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  • : Ecritures à la loupe
  • : Présenter des écritures manuscrites d'écrivains célèbres avec une étude graphologique, des comptines pour enfants, l'un de mes romans et beaucoup de mes coups de coeur, voilà l'objectif de ce blog. J'espère que vous vous y sentirez également chez vous...
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Mes romans

histoire

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13 novembre 2007 2 13 /11 /novembre /2007 13:40


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles

(11)  Où Abel Beaujour doit affronter des personnes en colère

 
Lorsque l’on frappa à sa porte en ce lundi matin, Abel terminait de préparer le repas du chien. Des visiteurs, il n’en avait guère et sa surprise fut à son comble en voyant la mine renfrognée de Gontran de la Perronière s’encadrer dans l’œilleton du judas. Il l’invita à entrer dans le salon mais monsieur le Maire refusa.
     
« Je n’ai que très peu de choses à te dire, Abel » attaqua l’élu local dont la mine empourprée reflétait tout autant le gel matinal que la colère.
      
«Je te préviens que cela ne va pas se passer comme cela. Ton initiative d’hier, ne te fais aucune illusion, j’ai bien compris. Si c’est ma place que tu brigues à la mairie, je te préviens que je ne me laisserai pas faire. Des coups bas, j’en ai pris dans ma vie, mais un comme celui-ci, j’avoue que là, je ne m’y attendais pas. On se comprend n’est-ce pas ? ». Abel leva les mains au ciel en signe d’interrogation et d’impuissance.
       
« Ne fais pas l’idiot ! Si tu voulais saboter mon action, prendre par jalousie le devant de la scène, tu ne t’y serais pas pris autrement. Alors, écoute bien ce que j’ai à te dire… Que tu essaies de mettre le feu à la ville par une action totalement irresponsable, puérile et à la limite criminelle c’est une chose, mais que ce faisant, que tu tentes de me discréditer personnellement auprès des électeurs en est une autre. Attends-toi à ce que je n’en reste pas là… A bon entendeur, salut ! ».
         
Abel n’eut pas le temps de se défendre que Gontran avait déjà tourné les talons. Il ferma la porte et resta quelques instants abasourdi.  A aucun moment il n’avait imaginé porter le discrédit sur l’action du maire et encore moins lui nuire de manière personnelle. Bien sûr, il aurait sans doute dû l’informer en premier de son initiative. Son idée première avait été de la faire, mais il ne l’avait pas contacté. Sur les coups de fils passés, le numéro du maire était tombé aux oubliettes. Un acte manqué ? La réponse l’embarrassait. Oui, peut-être, un peu de cela, finit-il par s’avouer. Abel, n’était pas le genre d’homme à se laisser démonter par des menaces. Pour le moment il avait mieux à faire. Le calendrier l’attendait avec son numéro neuf plein de promesses. Il appela Filou pour partager ce moment précieux. 
             
« Le Calendrier est bien aise de vous retrouver. Nous espérons que la lumière a éclairé les cœurs de ceux qui vous entourent et qu’un même élan vous guide tous ensembles vers le jour de la nativité. Le chiffre neuf, symbole de l’universel, doit vous conduire dans une voie permettant à un jeune enfant d’acquérir les notions élémentaires qui lui permettront d’adapter son jugement aux choses et pas seulement à l’idée qu’il s’en fait. Si cette consigne vous semble absconse, nous vous conseillons de lire Spinoza. Fidèlement vôtre, le Calendrier ».
        
Abel éclata de rire. Pour un matheux comme lui, le message n’avait rien d’abscons. Il y avait déjà belle lurette que pour Abel, essayer de comprendre, ce n’était jamais partir de l’expérience immédiate, ni se fier à l’expression de ses propres désirs afin de saisir la réalité telle qu’il aurait voulu qu’elle soit. Pourtant, il eut un doute. N’était-il pas justement en train de faire exactement le contraire en suivant les consignes du calendrier ? Il écarta l’argument qu’il jugea déplaisant. Trouver un enfant en difficulté scolaire, ne devrait pas poser problème. Le vœu serait cette fois facile à formuler. Après la sortie matinale de Filou, il irait à l’école primaire et se renseignerait auprès de la directrice pour connaître l’inévitable cancre recordman des mauvaises notes toutes matières confondues. Ce qui fut résolu dans sa tête, fut fait.
                
Madame Leboeuf, directrice de la maternelle de l’école communale l’accueillit avec une surprise qui se mua rapidement en sincère ferveur. L’enseignante oeuvrait depuis plusieurs années pour organiser un soutien scolaire auprès d’enfants rencontrant des difficultés. Qu’un élu vienne lui rendre visite sur ce thème, ne pouvait que l’encourager. Si Abel lui cacha l’origine de son intérêt pour ce sujet, il se montra ouvert et favorable à prendre sous sa tutelle un gamin qui avait usé jusqu’à la corde la vocation de plusieurs institutrices. L’heure de la récréation ayant sonné, elle lui désigna dans la cour de l’école le tueur de bonnes volontés et de talents pédagogiques. La frimousse effrontée d’un gamin de neuf ans vint narguer Abel sous le nez.
             
« Si tes parents sont d’accord, Cédric, ce monsieur est prêt à te donner des cours privés pour t’aider dans tes études, et cela gratuitement. C’est particulièrement gentil de sa part, car monsieur Beaujour est un homme très occupé qui a de grandes responsabilités dans notre ville. Je suis persuadée que tu auras à cœur de ne pas le décevoir. Qu’en penses-tu Cédric ? ».
              
Manifestement, l’écolier n’en pensait que du mal. La perspective de suivre des cours supplémentaires en compagnie d’un vieux bonhomme habillé comme s’il allait à une cérémonie funéraire, ne le galvanisait aucunement. Il baissa la tête d’un air buté et demanda s’il pouvait retourner jouer au foot avec ses copains. La directrice faillit s’y opposer, mais Abel opina en signe d’acquiescement.
              
« Je téléphone aux parents dès cet après-midi. Si j’ai leur accord, ce serait bien que vous puissiez le prendre deux fois par semaine. Il faudrait passer le chercher à la sortie de l’école, par exemple le mardi et le jeudi. Pensez-vous que cela soit possible ? » Demanda madame Leboeuf d’un air suppliant.
     
Abel songea que deux fois par semaine, cela faisait beaucoup, mais il n’eut pas le courage de la décevoir et finit par en accepter l’idée. Alors qu’il prenait congé, elle lui adressa un dernier conseil.
« Je vous préviens… avec lui, il va falloir être ferme et patient. Il n’a pas un mauvais fond, mais une force d’inertie au-delà du concevable… ». 
                  
Abel en prit bonne note et ferma les yeux pour formuler son vœu.
Sur le chemin du retour, son attention fut attirée par une intense agitation à l’angle de la rue des Cordeliers. Un camion de livraison bouchait le passage et une file de voitures s’agglutinait derrière lui. Abel s’approcha pour satisfaire à sa curiosité. Monsieur Tellier, le libraire, s’agitait en tous sens, houspillait le livreur, vociférait en proie à la plus grande des colères. Des dizaines de cartons s’entassaient devant la porte de sa boutique au rideau de fer baissé. Abel qui connaissait bien cet amoureux de la littérature, se porta à sa rencontre.
        
« Et bien Monsieur Tellier, que vous arrive-t-il ? »
« Ha ! Monsieur Beaujour ! Vous vous rendez compte… On me livre un lundi, mon jour de fermeture. Si je n’avais pas donné mon numéro de portable, tous ces colis seraient restés là sur le trottoir jusqu’à demain matin. C’est du grand n’importe quoi… Deux cents livres exposés aux intempéries et à la concupiscence, sans personne pour les surveiller.. ».
« Deux cents livres ? Vous renouvelez tout votre stock ? » Demanda Abel, soudain perplexe.
« Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Allons, monsieur Beaujour… C’est une livraison pour Noël… La réédition complète des œuvres de Paul Démère… Une idée de notre maire, pour relancer l’intérêt de ses administrés pour notre poète local… Ne me dites pas que vous n’en avez pas entendu parler ? Cela dit, s’il n’y avait pas eu une subvention, croyez-moi que je n’aurais jamais accepté de m’encombrer d’autant de livres, parce que maintenant, je vais devoir les vendre… et la poésie, ce n’est pas ce qui marche le mieux… ». 
           
« C’était donc cela… » pensa Abel. Gontran avait lancé cette réédition pour se faire de la publicité, redorer un blason qui commençait à se rouiller. L’illumination de la veille, il l’avait donc interprétée comme la volonté de saper son action et de le prendre de vitesse. Mais voilà, Abel n’avait pas été tenu au courant de l’intention du maire, ni de la subvention attribuée. Un oubli ? Abel en doutait. Dans son cœur, pourtant, germa un sentiment de reconnaissance. Paul Démère renaissait de ses cendres…N’était-ce pas ce qu’il avait souhaité ?
 
   

           

à suivre.... 


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12 novembre 2007 1 12 /11 /novembre /2007 10:20


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles

(10)  Où la nécessité de conserver des bougies chez soi devient une évidence

 
Un dimanche dans sa petite ville, en dehors des rencontres de parties de tarot trimestrielles avait autant d’attrait et le goût aussi fade qu’un plat de carottes cuites à l’eau. Abel, élevé dans la plus stricte tradition laïque et païenne n’avait même pas l’excuse de la messe en l’église Saint Pierre pour se changer les esprits et rencontrer quelques amis pour échanger de subtiles banalités. Il se plut à constater que la charge que représentait l’adoption temporaire de Filou avait au moins un avantage, celui de l’obliger à pointer le nez hors de sa maison au moins deux fois dans la journée.
           
Tout en buvant son café, il observa par la fenêtre de la cuisine le plant de cotonéaster qu’il avait, en suivant scrupuleusement les conseils de mademoiselle Rose, placé sur le rebord de la fenêtre à un endroit suffisamment baigné de soleil et abrité des courants d’air. Pour l’instant, c’était le statu quo. Il végétait, si l’on peut employer ce verbe pour décrire une plante en mal d’enracinement, aux trois-quarts dépourvue de feuilles et de fruits automnaux.
           
En revanche, Filou montrait des signes d’accoutumance aux différents pièges de la maison. Un plan de l’espace et de la disposition de l’ameublement avait dû se graver au fil des jours dans sa mémoire car il se déplaçait désormais avec aisance, esquivait les pieds de table et de chaise comme un parfait habitué. Il avait même au grand étonnement d’Abel, rapporté dans sa gueule la balle de caoutchouc sur le tapis de Tabriz pour passer la nuit. Or, cette balle, Abel l’avait rangée avec les autres jouets du chien dans une boite sur une étagère du cagibi, à un endroit difficilement accessible,  déjà encombré par toutes sortes d’appareils ménagers. Le flair du fox lui avait servi de guide pour se faufiler entre l’aspirateur, les balais, les seaux, les caisses qui y étaient entreposés. Un flair si développé qu’Abel avait pris soin d’enfermer le calendrier dans l’un des tiroirs du vaisselier de la salle à manger afin d’éviter sa destruction définitive.
              
