Présenter des écritures manuscrites d'écrivains célèbres avec une étude graphologique, des comptines pour enfants, l'un de mes romans et beaucoup de mes coups de coeur, voilà l'objectif de ce blog. J'espère que vous vous y sentirez également chez vous...
Marguerite Duras
(1914 - 1996)
Autant l'avouer tout de suite... cet article a bien failli ne jamais voir le jour...
Comment pouvais-je à la fois résumer la vie de Marguerite Duras, son oeuvre et analyser même succintement son écriture en un seul et même article? Autant vouloir bâtir un "Barrage contre le
Pacifique".
Puis en glânant des informations sur sa vie, son oeuvre, j'ai découvert sur Wikipédia cette phrase qui sera le point de départ de mes interrogations graphologiques:
"La vie de Duras est une vie, et les romans de Duras sont des romans. Elle n'a cessé d'écrire une histoire de chaleur et de pluie
d'orage, d'alcool et d'ennui, de parole et de silence, de désir fulgurant aussi. On peut s'interroger longuement sur sa personnalité : méchante ou douce, géniale ou
narcissique."
Mais quelques repères biographiques avant cela:
Marguerite "Duras" est née en 1914, Donnadieu, son véritable patronyme, à Gia Dinh en Indochine, dans la banlieue de Saïgon. Son père, Henri
Donnadieu devenu directeur de l'enseignement de Hanoi, du Tonkin, en Cochinchine et au Cambodge est nommé à Phnom Penh. Rapatrié en France pour des raisons sanitaires il
y meurt encore jeune et sa femme, Marie Legrand, d'origine picarde décide de retourner en Indochine et de s'installer à Vinh Long dans le delta du Mékong avec ses deux fils et
la petite Marguerite âgée à lors de quatre ans.
En 1932 Marguerite quitte Saigon pour continuer ses études en France: Licence en droit, DES d'économie politique. Une vie de fonctionnaire au ministère des Colonies semble une voie toute
tracée devant elle. Elle se marie en 1939 avec Robert Antelme, jeune poète rencontré sur les bancs de la Fac et ami d'un certain Dyonis Mascolo.
La résistance, la déportation puis l'adhésion au PCF en 1947 marquent la vie du trio qui éclate cette même année, Marguerite quittant Robert Antelme pour vivre désormais avec Dyonis Mascolo et
mettre au monde son fils Jean.
L'écriture avait déjà prit de la place dans la vie de Marguerite Duras avec la publication sous ce pseudonyme des Impudents dès 1943, la vie Tranquille en 1944 puis de Barrage contre le
Pacifique qui sera édité en 1950 (année où elle quitte le PCF) et frôlera le Goncourt.
A partir de cette date, elle publiera pratiquement un ouvrage tous les ans, romans, pièces de théâtre, adaptations cinématographiques de ces oeuvres; elle sera elle-même réalisatrice ou
co-scénariste de plusieurs films.
Ses prises de positions politiques et sociales en feront à jamais une femme scandaleuse aux yeux des conformistes de tous poils. Elle militera activement contre la guerre d'Algérie,
dont la signature du "Manifeste des 121", une pétition sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie, est le fait le plus marquant, s'engagera en mai 1968, mais prendra position d'une
façon qui lui sera reprochée avec justesse dans l'affaire "Grégory" en accusant la mère "sublime" d'avoir tué son enfant.
Duras ne connaît en effet ni frontières, ni limites. Pour elle, il n'y en a pas entre les exigences du coeur, même les plus contradictoires. Pas plus qu'entre les caprices du corps, ou
entre le vin et l'alcool, le whisky dans le Marin de Gilbratar (1952), le campari dans les Petits Chevaux de Tarquinia (1953) ou le vin rouge de Moderato cantabile (1958). Pas de frontière non
plus entre le roman, le théâtre, le cinéma et le journalisme. Lorsqu'elle écrit Des journées entières dans les arbres (1954), elle en fait indifféremment un livre, une pièce, un film.
Femme complexe, en rebellion constante contre sa mère à qui pourtant ou justement elle ressemble par de multiples traits de caractère, elle semble souvent fascinée dans son oeuvre
par l'amour, le désir physique, la vie, la mort... la destruction.
Mettant longtemps en danger son équilibre physique et mental par une consommation importante d'alcool, il lui faudra une réelle "fureur de vivre" pour atteindre l'âge de 82 ans et sans
doute l'aide de Yann Andréa Steiner son ultime jeune amant et compagnon, pour lequel elle écrira son dernier ouvrage (1992).
Celle qui puisa la sensation puissante d’exister dans l’aura du désir d’un homme et dans la jouissance de l'écriture s'est éteinte le 3 mars 1996 à son domicile parisien de St Germain
des Près.
Ci-dessous une dédicace de Marguerite Duras datant sans doute de 1995 (un an avant sa mort) du roman L'amant paru aux Editions de Minuit :
Le trait au stylo plume à l'encre noire épaisse et engorgée diffuse sur la page et déborde des contours. Si la qualité du papier de l'éditeur est pour partie responsable de ces bords aux contours
un peu flous, j'ai retrouvé sur d'autres exemplaires cette caractéristique dans l'écriture de Marguerite Duras.
Un trait qui bave un peu, des engorgements d'encre dans les oves des "e" des "o" et des "a" ne sont pas rares. Il n'en reste pas moins de l'élégance dans la forme ovoïdes de certaines lettres (en
particulier les "o"), la liaison aérienne du "d" " dans cordialement, dans les majuscules inégalement mises en valeur mais avec une certaine simplicité et aisance.
Alors.... méchante ou douce, géniale ou narcissique?
S'il existe une certaine ambivalence dans une liaison qui alterne des espaces et des rétrécissements, de la courbe et de l'angle, de l'arcade et de la
guirlande, la diversité d'un "t" final parfois scolaire et parfois effectué en rejet (mot cordialement) on est bien tenté de dire... les deux...à la fois
L'inégalité de dimension dans la zone médiane, les finales parfois en courbe ouverte ou courtes et plus raides, la très grande diversité dans la liaison, le trait lourd, pâteux parfois presque
sale montrent une personnalité marquée, un peu engluée dans la "glaise de ses émotions" (Boris Cyrulnik). Le plaisir et la souffrance s'y côtoient, le "ressenti" est fort, charnel, puissant et
inquiétant.
Pourtant l'écriture ne "stagne " pas, elle continue à avancer en s'accrochant... avec des reprises, des collages, une inclinaison vers la droite naturelle et habituelle (vérifiée sur d'autres
documents). Il n'y a plus dans cette dédicace, le mouvement effervescent que j'ai pu constater sur d'autres écrits que je ne peux reproduire. Il semble en dehors de l'aspect "formel"
d'une dédicace que le temps pour l'écrivain ne soit plus à la lutte, au bouillonnement intime, mais bien plutôt au constat et au besoin de sérénité.
Le paraphe final de la signature, un peu maladroit, au trait engorgé, peu assuré dans sa direction semble être l'aveu d'un certain: A quoi bon?
Et pour terminer quelques citations de Marguerite Duras:
Les écrivains qui pensent être seuls au monde, disait Marguerite Duras dans 'Les Parleuses', (... ) c'est de la connerie monstre. Je fais mes livres avec les autres. Ce qui est un peu bizarre, c'est cette petite transformation que ça subit peut-être, ce son que ça rend quand ça passe par moi, c'est tout....
Il reste toujours quelque chose de l'enfance,
toujours....
Ecrire, c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit.