15 décembre 2007
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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
(25) Où l'on s'aperçoit que le rouge est synonyme d'amour
(25) Où l'on s'aperçoit que le rouge est synonyme d'amour
Sa fille et son petit-fils étaient partis sur la promesse de revenir bientôt. La séparation avait mouillé les yeux de chacun et le petit
mot que Sylvain avait glissé dans l’oreille de son grand-père au moment de lui dire adieu avait chamboulé le cœur d’Abel. Il les avait regardés tous les deux partir la main dans
la main jusqu’à ce que leurs silhouettes disparaissent au bout de la rue. Dans la soirée, il avait attaqué le second billot de sapin et sculpté une nouvelle voiture en suivant
attentivement les dessins de Sylvain. Vers quatre heures du matin, le jouet ressemblait à s’y méprendre à une coccinelle aux formes épurées. Il restait encore du travail pour
poncer la calandre, fixer les roues de l’auto, des détails importants qu’il laisserait à Cédric. Il remonta dans sa chambre pour se reposer.
L’excitation de la veille et le travail acharné de la nuit l’empêchèrent de trouver le sommeil. Il se leva plusieurs fois, erra dans la maison ne sachant quoi faire pour apaiser les battements de son cœur, l’étrange angoisse qui lui nouait la gorge. Tout autour de lui semblait irréel. La paisible atmosphère qui avait régné des années dans sa demeure était chargée d’une intensité électrique, d’un mystère dont il n’arrivait pas à discerner le positif du négatif. Il aurait pu se réjouir d’avoir pendant vingt deux jours suivi à la lettre les consignes du calendrier et vu son existence se remplir de pensées et d’actions qui lui faisaient défaut d’ordinaire. S’en réjouir seulement. Or sa satisfaction, au fil d’une nuit amorçant son déclin, était battue en brèche par du ressentiment et du doute.
L’excitation de la veille et le travail acharné de la nuit l’empêchèrent de trouver le sommeil. Il se leva plusieurs fois, erra dans la maison ne sachant quoi faire pour apaiser les battements de son cœur, l’étrange angoisse qui lui nouait la gorge. Tout autour de lui semblait irréel. La paisible atmosphère qui avait régné des années dans sa demeure était chargée d’une intensité électrique, d’un mystère dont il n’arrivait pas à discerner le positif du négatif. Il aurait pu se réjouir d’avoir pendant vingt deux jours suivi à la lettre les consignes du calendrier et vu son existence se remplir de pensées et d’actions qui lui faisaient défaut d’ordinaire. S’en réjouir seulement. Or sa satisfaction, au fil d’une nuit amorçant son déclin, était battue en brèche par du ressentiment et du doute.
L’aventure était sur le point de se terminer et sans l’apport journalier du calendrier, il craignait de retomber dans l’ennui, la routine
et l’indifférence. Oui, il lui en voulait d’avoir secoué la douce torpeur dans laquelle les joies et les peines avaient la saveur du médiocre. Le bout de carton ne l’avait pas
fait rêver pour le rendre à une réalité dont la banalité aujourd’hui lui donnait la nausée. Et il ne se sentait ni la force de caractère, ni l’énergie physique de
poursuivre seul le chemin tracé par les bouts de papier. Il en voulait au calendrier, il s’en voulait plus encore. Des papillons de nuit voletaient dans sa tête, agitaient des
idées noires, répandaient dans leur sillage des effluves nauséabonds. L’inquiétude le maintint éveillé jusqu’au petit matin. Enfin, il sombra dans un sommeil vide de songes et
n’en sortit que par l’entremise d’un coup de langue râpeux de Filou sur le dos de sa main. La lumière qui filtrait des double-rideaux était dépourvue de toute
ambiguïté : la matinée était largement entamée.
Il quitta le lit avec l’impression de ne pas avoir dormi une seule seconde, alla directement se réchauffer un double café et prépara machinalement la gamelle du chien. Le petit fox avait assez de jugeote pour comprendre que le ferment du mal qui rongeait son nouveau maître exigeait une conduite irréprochable. Il se fit discret et attendit sans manifester d’impatience que son repas fut prêt. Il dut donner le mot à Myrtille qui se contenta d’entonner mezzo voce le premier couplet du cantique de Moreau pendant la douche d’Abel.
