Blog-notes*
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VII
L'écriture lui sembla familière, mais le contenu du texte le laissa perplexe.
- Vous avez trouvé cela où, c'est quoi, une prière ? interrogea Delage
- Ben, voilà... je sais pas pourquoi j'ai fait cela. Bon, voilà... Lorsque j'ai trouvé les affaires de la petiote, l'autre jour, il y avait aussi ce papier là. J'avais envie de le garder, en souvenir, quoi... Vous savez, ma femme et moi, on n'a pas eu d'enfant. Ma pauvre Germaine, c'est pas qu'elle voulait pas, mais bon, on a pas pu. Stérile, ils disaient les toubibs. Et puis de notre temps, y'avait pas tous ces trucs " in vitro " qui font que même si vous pouvez pas, ben, quand même vous en avez.
Tout en parlant, le père Matthieu tripotait d'une main la couverture de laine rouge et de l'autre cherchait machinalement dans la poche de sa chemise le paquet de cigarillos, laissé dans la marquise. Il leva un regard de chien battu vers le policier, quêtant un signe d'approbation et un encouragement à continuer. Mais Delage avait sorti un calepin de sa poche et prenait des notes avec une indifférence clairement affichée.
- Alors, reprit-il, quand j'ai lu ce mot, j'ai pensé à elle. Enfin, je veux dire à ma femme, une femme pieuse, pas une bigote, mais une femme qui vous récitait son " Je vous salue Marie ", comme si la Vierge, elle était là, là, vous voyez assise à votre place, même que parfois, c'était à croire qu'elle la voyait. Alors la prière de la petiote, j'ai voulu la garder, en souvenir de Germaine. Puis, je me suis dit, c'est pas correct de voler à des morts leur prière. Comme je connais pas l'adresse des parents, j'ai pensé que le Commissaire, lui, il saurait et qu'il leur donnerait.
Delage reprit le mot et se mit à le lire à voix basse :
Je suis si heureuse car aujourd'hui
J'ai trouvé mes amis
Ils sont dans ma tête
Je suis si laide
Mais c'est pas grave, car toi aussi
Nous avons cassé nos miroirs.
Dimanche matin
Est le seul jour qui m'intéresse
Et je n'ai pas peur
J'allume mes bougies
Ça m'éblouit
Car j'ai trouvé Dieu
- Drôle de prière, tout cela n'a guère de sens. L'écriture ressemble effectivement à la lettre que vous nous avez remise et je regrette que vous vous décidiez seulement à nous la donner. C'est très grave, père Matthieu, de dissimuler des pièces à la police gronda t-il d'une voix grave.
Puis il sortit de sa veste une pochette en plastique transparent et glissa la feuille de papier à l'intérieur.
- Je ne pense pas que cela change les conclusions de notre enquête, mais je communiquerai ce document à Guedj et nous verrons au moins s'il a bien été écrit par la suicidée. Etes-vous sûr de rien avoir oublié d'autre ?
Delage avait volontairement laissé traîner sa voix sur le mot oublié.
- Foi de marinier ! Je le jure ! s'écria le père Matthieu. J'suis tout sauf un gobeur !
- Un quoi ? s'exclama Delage
- Un gobeur, fiston... De la mauvaise engeance, des bateliers malhonnêtes qui exploitaient des coches d'eau sur la Loire et qui escroquaient les voyageurs. La honte de la profession ! Mais, c'était il y a bien longtemps...
- Pourtant, le temps semble s'être arrêté quelque part sur ce bateau, ironisa le policier.
- Je reviendrai vous voir bientôt père Matthieu. Vous me parlerez batellerie et je vous parlerai de vos livres. Au fait, vous savez que vous avez une fortune en papier dans votre bibliothèque ?
- Vous êtes bien de votre époque, vous ! Dès qu'il y a du rêve, vous pensez pognon. Mais bon, vous me paraissez être un bon gars, fiston. Alors d'accord pour vous enseigner mon jargon et pour vous laisser tripoter mes bouquins. Top là, c'est quand vous voudrez...
Delage serra la paume ouverte du Père Matthieu et songea qu'il n'avait au final pas vraiment perdu son temps.
*BLOG-NOTES est un manuscrit déposé, ayant reçu un numéro d'ISBN mais non encore corrigé et édité. Les amis blogeurs qui auront le courage et la ténacité de lire ce petit suspense jusqu'au bout seront nommément cités sur le livre en dédicace.