Avec un Filou qui prenait des initiatives étonnantes, une plante figée dans l’expectative, un Benoît citant Voltaire et ne truffant que modérément ses phrases de « tu vois » et de « voilà », il avait quelques raisons d’accorder sa confiance au calendrier. Bien sûr, jusqu’à présent le nom de Paul Démère n’avait toujours pas retrouvé sa gloire passée, il n’avait pas encore vu monsieur le Maire siffler avec les doigts, ni la photo de Noël réapparaître dans son cadre et il était sans doute trop tôt pour qu’une bonne fortune ait changé la vie du vendeur de bijoux sénégalais.
 
« Une question de temps sans doute » songea Abel imperméable à toute autre éventualité.
       
A propos de temps, celui d’ouvrir l’habitacle numéro huit se faisait pressant dans son esprit.
Une fois ouvert, un bout de papier d’une longueur inaccoutumée s’en échappa. Filou à ses pieds, il lut à haute voix le message :
 
« Cher ami fidèle du calendrier, vous n’êtes pas sans savoir que le huit décembre est un jour particulier. Il s’agit pour les chrétiens de la fête de l’Immaculée Conception. Depuis trente-sept ans, ce jour est l’occasion dans la ville qui a vu naître ce calendrier non seulement de rendre grâce à la sainte Vierge mais aussi d’illuminer notre cité à la lueur des chandelles. Craignant que cette tradition ne se perde avec le temps, nous vous demandons de former un vœu qui redonne à ceux et celles qui vous entourent le goût de la lumière. Ou que vous habitiez et quelles que soient vos croyances, accordez votre cœur à la magie de la flamme. Bonne illumination. Le Calendrier. » 
            
Et vlan! Voilà que la mission incombait à un athée. Deux générations à bouffer du curé avait laissé des traces indélébiles sur la suivante. Illuminer sa ville, rien que cela…
           
Un mois plus tôt, il aurait peut-être pu suggérer au conseil municipal d’organiser un spectacle de rue avec dans différents quartiers, des animations, des comédiens, des parades qui se seraient terminées par de grandes illuminations. Une telle proposition émanant de lui aurait alors déclenché à n’en pas douter le scepticisme de quelques-uns uns mais aurait été votée par une majorité d’élus relevant de la même obédience que monsieur le Maire. Mais là, c’est dans la journée qu’il devait trouver une solution. L’ampleur de la tâche l’effraya. L’unique moyen qui s’imposa à son esprit eut pour conséquence de réduire la balade de Filou à un simple aller-retour entre la maison d’Abel et le square Démère.
                
De retour à son domicile, il se plongea dans son carnet d’adresses, releva des noms et des numéros de téléphone sur un grand cahier à spirales. Se souvenant que sa femme avait adhéré en son temps à un petit club de loisirs, il récupéra dans l’un de ses sacs précieusement conservés, la liste des amies qu’elle fréquentait à l’époque. Au terme d’une heure de recherches et de recopies, la liste comportait une cinquantaine de numéros de téléphone. Convaincre ces relations dont certaines perdues de vue depuis dix ans avec des arguments plausibles et une force de conviction inébranlable, nécessitait un vœu. Abel ferma les yeux…
               
Vers onze heures, son bureau ressemblait à un Q.G de campagne. Le téléphone dans une main, un stylo prêt à biffer des noms sur la liste dans l’autre, il s’était transformé en recruteur d’allumeurs de bougies. En dehors de quelques appels qui restèrent sans réponse et d’un refus net et clair d’une ancienne relation de son épouse, il pouvait déjà compter sur une quarantaine de oui. C’était trop peu pour faire s’embraser la ville. Il lui restait un peu plus de six heures pour motiver le reste des habitants. Il sortit de l’armoire un bottin récent et l’attaqua par ordre alphabétique. En homme organisé il avait compté deux minutes par appel soit un total de cent quatre vingt personnes à contacter. Son calcul était optimiste, car la plupart des gens lui posaient des questions, certains s’étonnant de sa démarche menaient une véritable enquête et ralentissaient son action.
          
A ce petit jeu, sa voix se voila peu à peu et ses yeux devinrent récalcitrants. Il s’autorisa une courte pause, se fit chauffer un café et croqua dans un biscuit. Quelques miettes s’éparpillèrent sur le carrelage de la cuisine et Filou qui avait quitté le panier d’osier pour le suivre se jeta dessus pour n’en faire qu’une bouchée. Trop absorbé par la mission à accomplir avant la tombée de la nuit, Abel ne s’étonna pas de la singularité de la vivacité et de la précision avec laquelle le fox avait récupéré les morceaux.
          
Il regagna son bureau en psalmodiant : « C’est bien le chien, c’est bien… ».
            
Alors que le ciel se paraît de couleurs violacées et qu’un vol de corneilles dans le ciel annonçait la venue prochaine de l’obscurité, il en était à son cent trentième coup de téléphone. Il reposa le combiné et s’étira en baillant à fendre l’âme. Son dos endolori par les heures passées courbé sur sa table de travail, le faisait atrocement souffrir. Il décida qu’il en avait assez fait pour se soumettre aux caprices du calendrier. 
              
Il se leva, fit quelques pas dans le salon afin de dégourdir ses jambes, et pour finir, se mit en quête de bougies. Celles des dames de la paroisse, achetées la veille sur le marché de Noël, feraient l’affaire. Il les plaça dans des soucoupes puis sur les rebords de fenêtres du salon. Il se souvint également d’un paquet de bougies blanches de ménage conservées en cas de coupure de courant. Il en préleva quatre qui allèrent décorer les fenêtres de la salle à manger. La nuit était froide mais le vent était tombé. Il craqua une allumette et alluma une à une les bougies blanches. Quelques minutes plus tard, les six bougies illuminaient ses fenêtres. Il se recula et admira leur lueur vacillante.
           
Il prit Filou dans ses bras et s’approchant pour contempler les minuscules flammes, ses yeux émerveillés découvrirent peu à peu de multiples petites tâches de lumière égayer les ténèbres. Aussi loin que son regard pouvait se poser, de minuscules lumignons éclairaient la nuit de leurs flammèches éphémères. De ci, de là, la ville s’unissait dans un seul et même éclat. Abel ferma les yeux et murmura « merci ». Un coup de langue précis vint prélever au bord de sa paupière la goutte salée qui s’y était formée.
 
   
 

           

à suivre.... 


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10 novembre 2007 6 10 /11 /novembre /2007 13:39


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles

(9)  Où Abel Beaujour rend deux fois service

 
Cette première semaine de l’Avent était passée à une vitesse folle. Abel qui d’ordinaire se languissait en voyant les jours défiler avec la rigueur froide d’un métronome, se leva ce matin là en ayant le sentiment d’être un homme débordé. Il avait hâte de partir au marché pour pouvoir raconter à Louise-Charlotte les péripéties qui avaient chahuté sa vie pendant sept petites journées. Le mercure du thermomètre extérieur affichait à peine trois degrés. Il se vêtit avec soin, délaissant son écharpe de soie pour une autre de cachemire, chaussa des mi-bottes fourrées, car il tenait à ne pas tomber malade au moment où son existence basculait dans une forme d’aventure excitante. Mais bien évidemment avant les courses, il y avait ce qu’il appelait maintenant le rituel du calendrier. Il appela Filou pour que celui-ci soit le témoin privilégié de son septième vœu. Il lui lut à haute voix le message :
 
« Le calendrier vous souhaite une excellente journée. Nous sommes heureux de vous retrouver dans vos préparatifs de Noël. Nous savons que cette période de fête est un moment où l’on pense beaucoup à ses proches et à soi-même. Nous vous saurions pourtant gré que ce septième vœu s’adressa à un étranger. Par étranger nous désignons, non pas une personne inconnue mais une personne de race étrangère. Nous sommes conscients qu’en cette fin de dix neuvième siècle, les étrangers ne courent pas la rue. Il vous faudra donc de la patience et de la perspicacité. Veuillez recevoir nos sentiments les meilleurs. Le calendrier. »
 
Abel se gratta le crâne d’un air perplexe. Certes, depuis la fabrication du calendrier, les choses avaient bien changé. Il suffisait d’ouvrir sa télévision et de lire les journaux pour s’en rendre compte. Les étrangers étaient au centre de beaucoup des préoccupations de ses contemporains. Les histoires de sans-papiers, les révoltes de banlieues, les extraditions alimentaient régulièrement les unes et les débats. Mais voilà, dans sa ville, il était bien placé pour le savoir, en dehors de quelques journaliers employés au moment des moissons, l’étranger n’existait pas. Rien que du pur et dur gaulois élevé à l’école de Jules Ferry et au chabrot. Le chabrot avait d’ailleurs été à une époque pas si lointaine plus efficace pour dresser la race de ses futurs concitoyens que les règles grammaticales et les subtilités de la syntaxe. Son ami Benoît était le parfait représentant de toute une génération de fils d’exploitants de ferme et d’éleveurs de bêtes à cornes. Le charme incomparable des étendues de blé d’hiver n’avait pas opéré sur ce que les journalistes appelaient le flux migratoire. Abel en conçut une légère déception, mais la pensée d’une rencontre imminente avec Louise-Charlotte lui redonna le moral.
 
Il choisit dans l’attirail laissé par le maître de Filou, une laisse verte et rouge en accord avec les couleurs du moment, enfila une paire de gants en chevreau et quitta sa demeure le cœur plein d’espoir.
 
A côté du grilleur de marrons toujours accompagné de la fillette au manteau bleu, un vendeur de sapins venait d’élire commerce. Les épicéas cédaient depuis plusieurs années la place à du Nordmann dépourvu de toute odeur mais qui évitait la corvée du ramassage des aiguilles. Le vendeur, un jeune homme descendu tout spécialement des Vosges en vantait les mérites d’une voix de stentor. Abel s’approcha, lut le prix sur les étiquettes et concéda que le commerce devenait de plus en plus lucratif.
         
