Hervé LE CORRE
L'homme aux lèvres de Saphir
(rivages/noir)
Le résumé (quatrième de couverture):
Paris, 1870, une série de meurtres sauvages semble obéir à une logique implacable et mystérieuse qui stupéfie la police, fort dépourvue face à ces crimes d'un genre nouveau. Le meurtrier, lui, se
veut "artiste": Il fait de la poésie concrète, il rend hommage à celui qu'il considère comme le plus grand écrivain du XIX ° siècle, Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont, dont il prétend
promouvoir le génie méconnu.
Dans le labyrinthe d'une ville grouillante de vie et de misère, entre l'espoir de lendemains meilleurs et la violence d'un régime à bout de souffle, un ouvrier révolutionnaire, un inspecteur de
la sûreté, et deux femmes que la vie n'a pas épargnées vont croiser la trajectoire démente de l'assassin. Nul ne sortira indemne de cette redoutable rencontre.
Les critiques: Pratiquement aucune critique officielle sur internet. Il est curieux que ce roman qui fut couronné en 2005 du Grand prix du roman noir
français au festival de Cognac et du prix Mystère de la critique, n'ait pas déclenché plus de commentaires.
Mes impressions:
Un roman noir, voire très noir, qui joue habilement et talentueusement sur plusieurs registres en même temps.
Le fond historique parfaitement rendu sous la plume de Le Corre donne le ton et l'unité au livre. L'auteur se livre à un travail de reconstitution d'un Paris populaire sous Napoléon III qui va de
la description parfois très minutieuse des lieux, à la réalité sociale de l'époque ainsi qu'au parler de cette fin de siècle. Autant dire que l'on baigne dès les premières pages dans l'ambiance
d'une société sur le point de chavirer.
Les ouvriers, les pauvres, les filles de joie sont les héros incontestés de ce roman. La police de l'Empereur très puissante et nombreuse y est également décrite avec pertinence à une période où
commencent à s'esquisser les balbutiements de la police scientifique, où les enquêteurs sont à la fois prisonniers de méthodes "à l'ancienne" et tentés d'expérimenter de nouveaux modes
d'investigations.
N'échappant pas à la règle et à la mode du "tueur en série" Le Corre a l'intelligence d'associer au meurtrier un écrivain dont l'oeuvre sulfureuse "Les chants de Maldoror" fit alors
scandale et fut longtemps censurée. En dehors de cette particularité, Henri Pujols, le psychopathe, ressemble beaucoup à Jack l'éventreur qui huit ans plus tard sémera la terreur à
Whitechapel.
A titre de découverte, voici un extrait des "Chants de Maldoror" qui n'est pas publié dans le roman:
« Lecteur, c'est peut-être la haine que tu veux que j'invoque dans le commencement de cet ouvrage ? Qui te dit que tu n'en renifleras pas, baigné dans d'innombrables voluptés,
avec tes narines orgueilleuses, larges et maigres, en te renversant du ventre, pareil à un requin, dans l'air beau et noir, comme si tu comprenais l'importance de cet acte et l'importance non
moindre de ton appétit légitime, lentement et majestueusement, les rouges émanations ? Je t'assure, elles réjouiront les deux trous informes de ton museau hideux, ô monstre, si toutefois tu
t'appliques auparavant à respirer trois mille fois de suite la conscience maudite de l'Éternel ! »
On comprend vite que le tueur, dont l'identité nous est révélée très tôt, dans sa fascination pour l'oeuvre du poète "devient" Maldoror et réalise toutes les atrocités du héros du Comte de
Lautréamont.
Le livre ne se résume donc pas à la découverte de l'assassin, bien au contraire. Qui sera sa prochaine victime? et sera-t-il appréhendé pour ses meurtres? sont les deux questions qui fondent les
ressorts policiers de l'intrigue.
Si la langue de Le Corre parfois crue, souvent cruelle, surtout très expressive est l'un des attraits majeurs de ce roman , c'est le mélange de descriptions imagées, de
portraits touchants et émouvants qui font de ce roman noir une vraie réussite.
Que l'on aime l'Histoire, le suspense, le roman social ou sentimental, on trouve largement son compte dans ces 500 pages écrites dans un style à la fois vigoureux et sensible.
Seul petit bémol en ce qui me concerne: En dépit du talent de l'auteur, le roman se dilue parfois et quelques coupes auraient été les bienvenues.
Donc vous aurez compris au terme de cette présentation: L'homme aux lèvres de saphir est à lire, à déguster aussi bien étendu sur sa serviette de plage qu'allongé sur son divan
pour ceux que ce brillant été a privé de soleil...
Bonne lecture, et n'oubliez pas de me donner votre avis si cet article vous a donné envie de vous faire votre propre sentiment....