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  • : Ecritures à la loupe
  • : Présenter des écritures manuscrites d'écrivains célèbres avec une étude graphologique, des comptines pour enfants, l'un de mes romans et beaucoup de mes coups de coeur, voilà l'objectif de ce blog. J'espère que vous vous y sentirez également chez vous...
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Mes romans

histoire

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17 janvier 2011 1 17 /01 /janvier /2011 11:22

spectre

 

III

 

 

Peu à peu les fumées qui s’étaient réfugiées en une grande troupe désordonnée sur le vaste toit pentu de la maison du maire s’élevèrent dans le ciel, comme une seule et même orgueilleuse colonne, puis, après quelques secondes d’hésitation, se séparèrent, tourbillonnèrent en tous sens sous les yeux stupéfaits de mon cantonnier pour enfin s’amalgamer en cinq groupes compacts qui prirent lentement des formes humaines. Il les vit se déplacer, certaines s’asseoir avec précaution sur les tuiles luisantes, d’autres continuer à errer jusqu’à se figer enfin dans des pauses étudiées. À la lumière froide et lugubre de la lune, il n’eut pas de difficultés à reconnaître dans les cinq silhouettes des concitoyens qu’il avait l’habitude de croiser et pour lesquels il rendait à l’occasion de petits services. La première qui retint son attention était vêtue d’une longue cape dont la capuche était ramenée sur le front. Juste quelques mèches folles dépassaient, cachant une partie du visage. Aucun doute possible, il n’y avait que la veuve Marthe pour oser encore porter des vêtements de deuil à l’ancienne. À quelques pas d’elle, de profil, la forme ventripotente dont les plis adipeux débordaient d’un ample pantalon tombant en accordéon sur de rustiques galoches ne pouvait être que l’incarnation fumeuse d’Augustin, le propriétaire de l’auberge du village. Un peu plus loin, adossé au conduit d’une cheminée, il reconnut la posture désinvolte du fils du maire, le jeune et séduisant Blandin, tandis qu’à ses côtés, en tenue légère, les guiboles écartées en une attitude équivoque, se lovait Moune, la fille du père Baillou. Enfin, au centre de ces spectres, maître Cormaillon, le notaire, se tenait comme à son habitude, la tête rentrée dans les épaules, les mains serrées, les genoux à demi fléchis.

 

