait les petits dénivelés des buttes avoisines et seuls quelques pommiers aux branches ployant sous le fardeau glacé rompaient la monotonie de cette terre
endormie. Abel libéra Filou de sa prison et prit au croisement la petite vicinale conduisant au hameau des renardières. Au bout d’une centaine de mètres, la silhouette massive de la
ferme des Briard se découpa sur le ciel gris ardoise. Il trouva René dans la grange en compagnie d’Augustin Briard, la tête plongée sous le capot allongé d’une antiquité
poussiéreuse.
« Monsieur Beaujour, j’suis bien content de vous voir… Si on m’avait dit que j’pourrai un jour bricoler un 8 cylindres de plus de cinq
mille centimètres cubes… j’tez un coup d’œil sur ce radiateur incliné… un p’tit bijou cette caisse »
Abel, que la mécanique intéressait, se fit expliquer par René toutes les subtilités du moteur, admira les formes aérodynamiques, la poupe en
« queue de Pie » de la vieille racée.
« Une ZD de 1935… M’sieur Beaujour… si on m’avait dit… »
René était aux anges. Abel comprit que son protégé avait trouvé plus qu’un abri et un gîte protecteur chez les fermiers.
Augustin Briard prit Abel par le bras et l’invita à venir se restaurer dans la maison principale.
« Depuis que René est tombé sur la Stella du grand-père de ma femme, c’est tout juste s’il prend le temps du boire et du manger. Tu viens
nous rejoindre, René ? » Demanda le fermier.
« Dans cinq minutes…J’arrive…encore un truc à vérifier » répondit le mécano.
Une odeur de tarte aux pommes et de caramel flottait dans la grande cuisine de la ferme. Sandrine Briard s’afférait autour d’une longue table
en chêne, disposant assiettes et couverts avec la dextérité des habitudes journalières. On entendait un bébé piauler dans une pièce adjacente et une vieille femme dans une robe
à pois noirs fixait d’un œil inexpressif la gazinière, un gros matou lové sur ses genoux. Filou repéra le greffier tant à l’œil qu’à l’odorat. La provocation d’un
jappement offensif laissa le chat indifférent. Après plusieurs essais infructueux, de guerre lasse, le fox se coucha frustré aux pieds d’Abel. Le repas fut copieux et bien arrosé.
Les Briard étaient des gens simples et généreux. Ils se félicitaient de la compagnie de René qui n’hésitait jamais à offrir ses services, apprenait à traire les vaches et se
proposait de restaurer la vieille auto. La grand-mère en revanche restait silencieuse, n’avait qu’à peine touché au savoureux bourguignon de sa bru et passa le repas à tripoter des
morceaux de mie de pain qu’elle avait façonnés en petites boulettes. Lorsque Sandrine fit circuler l’eau-de-vie, elle sortit de sa torpeur et tendit son verre.
« Mémère, tu sais bien que c’est mauvais pour toi. Le médecin te l’a interdit » s’exclama Augustin.
La vieille femme leva un regard vide vers lui.
« Mon jacquot, je peux avoir une goutte ? » implora-t-elle
« Mémère… J’suis Augustin, ton fils… Jacquot, c’était le père… ton mari… Tu te souviens de ton mari ? »
«J’suis pas mariée, je suis ta petite-fille… Allez, Jacquot rien qu’une p’tite goutte… » Insista l’aïeule.
Augustin gêné, soupira et baissa la tête.
« Elle perd la boule… elle mélange tout, se souvient de rien… » Murmura-t-il à l’intention d’Abel.
Le vieil homme avait compris depuis longtemps de quel mal souffrait la mère d’Augustin. Il y avait peu d’espoir de lui rendre la mémoire.
Pourtant, la peine de son fils était si sincère que lorsqu’il prit le verre de gniole, il ferma les yeux et fit un vœu.
Quand une heure plus tard, la femme d’Augustin le déposa au seuil de sa maison, deux billots de bois tendre avaient remplacé Filou au fond du
sac. Il descendit avec le petit fox de la voiture, remercia Sandrine de sa gentillesse, ouvrit la porte et sans prendre le temps de se changer, descendit à la cave où se trouvait
son atelier. Les formes langoureuses d’une Vivastella flottaient dans sa tête. Le bruit du rabot et l’odeur de copeaux de bois vinrent bientôt envahir le sous-sol.
à suivre....
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