Un couple avec un petit garçon lorgnait sur un géant de trois mètres. Les parents avaient beau expliquer à leur fils que l’arbre dépassait largement la hauteur de leur plafond, l’enfant ne voulait pas en démordre et trépignait de colère. Pour l’amadouer, Abel tenta de lui expliquer l’origine du sapin de Noël. Il lui narra l’histoire du dieu Attis sacrifié sur cet arbre et de la tradition qui voulait qu’en coupant un sapin et en le décorant avec de l’argent, de l’or et une étoile à six branches en son sommet, on souhaite sa renaissance. Lorsqu’il aborda la coutume des rois vikings sacrifiant des animaux alors que le petit peuple suspendait pommes pâtisseries et autres offrandes dans les branches, le gamin le regardait la bouche pendante. Evoquant finalement Charlemagne accrochant les boyaux ainsi que les yeux de ses ennemis vaincus aux sapins en guise de repentance, le minot avait oublié le pourquoi de sa colère. Abel lui expliqua finalement que la taille ne comptait guère mais plutôt l’amour et le soin avec lequel on le décorait. Si Abel perçut dans les yeux des parents une lueur de reconnaissance, il dût se rendre à l’évidence, ceux du vendeur jetaient des éclats noirs. Encore n’avait-il pas remarqué que Filou avait levé la patte sur le tronc d’un sapin.
          
Abel continua sa balade et longeant le marché de Noël, il s’aperçut avec tristesse que le stand du marchand de livres avait été remplacé par celui des dames de la paroisse. Elles y exposaient des bougies de Noël badigeonnées à l’emporte-pièce, des sent-bons à l’encens et des chaussettes porte-cadeaux tricotées par leurs soins. Il fit l’achat de deux bougies dont la peinture rouge et verte laissa instantanément sa marque sur les gants en chevreau. Négligeant le désagrément, il remplit un peu plus loin son cabas de légumes et fruits variés, de quelques provisions en viande et en poisson. Comme il se dirigeait maintenant vers l’étal de Louise-Charlotte, il sentit son cœur battre la chamade. Dès qu’elle l’aperçut, Louise-Charlotte lui fit un signe en direction du Petit Café, puis elle s’adressa à son commis tout en dénouant son tablier. Elle arborait aujourd’hui un nouveau bonnet de laine d’un joli rose qui mettait en valeur ses prunelles myosotis. Abel l’attendit, Filou sagement assis à ses pieds et c’est tous trois ensembles qu’ils gagnèrent le Petit Café.
         
 « Leur » table étant libre, ils s’y installèrent et commandèrent un Sigri de Papouasie à la saveur chocolatée, non sans avoir hésité un court instant pour un Blue Mountain jamaïcain. Comme elle s’étonnait de la présence du chien, Abel en profita pour lui raconter par le menu détail ses aventures depuis le dimanche précédent. Louise-Charlotte ouvrait des yeux ronds, fronçait les sourcils, souriait, riait, s’émouvait mais ne l’interrompit à aucun moment. Abel en arriva au vœu du samedi et lui confia son désarroi pour trouver un étranger dans la ville. Elle saisit un morceau de sucre de canne qu’elle entreprit de sucer à la façon d’un jeune enfant.
       
« Il y a Malik, monsieur Beaujour. Malik, le vendeur sénégalais de bijoux sur le marché. C’est un garçon que j’aime beaucoup et qui n’hésite jamais à me donner un coup de main pour charger et décharger la camionnette. Il est originaire de Saint Louis. C’est un jeune homme qui a fait ses études à Dakar. Un garçon qui rêvait de devenir médecin, lui le fils d’un ancien griot. Sa femme Naminia est restée avec leurs deux petits au Sénégal jusqu’à ce que Malik ait de quoi la faire venir ici. C’est un jeune homme très bien, vous devriez aller lui parler. »    
« Il manque de quelque chose, Louise-Charlotte ? » Demanda Abel.
« Il manque de tout, monsieur Beaujour. Vous n’aurez que l’embarras du choix » répondit-elle en s’esclaffant.
« Suis-je bête ! Merci de ce conseil… Je prends mon Saint-Marcellin et je vais aller lui rendre visite ».
«  Vous êtes une amie précieuse » ajouta-t-il en lui prenant la main.
          
Louise-Charlotte rougit, mais à peine. Ils restèrent ainsi quelques instants à se regarder dans le blanc des yeux.
Le commis entra en courant dans le Petit café et arriva tout essoufflé à leur table.
  
« J’y arrive plus. Je ne sais pas ce qu’ils ont aujourd’hui, mais tout le monde est pressé. »
« C’est bon, ne t’inquiète pas, j’arrive dans deux minutes. Juste le temps de finir mon café. Dis-leur de patienter et en attendant enveloppe le Saint-Marcellin que j’ai mis de côté pour monsieur Beaujour » lui recommanda la crémière.
             
Abel termina le premier son café, régla la note et se leva prêt à partir.
        
« Je passe d’abord voir votre Malik Je prendrai le fromage juste avant de rentrer chez moi… A tout de suite Louise-Charlotte ».
 
Et ce jour là, ce fut lui qui se pencha pour l’embrasser sur la joue.
Lorsqu’une demi-heure plus tard, Abel tint sa promesse, il tenait à la main un paquet brun qu’il échangea contre un Saint-Marcellin joliment enveloppé.
  
« Tenez, ce n’est pas encore Noël, mais c’est juste une babiole… j’en avais envie. Quant au vœu, vous aviez raison, le plus difficile c’était de choisir le bon, mais voilà, c’est fait… grâce à vous, Louise-Charlotte».
Elle posa deux doigts engourdis sur ses lèvres et lui envoya un baiser.    
 

           

à suivre.... 


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9 novembre 2007 5 09 /11 /novembre /2007 12:26


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles

(8)  Où le calendrier commence à donner des signes

 
Il trônait près de la fenêtre de la cuisine. Enfin, trôner n’est sans doute pas le verbe le mieux adapté pour désigner un cotonéaster rabougri à trois branches et aux feuilles ramollies, gisant au fond d’un pot. Abel avait en tout cas essayé de faire pour le mieux. Ne disposant pas de terreau, il avait prélevé dans le jardin public une bonne livre de terre qu’il avait soigneusement débarrassée de ses cailloux une fois rentré chez lui. Les cailloux étant plus nombreux qu’il ne l’imaginait c’est à peine cent grammes de terre grasse et meuble qu’il avait pu mettre de côté.
      
L’escapade, la veille au soir, avait pris des allures d’opération commando. La crainte intime d’Abel était qu’une personne de sa connaissance et Dieu sait qu’il était connu dans la ville, ne le surprenne en train de commettre son larcin. Entacher sa réputation en perdant au tarot était une chose, mais se faire surprendre à dix heures du soir un ridicule cotonéaster volé dans les mains, lui aurait coûté, il en était sûr, honneur et dignité.
      
Ce vendredi matin, Abel se leva un peu plus tôt qu’à l’habitude, pas seulement parce que sa nuit avait été agitée et remplie de rêves bizarres, mais parce qu’il avait de multiples tâches à réaliser avant sa partie de cartes chez son ami Benoît. En tête de liste, le calendrier, car avec ce jeteur de vœux tout son emploi du temps pouvait être chamboulé, ensuite promener Filou un bon quart d’heure, passer chez le teinturier reprendre son pardessus, faire un saut à la pharmacie pour acheter une nouvelle boite d’anti-inflammatoires, aller chez la fleuriste pour glaner quelques conseils botaniques, et enfin renouveler à la gare SNCF sa carte senior, le tout avant midi, le tout à pied. Il lui resterait juste assez de temps pour déjeuner puis se rendre chez Benoît qui habitait à deux kilomètres de chez lui. Sa vie s’accélérait.
            
Un bol de café noir à la main, il entra dans la salle à manger et chercha des yeux le calendrier. La stupeur l’immobilisa sur place. Le calendrier avait disparu. Il eut un doute, posa son bol et entreprit de regarder sous la table. Rien. Il essaya de se remémorer ses gestes de la veille, de se souvenir s’il l’avait rangé dans un tiroir ou emporté avec lui dans sa chambre au moment de s’habiller. Les images s’emmêlaient dans sa tête et au bout de dix minutes, Abel n’arrivait plus à se souvenir de rien. Il se laissa tomber sur une chaise, mit de l’ordre dans ses idées, reprit le fil des événements et conclut définitivement que le calendrier n’était jamais sorti de cette pièce. Il reprit ses recherches, examinant chaque recoin, ouvrit les tiroirs, gagna le salon, souleva les coussins, déplaça la table basse, le fauteuil et le panier du chien. Rien. Une immense tristesse mâtinée de colère l’envahit. Avait-il commis une faute irréparable et le calendrier en signe de vengeance se serait-il volatilisé ? Il s’aperçut immédiatement de l’incongruité de son raisonnement. Lui qui doutait des pouvoirs magiques du bout de carton, le voilà qui lui en prêtait de plus extraordinaires.
    
« Je deviens fou » pensa-t-il, atterré. Il alla dans la salle de bains se passer de l’eau froide sur la figure. Le miroir lui renvoya l’image d’un homme désemparé.
          
« C’est cette foutue plante, je n’aurais jamais dû… » reprocha-t-il à son double dans la glace.
     
Il retourna une nouvelle fois dans la salle à manger, refit les mêmes vérifications sans se préoccuper des aiguilles de l’horloge qui tournaient. Il en avait même oublié Filou et sa gamelle du matin. Un petit jappement provenant de la chambre à coucher le rappela à l’ordre. Il trouva le chien lové sur la descente de lit mâchonnant un bout de papier. Abel se pencha et sortit de la gueule du chien un morceau de carton rouge criblé de traces de dents. Se courbant plus encore, il distingua nettement un objet caché sous le lit. Il venait de retrouver le calendrier. Un calendrier auquel il manquait maintenant le bord droit, mais où les cases des jours étaient restées intactes. Son bonheur fut si grand qu’il en oublia de gronder le chien et de chercher à comprendre comment Filou avait pu s’en saisir sur la table de la salle à manger. Il n’avait plus de temps à perdre, il récupéra son cutter et libéra le message du six décembre.
        
«  Ami du Calendrier bonjour ! Si vous avez scrupuleusement suivi nos consignes, vous voici à deux doigts de découvrir celle du six décembre. Ne voulant pas plus longtemps vous faire attendre, la voici : Le vœu que vous aurez à formuler en ce jour concerne un objet qui vous est cher et qui a disparu. La sagacité de votre choix ainsi que sa motivation, nous le répétons, est déterminante quant à la réalisation de ce vœu. Nous vous laissons en compagnie de votre mémoire. A bientôt. »
      
« Ha ! Il ne manque pas d’humour ce calendrier, ou bien, il se moque ouvertement de moi. Un objet à retrouver, c’est déjà fait et sans que j’aie eu besoin de formuler un vœu » .
  