Si les formes étaient réalistes, dépourvues de toute ambiguïté, la réunion de ces cinq personnages en un même lieu avait de quoi surprendre le pauvre vieux Jules, mon ami cantonnier. Il était bien placé, lui, si souvent par monts et par vaux, l’oreille toujours tendue pour récolter les commérages dont il régalait au zinc des  « Demoiselles » ses compagnons de lampées, pour savoir que ces cinq là, n’entretenaient pas que de paisibles et amicales relations de voisinage. S’il y avait en effet, dans une région de quelques kilomètres carrés, des gens qui nonobstant leur différence d’âge et de statut social accumulaient rancoeurs et petitesses, c’était bien ces cinq là. Tenez, par exemple… la Marthe, si revêche et plus pingre qu’Harpagon lui-même, ne tenait aucun des quatre en haute, voire même en basse estime. Son veuvage n’avait fait qu’accroître un tempérament aigre et envenimer une langue de vipère. Elle détestait le genre humain. Un vieux contentieux l’opposait à Augustin au sujet d’une minuscule bande de terrain longeant la rivière, les deux revendiquant sa propriété et son usage pour l’arrosage respectif de leurs potagers. La Marthe se prévalait haut et fort, à qui voulait l’entendre, d’une prescription trentenaire. Le notaire après avoir consulté le cadastre et étudié les titres de propriété avait conclu qu’Augustin en était le propriétaire. Cela lui avait valu la haine indéfectible de la veuve qui ne manquait jamais une occasion pour attaquer en cachette sa probité et ses compétences. Chose d’autant plus facile que le notaire n’était pas tout blanc, loin de là… jugez-en : expert en dessous de table et ventes furtives à la bougie, se prêtant avec une disposition naturelle et remarquable aux prête-noms, maître Cormaillon avait accumulé une fortune personnelle que jalousaient beaucoup de paysans de la région. Roués comme le sont nos bons chrétiens d’agriculteurs berrichons, ils n’entendaient pas que leur notaire en fit de même. C’était par ailleurs un homme secret, fouineur, précautionneux et le dernier rejeton d’une famille dont la particule avait été décapitée sous la Terreur mais dont le nom amputé inspirait encore à défaut de respect, une crainte certaine. Parfaitement au fait des passe-droits dont avait bénéficié le fils Blandin pour occuper la présidence d’une coopérative agricole, informé des tractations du père auprès de ses relations personnelles pour assurer au rejeton de substantiels dividendes dans une fabrique de porcelaine à Limoges, averti de la kyrielle de prêts accordés avec empressement par la banque locale au jeune homme dépensier, le notaire pensait tenir toute la famille du maire sous son emprise et pouvoir au gré de ses besoins récolter ci et là quelques miettes du gâteau en maniant adroitement la menace. Il considérait Blandin junior comme un blanc-bec, dénué de jugeote, voire plutôt niais. Celui-ci, de son côté, n’avait que mépris pour le notaire qu’il surnommait « Le Rat », mépris qui s’étendait, soyons clair, à tous ceux dont l’âge dépassait la quarantaine et qu’il prenait, sans exception, pour des bouseux et d’anciens collabos. Un court stage dans les locaux du Berry républicain lui avait en effet appris l’histoire des journaux locaux depuis la « Dépêche du Berry », porte-voix officiel de la France de la collaboration jusqu’aux petites parutions des journaux clandestins comme le « Paraboche », « l’Emancipateur » ou « En avant » pendant la guerre. Ayant trouvé, caché dans le grenier maternel, deux exemplaires de « l’Emancipateur », il s’était forgé la certitude, sans se donner la peine d’approfondir ses recherches, d’être né dans une famille de résistants. Et si son père, rarement questionné, restait vague sur le sujet, il en concluait à de la modestie et de la pudeur. Ses seules passions étaient les voitures de sport, rouges et décapotables et les filles, qu’il préférait faciles et bien roulées. Bien roulée, c’était assurément le cas de la Moune, une donzelle de dix-huit ans dont l’éducation sentimentale puisait ses racines dans la lecture assidue des romans photos de « Nous Deux » et de « Confidences ». Fille unique, couvée par sa mère et étroitement surveillée par son père, elle avait développé un art extrême de la dissimulation pour échapper à leur vigilance et se livrer à son occupation favorite : allumer les garçons du canton. La très vague ressemblance entre le fils Blandin et son acteur fétiche Franco Gasparri avait assuré au fils du maire, une place privilégiée dans le cœur de la Moune. Belle et sotte, elle avait tout pour lui plaire, mais l’élevage des Baillou battait de l’aile et il manquait à Moune une dote conséquente pour le rendre éperdument amoureux.

 

 

à suivre...

 

 

©Alaligne

 


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commentaires

V
Un petit pour vous dire que votre blog est super!
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V
Merci pour tous ces conseils, je vais essayer de les appliquer !
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F
<br /> <br /> Ah si en plus le bon petit peuple de cet endroit joue les ectoplasmes sur les toitures du  village alors là,  à riz pot d'terre sera-t-il de taille pour lutter contre le pot de faire<br /> ?...<br /> <br /> <br /> Celui des relans intestinaux que notre brave cantonier ne va pas lui, puiser à la goutte-tiers... en ces clercs de l'une qui ne va pas sans l'autre ... <br /> <br /> <br /> Une nuit peu ordinaire se présente là, et on va pousser plus loin même en titubant ...  taraban ban ! ... hic !<br /> <br /> <br /> Bises du lundi soir <br /> <br /> <br /> <br />
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