Il quitta le lit avec l’impression de ne pas avoir dormi une seule seconde, alla directement se réchauffer un double café et prépara machinalement la gamelle du chien. Le petit fox avait assez de jugeote pour comprendre que le ferment du mal qui rongeait son nouveau maître exigeait une conduite irréprochable. Il se fit discret et attendit sans manifester d’impatience que son repas fut prêt. Il dut donner le mot à Myrtille qui se contenta d’entonner mezzo voce le premier couplet du cantique de Moreau pendant la douche d’Abel.
La discrétion inhabituelle des animaux finit par payer. Abel sortit de son humeur désagréable et concentra son attention sur les tâches de
la journée. On sonna bientôt à la porte et le facteur remit à Abel un paquet enveloppé dans un papier épais décoré d’une ribambelle de feuilles d’érable. Le bonhomme en profita
pour lui donner ses étrennes et sacrifier à la coutume des vœux de bonnes fêtes. Les timbres et le cachet de la poste étaient sans équivoque, le paquet venait du Natashquan. Il
appela Filou, lui lut à haute voix la lettre de son maître, lui montra le collier et la nouvelle laisse aux empreintes d’ours blanc puis cacha derrière le sapin le cadeau
enrubanné que contenait le colis. La mauvaise humeur dissipée, il décida qu’il était grand temps de s’occuper du calendrier. Abel découpa au cutter l’habitacle vingt trois avec
la précision d’un orfèvre.
«Le Calendrier est ému de voir le soin que vous prenez de lui. La belle complicité qui nous lie restera un de nos plus beaux souvenirs.
Pour que la fête à venir soit une parfaite réussite nous vous demandons de soulager une âme du fardeau qui l’empêche de reposer en paix. Nos disparus ont besoin eux aussi de
jouir du merveilleux de la Noël. Certains errent dans l’immensité des cieux et s’inquiètent pour vous. Apaisez l’inquiétude de l’un d’entre eux. Tendrement vôtre, le
Calendrier »
Pour la première fois Abel sut sans hésiter à qui adresser son vœu. Il s’habilla chaudement d’un pantalon de velours côtelé, enfila un
tricot de laine épais et chaussa ses mi-bottes fourrées. Il sortit un panier en osier du débarras dans lequel il rangea une raclette, une grosse éponge de ménage, deux torchons
usagés et une peau de chamois. Il alla dans la cuisine, ouvrit la fenêtre pour prendre le cotonéaster. Une seconde pousse se profilait à l’opposé de la première. Il essuya
doucement les feuilles perlées de rosée et cala la plante dans le fond du panier. En prévision de la route qui serait longue, il prépara deux sandwichs jambon beurre, l’un pour
lui et l’autre pour le petit fox. Une dernière inspection l’assura qu’il n’avait rien oublié. Ils partirent d’un pas mesuré vers les confins de la cité.
Au terme d’une heure de marche régulière, les grilles du cimetière se profilèrent dans la brume légère. Ils empruntèrent la porte de côté qui grinça comme pour avertir les gisants de la venue d’un visiteur. Abel se faufila dans les allées et repéra la pierre tombale à son rectangle sobre de marbre incarnat. C’était madame Beaujour qui avait exigé cette couleur, le noir et le gris faisant selon elle trop chagrin. Il débarrassa la tombe de deux pots gelés d’anciens chrysanthèmes et à l’aide de la raclette et de l’éponge nettoya la surface de la pierre. Une lumière blanche baignait de sa clarté givrée les mausolées de granit, adoucissait l’éclat criard de fleurs en plastique. Chaque centimètre carré fut poli à la peau de chamois.
Au terme d’une heure de marche régulière, les grilles du cimetière se profilèrent dans la brume légère. Ils empruntèrent la porte de côté qui grinça comme pour avertir les gisants de la venue d’un visiteur. Abel se faufila dans les allées et repéra la pierre tombale à son rectangle sobre de marbre incarnat. C’était madame Beaujour qui avait exigé cette couleur, le noir et le gris faisant selon elle trop chagrin. Il débarrassa la tombe de deux pots gelés d’anciens chrysanthèmes et à l’aide de la raclette et de l’éponge nettoya la surface de la pierre. Une lumière blanche baignait de sa clarté givrée les mausolées de granit, adoucissait l’éclat criard de fleurs en plastique. Chaque centimètre carré fut poli à la peau de chamois.