Il prit néanmoins la consigne au sérieux et explora ses souvenirs. Abel était un homme méticuleux, organisé et conservateur. Les objets, chez lui, ne disparaissaient pas. Il avait même conservé dans la penderie de la chambre les vêtements de sa femme, ses chaussures et ses sacs à main. S’en séparer lui aurait procuré trop de peine. Si un objet venait à disparaître de son monde réglé comme du papier à musique, c’était qu’il avait décidé de le jeter. Alors qu’il cherchait, ses yeux se posèrent sur un cadre en argent guilloché posé sur la bibliothèque. Lorsque sa fille était partie, elle avait emporté avec elle la photo. Une photo prise un soir de Noël, où l’on voyait madame Beaujour, sa fille et lui-même ouvrant leurs cadeaux au pied d’un rutilant sapin abondamment décoré. Ce cliché et les souvenirs qui l’accompagnaient lui manquaient cruellement. Plus aucun doute dans son esprit: motivé, il l’était. Il ferma les yeux avec conviction et formula le vœu.
           
La cloche de l’église Saint Pierre sonnèrent dix coups. Abel n’avait plus le temps de remplir toutes les tâches prévues dans la matinée. Le passage à la gare SNCF serait remis à plus tard. Il se vêtit de son vieux Loden, fit reluire le revers de son feutre taupé et attacha Filou à la laisse. Il vérifiait sa mise dans le couloir de l’entrée lorsque la sonnerie du téléphone le surprit.
            
Le filet de voix pointue de madame Champlain résonna au bout du fil.
       
« Allô ! Abel ? … C’est Sylviane au téléphone ».
« Bonjour Sylviane, comment vas-tu ? »
« Moi, bien Abel, mais c’est Benoît qui m’inquiète. Il a dû choper une saloperie, une sorte de microbe ou de virus, que sais-je ? Il a passé la nuit à délirer et ce matin 39,9 de fièvre ! J’attends le docteur qui doit passer ».
« Mince, le pauvre vieux… De la fièvre et du délire, dis-tu ? »
« Oui, Abel..  Je ne savais plus quoi faire… Je te jure qu’il m’a fichu la peur de ma vie. Des heures entières à marmonner la même phrase… »
« Je peux savoir laquelle, Sylviane ? »
« Oh! Un truc du genre : Il n’y a pas de mal dont il ne naisse du bien »
« Non Sylviane, ce ne serait pas plutôt : Il n’y a point de mal dont il naisse un bien ? »
« Oui, tu as peut-être raison… Un truc comme cela »
« C’est bien, c’est parfait… » commenta Abel
« Enfin, tu délires toi aussi, vous perdez la tête tous les deux… Parfait ? Tu trouves cela parfait ? »
« Désolé Sylviane, je me suis mal exprimé. Je voulais simplement te dire que c’est une phrase de Voltaire, tirée de l’un de ses romans, Zadig. Pour Benoît je suis sincèrement désolé »
« Benoît, citant Voltaire à deux heures du matin… Tu trouves cela normal, toi ? »
«  Normal, non, Sylviane, mais encourageant alors là oui… » répondit Abel en riant.
« Je ne comprends rien à vos histoires. Bon, je voulais aussi te dire que pour votre partie de cartes, c’est foutu…Oh ! Abel on sonne à la porte, excuse-moi, j’y vais, ça doit être le toubib »
Abel voulut souhaiter plein de bonnes choses à son ami mais Sylviane avait déjà raccroché.
 
« Tu vois Filou, je pense que nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Benoît cite Voltaire ! Tu te rends compte ?  » Déclara Abel en flattant les flancs du chien. Un coup d’œil par la fenêtre finit de le combler. Un soleil éclatant dans un ciel azuré offrait bien des promesses. Dans vingt-quatre heures, il serait auprès de Louise-Charlotte. Abel releva le col de son manteau, ouvrit la porte et partit, Filou à ses côtés, vaquer à ses occupations en sifflotant.    
 

           

à suivre.... 


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8 novembre 2007 4 08 /11 /novembre /2007 10:19


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles

(7)  Où Abel Beaujour nous fait bien des frayeurs

 
Le lendemain jeudi, Abel riait encore de son vœu de la veille. Si le calendrier tardait à faire preuve de dons magiques, la recherche des vœux se colorait d’un ton des plus facétieux. Il aurait aimé pourtant qu’au moins le premier se soit réalisé. La vision d’un Filou, se cognant encore dans le chambranle de la porte de la chambre à coucher le remplissait de compassion et de chagrin. Le petit fox, certes, peu à peu prenait ses repères, mais sans l’aide d’Abel, il lui arrivait de se diriger dans une mauvaise direction, de buter contre le pied d’une table, de se heurter le museau aux innombrables pièges de la demeure. Abel choisit parmi les jouets une balle en caoutchouc et l’agita devant la tête de l’animal.
    
« Allez filou, allez… va chercher! ».
       
Il lança mollement le jouet qui roula à quelques mètres d’eux. Filou pencha la tête de côté, attentif à l’ordre d’Abel, mais resta figé sur son arrière-train, indifférent ou inconscient du manège. Abel réitéra à trois reprises l’expérience sans obtenir de meilleur résultat. En revanche, le chien, à chaque lancer agitait avec frénésie la queue montrant un intense plaisir à entendre la voix de son nouveau maître. Un long soupir désenchanté d’Abel conclut l’exercice matinal.
      
Cédant aux habitudes il alla chercher le journal dans la boite à lettres et s’absorba dans les mots croisés. Vers neuf heures trente, il prépara la gamelle de Filou en prélevant deux cents grammes de macreuse qu’il fit revenir avec une noix de beurre dans une poêle. Il assaisonna légèrement la viande qu’il mélangea une fois cuite à trois grosses cuillérées du riz basmati qui avait fait son repas du dîner de mercredi soir. Il encouragea de la main et de la voix Filou à manger sa nouvelle pâtée, et ce, avec beaucoup d’insistance car il était pressé d’ouvrir le réceptacle du cinq décembre et pour une raison dont il ignorait l’origine, la présence de son compagnon canin lui était devenue indispensable à ce moment crucial. Mais Filou découvrant la saveur du plat commença par rechigner, flairer, lécher avant de se décider à manger ce qui fut vécu comme un réel supplice par Abel. Au terme de longues minutes, enfin, le fox avala une dernière bouchée et le sourire revint sur les lèvres de son maître. A neuf heures quarante cinq, le jour cinq délivra son secret.
 
«  Nous sommes très heureux de vous retrouver en cette journée du 5 décembre. Nous craignions que la difficulté du vœu précédent ne vous ait rebuté. Pour vous remercier de l’application et de la motivation avec lesquelles vous poursuivez ce périple en notre compagnie, le Calendrier a décidé de vous faciliter la tâche aujourd’hui. Votre vœu doit permettre à une plante verte de votre choix de retrouver sa splendeur originelle. Vous constaterez avec satisfaction que cette consigne est simple à suivre. Le Calendrier vous souhaite une journée pleine de chlorophylle. Salutations. »
 
« Simple, simple… c’est vite dit » pensa Abel.
     
Tout d’abord des plantes vertes, il n’en possédait pas. Du temps de madame Beaujour, la maison en regorgeait : Des grandes, des petites, des veloutées, des piquantes, des grimpantes, des retombantes, des à fleurs, des sans fleur, des odorantes, des sans parfum. La disparition de sa douce épouse avait eu pour conséquence la disparition quasiment simultanée de toutes ces feuilles, tiges et étamines sur les tables basses, consoles et rebords de fenêtres. Trop d’eau ou pas assez, trop de soleil ou trop d’ombre, trop de chaleur ou trop de froid, toujours est-il qu’Abel les avait vues les unes après les autres se faner, se flétrir, se décomposer. Les pots vides s’entassaient dans la cave et ne risquaient guère d’en ressortir.
        
Comme l’heure de la promenade matinale s’annonçait, il décida de mener le chien un peu plus loin que la place Saint-Pierre, dans l’une des ruelles qui avait échappé à la zone piétonnière, là ou mademoiselle Rose, une charmante fleuriste officiait. Son idée était qu’au milieu du pittoresque capharnaüm de l’antre végétale « Au lilas blanc », il finirait par dénicher une plante de salon en voie d’exfoliation. Filou à ses côtés, il partit au petit pas vers ce mini jardin botanique.
          
Mademoiselle Rose était en train de servir une cliente lorsque Abel fit son apparition. Elle accepta de le laisser entrer avec le chien, puis l’invita à découvrir son univers. Il y avait à peine la place de se déplacer tant les pots et les vases de fleurs envahissaient les vingt mètres carrés de la boutique. Tenant court la laisse, Abel se faufila tant bien que mal entre des fougères au feuillage volatil et léger, les cardamomun odorants, le papyrus fragile, les ficus tressés et l’ Aeschynanthus « Scoubidou » aux fleurs rouge carmin. Il chercha, chercha, mais mademoiselle Rose chérissait tant ses plantes que pas une feuille ne manquait à l’appel. Une atmosphère de serre tropicale, rehaussée du parfum lourd et capiteux des passiflores, le mit bientôt mal à l’aise. Sa respiration se fit brève, haletante, de fines gouttelettes de sueur perlèrent sur son front. De minuscules tâches noires brouillèrent enfin sa vision et le bonhomme crut un court instant qu’il allait défaillir. Mademoiselle Rose s’aperçut de son début de malaise et abandonnant sa cliente, l’aida à regagner la fraîcheur de la rue. Confus, Abel s’abîma en excuses. Elle s’inquiéta encore de son état mais il la rassura et lui promit de revenir lui donner de ses nouvelles. Soucieuse, mademoiselle Rose, l’observa s’éloigner pesamment. Prise d’une subite inspiration, elle s’engouffra dans sa boutique, en ressortit quelques secondes plus tard tenant à la main un petit bouquet d’anémones qu’elle lui offrit en lui souhaitant un prompt rétablissement. La confusion d’Abel n’en devint que plus extrême. Disons-le tout de suite, le plus rose des deux, ce fut lui.
        
Coupant par la rue des Grelots, il longea le square Démère, repéra le banc toujours inoccupé. Une petite halte pour reprendre ses esprits le tenta. Filou, au moins à l’odorat reconnut l’endroit car il frétilla au passage du portillon de fer. Isolé de l’agitation de la Place Saint Pierre, épargné des bousculades des piétons venus commencer leurs emplettes de Noël, le bonhomme sentit les battements de son cœur se calmer. Il respira l’odeur un peu fade des anémones et laissa du mou à la laisse de Filou.
      
Soudain celui-ci se mit à japper et à gratter furieusement la bordure d’un parterre. Abel voulut le ramener à lui en douceur, mais le petit fox résista et tira de plus belle sur la laisse. Ayant sans doute flairé la présence d'un mulot, il était tout bonnement en train de déterrer un jeune plant de cotonéaster, déjà en bien mauvais état. Le petit bout de verdure avait subi les premières gelées matinales et ses  feuilles ramollies pendaient lamentablement. Abel essaya du pied de tasser la motte de terre que dans son excitation Filou avait remuée en tous sens. Des paquets glaiseux restèrent attachés à la semelle de sa chaussure. Pire, au lieu de remettre la plante en position verticale, il venait bêtement de l’aplatir sur le sol, cassant dans son effort pour la replanter la seule branche porteuse d’une grappe de baies rougeâtres. Un vœu s’imposait. Abel ferma les yeux et tout en remerciant mentalement Filou de lui avoir trouvé la plante idéale, il formula son souhait. Inutile de préciser que le cotonéaster ne perçut pas la différence. A moitié recouvert de boue, les tiges éparpillées, sa fin prochaine était annoncée. Loin de le décourager, cette constatation donna au bonhomme une idée.
   
« Mon p’tit Filou, ce soir on va se payer une partie de monte-en-l’air » affirma-t-il sur un ton  mystérieux au toutou.
          
C’est donc ainsi que vers dix heures du soir, dans le frimas automnal, l’ombre d’un vieil homme armé d’une pelle à rempoter, d’un pot en terre cuite et d’un féroce chien boiteux rasa les murs d’une ville prête à éteindre ses feux. Abel avait décidé de forcer le destin.    
 

           

à suivre.... 


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6 novembre 2007 2 06 /11 /novembre /2007 15:22


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles

(6)  Où l’on apprend que les vieilles histoires de famille ont la vie longue

 
La seconde nuit de cohabitation fut plus tranquille que la première. Abel, assommé par la prise répétitive de calmants avait en se couchant oublié de fermer la porte de sa chambre. Filou avait certes perdu la vue, mais pas l’odorat. La descente de nuit, un petit tapis de Tabriz au motif central orné de scènes de chasse se révéla bien plus attrayant que son ancien panier. Lorsque Abel ouvrit les yeux ce mercredi matin, il dut se rendre à l’évidence : des concessions s’imposaient s’il voulait dormir en paix.
        
Il ouvrit doucement les double-rideaux et une lumière blanche aveuglante baigna la pièce et auréola la silhouette du petit fox endormi. Il prit une douche en laissant longuement couler l’eau tiède le long de son dos. S’il souffrait moins que la veille, la douleur n’avait pas entièrement disparu. Il compta les médicaments restants et conclut que d’ici à deux jours, il lui faudrait amadouer la pharmacienne pour compléter le traitement.
       
Le mercredi était sa journée de repos. Cela pouvait sembler anachronique pour un retraité de longue date, un homme aux responsabilités limitées et aux activités réduites mais il tenait comme à la prunelle de ses yeux à ce temps libre de milieu de semaine par nostalgie de l’époque où petit enfant il pouvait profiter de la présence conjointe de son père et de sa mère, instituteurs tous les deux. C’est tout juste également si à quatre heures, il ne se préparait pas un chocolat chaud et des tartines de beurre dégoulinantes de gelée de coing. Il se servit un grand bol de café noir et alla récupérer dans sa boite à lettres le journal du matin. Il délaissa dans un premier temps les grands titres de la une pour se consacrer aux mots croisés de la dernière page. Depuis deux semaines, l’auteur de ce remue-méninges corsait ses définitions de jeux de mots alambiqués et Abel se régalait de ses trouvailles. Lorsqu’il remplit avec délectation la dernière case, la pendule de la cuisine affichait neuf heures trente. Un peu inquiet de ne pas entendre Filou remuer, il l’appela à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’un jappement bref lui réponde. Il alla chercher le fox et le guida par le collier vers la cuisine. Il ouvrit une boite de pâtée pour chien que le maître lui avait laissée avant de partir et fronça du nez aux effluves rances du mitonné de bœuf aux petits légumes.
   
« Il va falloir que je m’occupe un peu mieux de ton régime alimentaire. Cette pâtée, quelle tristesse ! Ton maître a eu beau me recommander cette marque que paraît-il tu adores, je vais essayer de te développer le goût et affiner tes papilles. Compte sur moi ! ».
          
Au son de la voix d’Abel, Filou remua la queue et jappa de plaisir. Abel lui glissa dans la gueule les cachets prescrits par le vétérinaire, lui caressa la tête et examina les yeux. Le voile bleuâtre qui recouvrait la cornée lui sembla plus translucide, mais il aurait été bien en peine de l’affirmer avec certitude. Cela le ramena au calendrier de l’Avent. Il était maintenant curieux et impatient de ressentir les palpitations que l’ouverture d’un petit réceptacle déclenchaient dans son cœur. Il patienta pourtant, attendant que Filou ait terminé son repas, puis il l’emmena avec lui dans le salon.
Le chiffre quatre l’attendait perdu entre le dix-sept et le vingt-trois. L’expérience aidant, il fut ouvert en deux secondes.
          
Au fur et à mesure de la lecture du papier décacheté le visage d’Abel se renfrogna.
      
« Le Calendrier vous souhaite une excellente journée. Vous devez être étonné de la simplicité de nos consignes et comblé par la réalisation de vos trois premiers vœux. Aussi aujourd’hui 4 décembre, nous vous demandons un effort supplémentaire. Le vœu que vous aurez à formuler aujourd’hui doit remplir de bonheur une personne qui vous déteste. Choisissez bien la personne en question et souvenez-vous que votre vœu doit être sincère et motivé. Le Calendrier apprécie votre fidélité. Au revoir. »
       
« Alors là, maugréa-t-il, c’est le bouquet ! ». Comblé, il ne l’était pas vraiment. En dehors de la très relative diminution des tics de son ami Benoît et d’une hypothétique amélioration du cristallin des yeux de Filou, on ne pouvait pas dire que le calendrier avait des pouvoirs spectaculaires. Quant au poète Paul Démère, Abel ignorait si son vœu pour ressusciter sa renommée avait eu le moindre effet. Et le voilà maintenant obligé de souhaiter du bonheur à son pire ennemi. C’était à la limite du grotesque, et d’ailleurs Abel avait-il un seul ennemi ? Sa prestation du dimanche matin lui avait valu des ricanements, des railleries et des sarcasmes, mais de là à penser que certains de ceux y ayant pris part le détestaient, était dénué de tout fondement. On l’aimait, il en aurait donné sa main à couper.
            
« Tout le monde m’aime bien » se répétait-t-il avec une conviction forcée. Ce « tout le monde » finit au bout de dix répétitions par sonner faux dans sa tête. Se pouvait-il qu’un être humain, n’ait que des amis ? Il y avait certainement un être dans ce bas monde qui lui en voulait. Il pensa subitement à sa fille qui depuis le décès de sa femme n’avait pas donné signe de vie, puis à son petit-fils qu’il n’avait vu qu’une seule fois et qui nourrissait peut-être de la rancune à son égard. Voilà qu’en quelques secondes, il avait déjà trouvé deux personnes susceptibles de le haïr. C’était donc plus facile qu’il ne l’avait cru naïvement de se trouver des ennemis. Il concentra son attention sur son entourage. Les visages défilèrent dans son esprit. Les traits crispés de Gontran de la Perronière s’y imprimèrent définitivement. Abel devait se rendre à l’évidence : Monsieur le Maire, ne l’aimait pas.
           
En réalité, un rapide examen de conscience et la remontée subite de souvenirs familiaux confirmèrent que depuis deux générations les Beaujour et les de la Perronière se détestaient. Les hostilités avaient commencé avec les grands-pères. Emile Beaujour était un instituteur radical-socialiste fort en gueule qui s’était lié d’amitié avec Jean Zay, un franc-maçon, ancien député du Loiret. Arnaud de la Perronière de son côté n’hésitait pas à clamer son appartenance à l’action française et son amitié pour Léon Daudet. L’équerre et le delta lumineux contre la fleur de lys et le goupillon. Ce n’était plus un fossé qui les séparait mais un gouffre. Comme Emile avait eu un fils du même âge que celui d’Arnaud, la guerre intestine s’étendit à la génération suivante et ainsi de suite. Aux dernières élections municipales, lorsque Abel s’était présenté sur une liste indépendante, Gontran de la Perrière avait tout essayé pour le discréditer, mais en vain, la vie d’Abel étant aussi limpide que l’eau qui s’écoulait depuis des siècles de la fontaine de la place de Saint Pierre. Depuis, chaque réunion du conseil municipal était l’occasion pour Monsieur le Maire d’exprimer son dédain, de rabaisser Abel par de petites piques continuelles.
Alors, c’était donc à cet homme exécrable, hautain et prétentieux qu’Abel devait souhaiter un vœu qui le remplisse de bonheur. L’idée était dure à avaler.
        
Monsieur le Maire jouissait de revenus confortables, d’une situation enviée et d’une bonne santé. Abel ne l’avait jamais entendu regretter quelque chose ou quelqu’un. Qu’est-ce qui pouvait manquer à un tel personnage ? C’est alors qu’il se souvint d’une anecdote remontant à son enfance. Dans le préau de l’école primaire où Gontran passa une année avant que sa famille ne l’envoie dans une institution privée poursuivre ses études, un groupe de jeunes garçons s’entraînait à siffler avec les doigts de différentes manières. Le jeune de la Perronière avait tenté d’en faire autant, mais n’avait réussi qu’à semer des postillons à la face de ses compagnons. Ses tentatives avortées avaient déclenché tant de rires et de moqueries qu’il avait éclaté en sanglots et était parti se cacher dans les toilettes de l’école. Monsieur et madame de la Perronière n’apprécièrent guère l’incident et s’empressèrent de retirer leur fils de l’établissement.
           
A bien y réfléchir Abel trouva que souhaiter à Gontran de savoir siffler avec les doigts était le seul vœu qu’il pouvait formuler avec un minimum de sincérité. Il ferma les yeux et fit le vœu. Soulagé et en même temps amusé à l’idée d’avoir un jour peut-être en face de lui, Monsieur le Maire sifflant comme un apache, Abel prit la laisse de Filou, attacha le chien et après un dernier coup d’œil dans le miroir de l’entrée pour vérifier que son feutre taupé épousait à la perfection la courbure de ses sourcils, il partit en balade le cœur léger. Il prit la direction de la place Saint Pierre, s’arrêta chez le boucher qui débitait et morceaux de viande et histoires paillardes pour acheter un morceau de macreuse afin de régaler le chien. Au moment où il s’apprêtait à régler, la porte de la boucherie s’ouvrit en grand et l’imposante stature du Maire ainsi qu’un courant d’air glacé pénétrèrent dans l’échoppe. Le fou-rire d’Abel laissa le découpe-bidoche, Gontran et la clientèle médusés.    
 

           

à suivre.... 