Quand le tombeau eut retrouvé sa brillance, il sortit le cotonéaster du panier et le plaça en évidence au mitant de la stèle. L’intimité du
moment ne fut pas même troublée par des corbeaux perchés sur le faîte d’un cyprès. Abel s’assit sur le bord de la plaque de marbre, sortit les deux en-cas du panier et
casse-croûta avec son compagnon, tout en racontant par le menu détail à sa femme, l’histoire du calendrier. Il n’oublia aucune des péripéties de l’Avent et lui décrit avec des
mots choisis et tendres ses rencontres avec la crémière. Le soleil avait déjà amorcé sa chute vers l’occident lorsque Abel prit le chemin du retour. Au moment de quitter le
cimetière, il jeta un dernier regard vers la tombe. Le cotonéaster trônant sur la tombe parut porter des grappes de fruits d’un rouge étincelant. Etait-ce le reflet du marbre
sur les branches ou l’éclosion de multiples boutons ? Il envoya un baiser en direction de sa femme puis lui murmura un mot d’amour.
Il trouva sur le seuil de sa demeure Cédric et sa mère qui l’attendaient depuis cinq bonnes minutes. Il s’excusa du retard puis leur ouvrit
la porte. De fait, le gamin avait tancé sa mère pour être là de bonne heure et avait craint devant la porte close qu’Abel ne l’ait oublié. La maman de Cédric confia à l’apprenti
précepteur que depuis le lever du jour, son fils n’avait parlé que de leur rendez-vous et du cadeau en préparation pour son jeune frère. Elle avait eu des difficultés à le faire
patienter et s’émerveillait de son enthousiasme et de son empressement. Tout en parlant, elle caressait la tête de Cédric qui la portait bien droite, bien levée, bien fière.
Elle les quitta à regret sur la promesse d’être de retour dans une heure ce qui déclencha les supplications du petit pour allonger le temps de la séance. On trancha sur une
heure et demie.
Rendu à son rôle d’éducateur, le vieil homme prépara le goûter puis ensemble ils se rendirent au sous-sol où la petite voiture les
attendait. Il enseigna au gamin le maniement de la râpe, l’initia aux subtilités du papier de verre. Ils terminèrent l’assemblage des roues et leur fixation aux tiges de métal
qu’Abel avait coupées aux dimensions de l’auto. Un dernier ponçage à la feuille abrasive donna au jouet la douceur la plus exquise. Cédric tenait dans sa main l’auto et la
couvait des yeux comme le plus beau des trésors. Abel ouvrit un pot de peinture rouge et sortit d’un tiroir deux pinceaux. En quelques coups bien appliqués la première couche
fut posée. Pendant que la peinture séchait, il montra à l’enfant la Vivastella et lui raconta d’où lui était venue l’idée d’en sculpter une dans le bois. Le minot écarquilla les
yeux, se passionna pour l’histoire. Devant tant d’intérêt, Abel eut une idée :
« Cela te dirait-il après les fêtes de Noël et à condition que tes parents soient d’accord, de venir rendre une petite visite à René,
l’as des mécaniciens ? Il n’a pas son pareil pour réparer un moteur et je suis sûr qu’il sera très heureux de t’apprendre les ficelles du métier »
Le gamin sauta au cou du bonhomme qui surpris par l’effusion faillit trébucher et n’eut la jambe sauve qu’en s’agrippant à l’étau fixé à
l’établi. Dans la précipitation, le pot de peinture se renversa éclaboussant dans sa chute les pieds du bonhomme.
« Vous êtes le plus gentil des pères Noël, tonton Abel » lui bavouilla Cédric dans le creux de l’oreille.
Deux enfants, un petit et un grand, sentirent des liens éternels se tisser dans leurs cœurs au même
instant.
à suivre....
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