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5 novembre 2007 1 05 /11 /novembre /2007 14:46


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
 
(4) Où la rumeur et l'oubli partagent la vie d'Abel Beaujour
 

 
Dire que la première nuit de cohabitation entre Abel et Filou fut une lune de miel, serait une singulière erreur. Le chien, sans doute troublé dans ses habitudes, passa de longues heures à hurler à la mort, empêchant Abel de trouver le sommeil. Au bout d’une dizaine d’allers et retours entre la chambre à coucher et le salon, le bonhomme à bout de paroles et de caresses réconfortantes, à bout de nerfs également, prit une couverture de laine et vint s’installer dans le fauteuil près de l’animal pour apaiser son angoisse. A peine fut-il endormi que le chien en fit de même. Au réveil, un lumbago lui poignarda le dos des reins. C’est plié en deux, ne pouvant à peine se déplacer qu’il prépara son petit déjeuner et la gamelle du chien. Dans ces conditions, la promenade matinale promettait d’être pénible. Abel fouilla dans sa pharmacie à la recherche d’anti-inflammatoires, doubla la dose normale et compléta la médication par trois cachets d’aspirine. La douleur n’était pas encore calmée qu’il passait déjà mentalement en revue les tâches habituelles du mardi.
     
En dehors de la nécessité de se rendre chez le teinturier pour y déposer son pardessus maculé de traces de pattes de chien et de bave, il devait aller avant onze heures trente à la bibliothèque de la ville rendre un livre emprunté, rentrer chez lui manger, mettre un peu d’ordre dans un dossier qu’il devait présenter à la prochaine réunion du conseil municipal, puis s’occuper de la collection de timbres qui était sa fierté. A ces occupations, il lui fallait maintenant en ajouter deux : faire un vœu et sortir le chien. Le mieux, raisonna-t-il, était de commencer par le vœu, car celui-ci risquait peut-être de chambouler son emploi du temps. Il découpa le chiffre trois avec autant de soin que les précédents et prit connaissance du message.
 
«  Votre confiance nous honore. Ce troisième vœu doit sortir de l’oubli un artiste dont le talent, la production, la qualité du travail sont particulièrement remarquables et prolifiques. Nous nous permettons d’insister sur la pertinence des critères de vos choix pour rendre la réalisation de ce vœu efficiente. Sincères salutations, Le Calendrier. PS : Bonne chance ! ».
 
Abel réfléchit que si l’artiste était oublié de tout le monde, il y avait fort peu de chances que lui-même s’en souvienne. Sa vie très prosaïque, faite d’un travail d’ingénieur au gaz de France, ne lui avait guère donné l’occasion de côtoyer l’univers des saltimbanques. Le fait d’habiter une petite ville de province avait limité les occasions de sorties à une époque où la mode des tournées n’était pas encore ancrée dans la culture de son pays et que les villes ne disposaient que rarement de salles pour y recevoir des chanteurs et des troupes de théâtre. Quant à monter à Paris pour se régaler d’un spectacle, madame Beaujour y avait toujours opposé un veto formel justifié par le coût et la longueur du déplacement. Un argument auquel Abel s’était rendu toujours de bonne grâce tant la perspective de perturber sa vie réglée à l’avance par des déplacements jugés superflus lui était désagréable.
   
La difficulté de trouver un candidat au vœu risquait fort d’être insurmontable. Ce serait sans doute là que s’arrêterait l’aventure du calendrier, car Abel était intimement persuadé que le fait de sauter un souhait mettrait un terme à l’expérience. La déception se lisait sur son visage. Certes le calendrier n’avait pas donné de résultats probants, mais il gardait au fond de lui l’espoir d’un possible miracle. Filou commençait à s’agiter dans son panier d’osier, signe qu’il était temps de l’emmener en promenade. Abel jeta un œil par la fenêtre du salon, puis sur le thermomètre extérieur : temps nuageux, pas de pluie, dix degrés, des conditions somme toutes plutôt favorables. Il s’apprêtait à prendre la laisse du chien lorsque la sonnerie du téléphone retentit. Abel décrocha et une onde de frayeur lui descendit le long de l’échine : Benoît Champlain était au bout du fil…
         
«  Salut Abel ! Bon, je t’appelle mon vieux, parc’que dimanche dernier j’ai un peu pété les plombs. Faut pas m’en vouloir, mais bon Dieu t’a fait tout ce qu’il faut pour me foutre en colère. T’as joué comme le dernier des nazes. Se faire éliminer d’un tournoi dès la seconde partie, j’peux pas y croire, d’ailleurs, j’y crois toujours pas… Allô! T’es là ? »
             
Abel avala péniblement sa salive. L’oreille tendue au téléphone, il avait redouté que son ami ne profère ses habituels « tu vois » et ses « voilà » mais pour l’instant pas une seule de ces expressions n’avait transpercé ses tympans.
             
« Oui Benoît, je t’écoute. Je suis heureux que tu m’appelles. C’est moi qui aurais dû le faire. J’ai failli hier, mais il m’arrive plein de choses en ce moment et excuse-moi, j’ai repoussé mon coup de téléphone à plus tard. Je suis sincèrement désolé pour dimanche. Je n’étais pas dans mon assiette. »
« Bah! T’excuse pas mon vieux, ça peut arriver à tout le monde. Je me faisais du souci pour toi. C’est vrai que je t’ai trouvé franchement bizarre. T’as un problème ? ».
« Un problème, non, un fil à la patte, oui. Je viens de récupérer un vieux chien dont le maître devait se séparer avant un départ professionnel à l’étranger. Ou je prenais le chien chez moi, ou bien, il le faisait piquer » répondit Abel toujours aux aguets.
« Un chien ! Toi ! Ca c’est la meilleure ! Pardon de rigoler, mais je ne t’imagine pas du tout affublé d’un clébard… »
« Il y a trois jours moi non plus. Heu! … Benoît… Juste une petite question… Tu ne connaîtrais pas par hasard, un artiste dans le genre chanteur, acteur ou je ne sais pas, écrivain, plein de talent et que pourtant tout le monde ou presque aurait oublié ? ».
« Ha ! Ha ! … T’as qu’à ouvrir ta télé et regarder les variétés, c’est bourré de jeunes qui pensent décrocher la timbale en fredonnant une chansonnette et pouf ! Une semaine plus tard… Oubliés… »
« Non, sérieux, Benoît… Une personne qui a eu des années de gloire… »
« Ben, je sais pas moi. Tiens… P’ête le Démère, celui qui a sa statue et son square. J’sais que c’est un poète, mais j’ai jamais rien lu de lui ».
       
Abel s’en voulut de ne pas y avoir pensé plus tôt. Un homme auquel on élève une statue et auquel on donne son nom à un square ne pouvait être qu’un auteur exceptionnel.
         
« Tu as raison Benoît. Démère, bien sûr… Pour revenir au tarot, tu m’acceptes quand même vendredi pour la partie à cinq ? »
« Tu crois quoi ? Que ton vieux pote va te laisser tomber ? Tu vois Abel, y a des fois … Tu vois, tu me fais de la peine… Voilà… »
« Pas autant que moi » murmura Abel désappointé.
          
Il raccrocha après avoir salué son ami, mais le désarroi qui l’avait saisi à l’écoute de la dernière phrase prononcée par celui-ci se nuança d’une pointe d’espoir. Sur la totalité de leurs échanges, Benoît n’avait craqué que trois fois. Un véritable record dans la bouche de ce grand impétrant du tic linguistique. C’est donc le cœur plus léger qu’il attacha Filou à la laisse, mit le livre emprunté à la bibliothèque dans un sac en plastique et prit son pardessus sur un bras.
          
«  Allez le chien, on va faire une petite balade. Etant donné que l’on doit faire un tour à la bibliothèque, on va en profiter pour découvrir ce que ce Paul Démère a écrit dans sa vie. Après on rentre à la maison et on se fait un bon déjeuner, bien arrosé. Si tu es bien sage je te donnerai la moitié de ma part de Saint-Marcellin ».
          
Il entama son périple matinal en prenant soin de ménager le petit fox, de lui réserver des arrêts sur le chemin de la teinturerie. Arrivé à destination, il attacha Filou à l’une des bornes anti-stationnement en fonte qui poussaient comme des pissenlits un jour de pluie depuis que le maire s’était découvert une passion pour l’écologie et pour un centre-ville dépollué de ses véhicules. Il dut subir les quolibets du teinturier tant sur l’état du pardessus que sur son « exploit » au tournoi de tarot. La rumeur selon laquelle il avait perdu les pédales pendant cette matinée fatale avait déjà fait le tour de la ville et enflammé les esprits. Abel n’eut cure de lui répondre car il savait que rien ne changerait rapidement l’opinion du commerçant. Vers onze heures il était enfin arrivé à la bibliothèque et dut à nouveau trouver un endroit pour attacher Filou. Là encore, une borne fit l’affaire. Madame Gonzales, la bibliothécaire l’accueillit avec bonne humeur. Elle devait bien être la seule à ne pas être au courant de sa mésaventure. Il lui rendit le roman emprunté et s’enquit d’un ouvrage de Démère.
              
« Hou là ! Monsieur Beaujour… Démère ? Oui, cela pour sûr, des ouvrages on en a. Deux rayons entiers de recueils de poèmes. On les garde parce qu’il est né ici, mais franchement, foi de bibliothécaire, depuis quinze ans que je m’occupe de cette bibliothèque, vous êtes bien la première personne à vous y intéresser. »
« Et ils sont où, ces ouvrages ? » demanda Abel.
« Dernière rangée du fond, rangée du bas, ceux avec le sticker vert. Classement poésie. Vous pouvez en prendre autant que vous voulez des Démère, ils ne risquent pas de manquer à grand monde. Il paraît qu’il faisait partie des parnassiens. Mais bon, moi je n’y connais pas grand chose en poésie. Je préfère les romans d’amour» ajouta-t-elle les yeux légèrement brillants.
             
Abel la remercia poliment, se rendit à l’endroit indiqué, feuilleta quelques pages du poète et saisi d’une  inspiration soudaine préleva autant de livres que son sac pouvait en contenir. Il signa ensuite le bon d’emprunt sous le regard dubitatif de madame Gonzales.
           
Le retour au bercail se fit à petite allure. Abel ressentait des élancements dans le bas des reins et le fox commençait à boiter. Une fois rentré, il reprit deux cachets d’anti-inflammatoire et deux aspirines. Filou, un peu plus tard eut droit à la demie portion de Saint-Marcellin. La table à peine desservie, Abel oublia le dossier qu’il devait étudier et mettre en ordre pour se plonger dans l’univers du rimailleur. Vers cinq heures du soir, alors que le jour tirait sa révérence, il ferma les yeux et formula un vœu. Un long et sourd glapissement s’échappa du panier en osier.
 
 

           

à suivre.... 


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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 12:03


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
 
(4) Où l’on découvre qu’Abel Beaujour aime la belle langue et déteste la pluie
 

 
Ils se quittèrent, l’un le cœur léger, l’autre plongé dans le doute.
         
Pourtant, dès le lendemain matin, Abel se sentit réconforté à l’idée que le calendrier lui avait permis de rendre un fieffé service à cet inconnu qui lui avait paru sincèrement affligé par la possible disparition de son chien. En revanche, il lui était plus difficile de ne pas se sentir vexé par les reproches cinglants que son ami Benoît Champlain lui avait adressés la veille lors de son élimination du tournoi de tarot. Se pouvait-il qu’une amitié de vingt ans puisse s’effriter ainsi sur quelques parties de cartes sabotées ? Il comprit qu’il devrait s’en expliquer de vive voix même si Benoît aurait du mal à avaler l’histoire du calendrier. Il n’était pas convaincu que son ami serait sensible au surnaturel et celui-ci conclurait sans doute qu’Abel devenait gâteux. C’était un risque à courir, mais c’était toujours mieux que de devoir affronter son mépris.
        
Le cliquetis de la pluie sur les carreaux annonçait un radoucissement porteur de nuages, de ciel ombrageux et de mélancolie. Il traîna toute la matinée sur des tâches ménagères dont la répétition ne lui pesait guère. Un petit coup de plumeau par-ci, un coup d’aspirateur par-là ponctuèrent les heures précédant la préparation du déjeuner. Le jeune homme au chien avait dit passer en début d’après-midi et Abel en dépit de la pluie qui maintenant inondait ses fenêtres décida de les ouvrir pour éviter que sa demeure ne sente le renfermé. Cette pensée le ramena à l’arrivée prochaine de Filou et après avoir envisagé plusieurs possibilités, il jugea que l’espace entre le lampadaire et le radiateur dans le salon serait l’endroit idéal pour l’installer car, même en rêve, il se refusait à voir l’animal pénétrer dans sa chambre à coucher.
            
Peu avant midi, il écossa quelques haricots verts qu’il mit à bouillir dans de l’eau salée, sortit du réfrigérateur l’escalope de veau achetée la veille, le Saint-Marcellin et une grappe de raisin tardif. Il dressa la table dans la salle à manger en disposant la vaisselle ordinaire, le verre à pied, la serviette et les couverts à l’endroit exact où madame Beaujour l’avait fait pendant quarante années. Puis il déboucha une bouteille de Chiroubles pour fêter la venue imminente du nouveau locataire. Il avait le dimanche soir découpé le Saint-Marcellin en sept parties parfaitement égales, exercice qui l’amusait toujours et lui permettait de compter à rebours le temps le séparant de Louise-Charlotte. C’est à peine si pendant tout le début du repas, il jeta un coup d’œil au calendrier qui maintenant occupait l’ancienne place attitrée de sa femme. Mais arrivé au fromage, il craqua. Si le calendrier n’avait aucun pouvoir, le rituel de l’ouverture des réceptacles et de la lecture des consignes avait un charme auquel il avait déjà succombé. Il chercha le chiffre deux sur le calendrier, mania avec soin le cutter et découvrit un nouveau bout de papier roulé. Armé de sa loupe il put alors en déchiffrer le message qui contenait un premier paragraphe de mise en garde :
   
« Le calendrier vous remercie de votre confiance. Il espère que vous êtes satisfait de ses services et que votre premier vœu a été exaucé. N’oubliez jamais que la réussite ne dépend que de vous et de votre sincérité. En aucun cas, le calendrier ne sera tenu responsable d’un vœu non réalisé. »
   
Abel fit la moue et jugea que le créateur ne manquait pas de culot. Son vœu pour Filou avait été motivé et sincère. Il haussa les épaules et continua sa lecture :
           
« Votre second vœu doit guérir une personne de votre entourage d’une manie ou de tics détestables. La pertinence de votre choix sera déterminante quant à la réalisation de ce vœu. Sincèrement vôtre, Le calendrier ».
          
« Me voilà bien avancé » pensa Abel en rangeant soigneusement le papier dans son habitacle d’origine. Des tics et des manies qui n’en avait pas ? Et à partir de quand un tic et une manie devenaient-ils détestables ? Ce vœu ne l’inspirait vraiment pas. Il regagna sa place à table, prit un morceau de Saint-Marcellin qu’il laissa lentement fondre en bouche. Le visage de Louise-Charlotte souriant à ses compliments envahit son esprit et sa voix douce lui affirmant qu’il saurait faire du calendrier bon usage caressa ses tympans. Il se laissa glisser avec volupté dans ce demi-rêve, la revit se pencher vers lui pour l’embrasser, puis lui faire ses adieux lorsque la voix de Louise-Charlotte prit une sonorité de baryton aux cordes vocales éraillées :
               
« Ben, voilà, tu vois, quand on s’amuse à jouer le petit, faut quand même réfléchir à deux fois. Parc’que voilà, tu vois, quand on la garde sans le chien, perdre la partie, c’est même pas digne d’un débutant, tu vois ? C’est le père à Matthieu qui t’a acheté ton jeu ? La prochaine fois, tu vois, tu te chercheras un autre partenaire»
               
La face rouge de colère d’un Benoît Champlain au bord de la crise d’apoplexie lui hurlant ses reproches fit écran aux fluides mèches argentées de Louise-Charlotte. Ha ! Des tics de langage, celui-là, il en avait. Entre les « voilà », les « tu vois » et le mépris absolu du complément de nom, il pouvait se targuer d’être un amputé de la langue française et se prévaloir de ne pas avoir ouvert une seule fois dans sa vie un seul recueil des Belles Lettres. Un petit vœu ne lui ferait pas de mal. Car en dehors de lui, Abel avait beau creuser et creuser encore sa mémoire, il n’y avait guère que le souvenir de son instituteur affublé d’un désespérant tic nerveux à l’œil gauche et celui du vieux Boudelard, un métayer passant cent fois par jour sa main dans ses cheveux qui méritaient que l’on s’y attarde. Malheureusement pour eux, les deux susnommés dormaient aujourd’hui du sommeil du juste sous dix pieds de terre. Au moins pensa Abel, si Benoît continue à m’en vouloir et à me crier dessus, il ne m’écorchera plus les oreilles, ce sera toujours cela de gagné. L’idée de faire un vœu pour débarrasser son vieil ami de ses défauts de langage était sincère et motivée, un poil égoïste certes, puisque Abel en serait le premier bénéficiaire. Sans doute l’intéressé ne se rendrait-il pas compte du changement, mais cela valait la peine d’être tenté par respect pour Montesquieu, Voltaire et tant d’autres.
       
Abel ferma les yeux, se concentra et fit le vœu.
Satisfait de son choix, il engloutit la grappe de raisin puis se prépara à accueillir ses visiteurs.
A quatorze heures pétantes, la sonnette de l’entrée fit tinter son carillon à trois notes. Abel vérifia une dernière fois l’état des lieus, referma les fenêtres, vérifia dans le miroir de l’entrée la parfaite propreté de son col de chemise, colla son œil au judas pour vérifier l’identité du sonneur. Il eut un peu de mal à reconnaître d’emblée le jeune homme dont la silhouette disparaissait sous un amoncellement de sacs, et dont la moitié du visage était masquée par un immense panier en osier. Il l’aida à entrer et à se délester de tous ses paquets. Filou blotti dans les jambes de son maître tremblait de tous ses membres. Abel s’accroupit et caressa la tête du chien. Les tremblements peu à peu cessèrent et le petit fox vint se frotter le long de sa cuisse.
          
« Entrez dans le salon, j’ai préparé un café, vous en prendrez bien une tasse ? » Proposa Abel.
           
Le jeune homme le remercia chaudement.
Pendant qu’Abel sortait deux mazagrans, un ravier de sucre de canne et deux petites cuillères, il ouvrit les paquets qui contenaient une dizaine de couvertures diversement bariolées, trois colliers et deux laisses, des jouets en plastiques en forme d’os, de chats et de poussins, un arsenal pharmaceutique digne du cabinet d’un grand vétérinaire, un carnet bleu recouvert d’un plastique aux trois quarts déchiré et enfin une liste de deux pages de recommandations. 
             
« Je pense ne rien avoir oublié. Je vous ai également noté ma future adresse au Natashquan sur les bords du Golfe Saint-Laurent. Au cas où vous voudriez me joindre, il y a aussi  mon adresse e-mail. Surtout n’hésitez pas si Filou a le moindre problème à me contacter. Me rendre service est une chose, mais vous laisser seul face à ce genre de responsabilité, il n’en est nullement question ». Abel parut embarrassé.
         
« Je n’ai pas d’ordinateur, jeune homme. Vous savez à mon âge, on se passe volontiers de ce genre d’instrument, d’autant que je n’ai pas grand monde à joindre. Mes amis se comptent sur les doigts d’une main et habitent tous aux alentours ».
        
« Vous n’avez pas besoin d’acheter un ordinateur monsieur Beaujour. Il vous suffit de vous présenter à la bibliothèque municipale, il y a une salle où vous pouvez vous familiariser avec l’informatique et Internet ».
 
« Je sais, je sais, j’ai même voté le budget l’an dernier au conseil municipal pour l’équipement » répondit Abel en souriant.
       
Ils papotèrent de choses et d’autres, mais Abel semblait distrait. En pleine conversation, il s’approcha de Filou sagement allongé au pied de la table du salon. Il prit la tête de l’animal entre ses paumes, examina les yeux du chien qui poussa un long soupir de satisfaction.
           
« Vous ne trouvez pas que ses yeux sont moins vitreux ? » Demanda-t-il au jeune homme.
Celui-ci se rapprocha et examina à son tour le vieux fox ;
« Je ne remarque rien de particulier. Peut-être est-ce un problème d’éclairage ? »
« Non, non, je vous assure, le cristallin me semble plus limpide ».
« Je crains fort que vous ne fassiez erreur. Le vétérinaire est formel, c’est irréversible ».
           
Abel ne parut pas convaincu par l’argument, mais ne voulant pas contrarier son hôte il admit que celui-ci avait sans doute raison.
Puis le jeune homme prit congé, prétextant un rendez-vous à ne pas manquer. Avant de quitter Abel, il fit de longues caresses à Filou, lui promit de revenir très vite, l’embrassa à maintes reprises sur le bout de la truffe.
             
« Oh ! Je ne l’ai pas noté sur la liste, mais Filou sort deux fois par jour. Cela me semblait évident, mais comme vous n’avez jamais eu de chien, je préfère vous le dire. Encore merci pour tout ce que vous faites ».
              
Abel le raccompagna à la porte d’entrée et le vit partir à grandes enjambées sous la pluie battante.
« Sortir le chien… » pensa-t-il, accablé, en regardant les trombes d’eau faire reluire l’asphalte.
 

           

à suivre.... 


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2 novembre 2007 5 02 /11 /novembre /2007 18:01


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
 
(2) Où l'on apprend que faire un premier voeu n'est pas sans conséquences

 
Le dimanche 1er décembre aurait dû être une journée consacrée au tarot, car si les habitudes avaient du bon, les tournois locaux trimestriels avaient pour Abel le goût d’un nectar. Il était connu et apprécié pour savoir jouer au bon moment le « 2 pour 1 » et servait d’exemple à tous les joueurs débutants qui soit paniquent en ne jouant jamais atout, soit deviennent des maniaques du détarotage pour sauver des points. Les spécialistes appréciaient son jeu subtile et ce dimanche là beaucoup de kibitzs* avaient décidé de le voir œuvrer. Les parties devaient se dérouler toute la journée et Abel avait mis son réveil à sonner pour six heures trente du matin. Seulement voilà, en se réveillant, toutes ses pensées convergeaient vers un seul et unique objectif : connaître les secrets du calendrier de l’Avent. Si bien qu’à peine après avoir terminé sa toilette, avalé un café noir et deux biscottes beurrées, il revint dans le salon pour tenter une première expérience.
  
Son raisonnement était le suivant : décacheter le petit réceptacle du 1er décembre, faire son vœu puis filer au plus vite rejoindre ses partenaires. Il alla chercher dans le tiroir de son bureau un mince cutter, revint dans le salon où le calendrier gisait toujours au fond du cabas. Dire qu’il était serein en exécutant ces gestes, serait manquer de sens psychologique. Au fond de lui, Abel, habité en temps ordinaire de bon sens et de la plus rationnelle des logiques, redoutait ce moment. Inexplicablement, il était persuadé que le cours de son existence allait dépendre de ce qu’il découvrirait derrière ces petits bouts de carton. Inspirant une grande brassée d’air, il découpa soigneusement trois des côtés du rectangle où le chiffre un, doré et légèrement incliné semblait attendre depuis plus d’un siècle de délivrer son message. Il souleva le couvercle et un petit rouleau de papier roulé s’échappa de sa prison. Il glissa sous la table du salon et Abel dut se mettre à quatre pattes pour le récupérer. Le texte écrit sur le papier était écrit en si minuscules caractères qu’il lui fallu l’aide d’une loupe pour en déchiffrer la teneur :
  
« Votre entrée dans le monde du calendrier de l’Avent se fera d’autant plus facilement que votre premier vœu doit soulager un animal domestique étranger à votre toit d’une affliction ou d’un sort injuste. La pertinence de votre choix, la sincérité de votre souhait, la générosité de votre cœur, seront déterminants quant à la réalisation de ce vœu qui devra être prononcé entre l’Angelus de midi et l’Angelus du soir. »
  
Abel soupira de découragement. D’une part, il ne s’intéressait pas aux animaux contrairement à bien des gens, ne se souciait donc ni de leurs afflictions ou injustes sorts et d’autre part son emploi du temps ne lui laissait guère la possibilité de trouver l’élu qui pourrait bénéficier de son vœu. Il débutait très mal ce calendrier de l’Avent. Prêt à renoncer, Abel entreprit de se vêtir lorsqu’une idée germa dans son esprit. S’il devait consacrer son dimanche après-midi à trouver un animal, il n’y avait qu’un seul moyen : perdre au tarot, le plus rapidement possible et se faire éliminer du tournoi avant midi. La seule pensée de se couvrir de ridicule devant des personnes venues spécialement l’observer, le fit grimacer. Il imagina aussitôt l’incompréhension et les reproches dans les yeux de ses partenaires, les murmures désapprobateurs de l’assistance, la honte de commettre des erreurs dans un jeu dont il connaissait toutes les ficelles. Quel animal méritait donc qu’il s’expose à l’opprobre et à la colère de ses concitoyens, se ridiculise volontairement ?
    
Partagé entre des sentiments contradictoires, il faisait les cent pas dans le salon, bougonnait tout en jetant des regards empreints de colère au papier gisant sur la table. Puis, soudain, il s’arrêta et un sourire éclaira son visage. 
 
« Allons, dans la vie, il faut être beau joueur ! ». Il venait de prendre sa décision.
 
Lorsque les cloches de l’église sonnèrent les douze coups de midi, Abel se dirigeait vers le square Paul Démère, les mains enfoncées dans un pardessus de serge brune. Le froid plus vif que la veille avait chassé les cumulus matinaux et la bourgade scintillait sous les rayons obliques de ce soleil de décembre. Le poète magnifié dans une pause éternelle paraissait sourire à un moineau venu nettoyer son plumage sur son épaule. Abel poussa la petite grille de fer forgé qui limitait l’accès aux deux cents mètres carrés de chétifs massifs et de longues allées caillouteuses. S’il avait choisi ce lieu, c’est qu’il savait que les propriétaires de chiens y avaient leurs habitudes, délaissant les hectares de bois, champs et prés jouxtant la ville pour y mener leurs compagnons canins prendre l’air. Un banc patiné par des heures de lectures solitaires, de surveillances de bébés lovés dans des landaus et de rencontres amoureuses l’invitait à devenir son poste d’observation. Il s’y assit en priant le ciel que l’attente ne soit pas trop longue, car en dépit du « gilet manches longues thermolactyl triple épaisseur » dont il avait pris soin de se vêtir, les aiguillons du froid commençaient à traverser le fin drap de laine de son pardessus.
     
La chance lui sourit bientôt en la personne de madame Charton, la mercière de la rue des Semailles, une petite femme sèche qui tenait en laisse une coquette chienne à poil long, soyeux et ondoyant, de type bichon. Abel concentra son attention sur la bête essayant de détecter en elle les signes extérieurs d’un possible problème. L’examen se révéla négatif. Tout laissait à penser qu’elle était soignée, , baignée, manucurée et cela s'impose, bichonnée comme une princesse. Sa maîtresse en passant devant Abel fit la chattemite, inclinant la tête dans sa direction, un sourire de composition aux lèvres, mais tira ostensiblement sur la laisse et pressa le pas pour s’éloigner au plus vite de cet homme solitaire qui prenait tant de soin à observer sa chienne.
   
La petite aiguille du clocher entama une nouvelle heure lorsque le second candidat au vœu fit son apparition sous la forme ébouriffée d’un Bouvier bernois qui entraînait dans son sillage un couple et deux enfants. L’animal, jeune, encore peu rodé à la laisse, avançait par bonds successifs, jappait et tirait la langue au milieu des cris et des rires des gamins. Remarquant Abel, il déploya une énergie supplémentaire pour l’atteindre en dépit des efforts de son maître pour le tenir à distance. D’un ultime coup de rein, il parvint à poser ses deux pattes de devant sur les genoux du bonhomme et entreprit de lui lécher la figure avec application. Le baiser parut à Abel bien râpeux mais en aucun cas annonciateur d’une pathologie particulière. Le couple se confondit en excuses pendant que Willi, c’était le nom du chien, continuait à labourer les genoux d’Abel et à baver sur son pardessus. Il leur fallut dix bonnes minutes pour convaincre Willi de lâcher sa proie et d’accepter de les suivre. L’épisode avait ruiné la tenue endimanchée d’Abel mais avait relancé une circulation du sang figée par le froid.
     
L’attente se poursuivit en vain pendant un interminable quart d’heure. Le grincement du portillon sortit à temps Abel d’une somnolence qui aurait pu sinon lui coûter la vie du moins lui valoir une grippe des plus sévères. Un jeune homme venait au devant de lui, marchant lentement, tandis qu’un vieux fox terrier, raide de l’arrière-train tentait d’aligner son allure sur la sienne. La démarche de l’animal évoquait de douloureux rhumatismes et une possible arthrose. L’intérêt d’Abel en fut excité. Il observa derechef le petit fox afin de ne pas commettre d’erreur. Un pincement au cœur, il comprit que non seulement la vieillesse avait fait son travail, mais que la bête était aveugle. S’il y avait un chien qui méritait un vœu, c’était bien celui-là. Abel ferma les yeux, retint son souffle et s’apprêta à formuler le souhait lorsque soudain il hésita. Il devait faire un vœu, pas deux, or son intention première était que le chien retrouve et une allure fringante et la vue. Il devait faire un choix. La cruauté de la situation n’avait d’égale que l’empressement à conclure qui l’animait à l’instant. Des deux maux lequel faire disparaître ? Il pesa rapidement le pour et le contre et décida que la cécité était sans doute plus pénible que des problèmes d’articulation. Les mots prirent simplement leur place dans sa tête et le vœu fut enfin formulé. De longues secondes s’écoulèrent avant qu’Abel osa ouvrir les yeux. Le jeune homme avait continué sa balade quelques mètres plus loin et lui tournait le dos. La curiosité démangeait Abel. Il voulait en avoir le cœur net. Le chien avait-il recouvré la vue ?. N’y tenant plus, il se leva et hâta le pas pour les rejoindre. Arrivé à leur hauteur, il salua du chapeau le jeune homme et se pencha sur la tête de l’animal.
        
 
« J’adore les fox terriers » trouva-t-il comme excuse à son intrusion.
« Vous avez bien raison, ce sont des chiens gais, vifs et intelligents. Le mien est âgé, mais il n’y a pas plus gentil » répondit le jeune homme.
Abel profita des caresses qu’il prodiguait à l’animal pour examiner les yeux et constata avec consternation que le cristallin était toujours vitreux.
«  J’ai beaucoup de chagrin » continua le jeune homme. « Je viens d’être muté pour mon travail dans le grand nord canadien et je ne peux emmener Filou avec moi. Le voyage lui serait fatal. J’ai mis chez le docteur Labrusse une annonce, il y a trois mois, mais qui voudrait s’encombrer d’un vieux chien en mon absence ? »
« Vous partez longtemps ? » interrogea Abel
« Une mission de dix huit mois. Je pars dans deux jours. C’est notre dernière promenade. Si d’ici demain, je n’ai trouvé personne, je vais devoir me résoudre à le faire piquer. Je n’en dors plus depuis une semaine ».
« Le faire piquer ! Vous n’y pensez pas ! » s’exclama sans réfléchir Abel.
« Pourtant, je ne vois pas d’autre solution. A moins que vous ne connaissiez quelqu’un ou que vous-même… »
« Dix huit mois, c’est long, mais cela peut peut-être s’envisager… »
« Vraiment ? Oh monsieur, je ne sais pas comment vous remercier, vous… vous… Puis-je passer dès demain ? Je vous apporterai Filou, son carnet de vaccination, ses jouets, ses médicaments… »
« Ses médicaments ? »
« Heu, oui Filou, suit un traitement, rien de bien compliqué, vous savez... quelques comprimés matin et soir. On a vite pris l’habitude… ».
                
Abel se demanda ce qui venait de lui arriver. Non seulement il n’avait jamais désiré s’encombrer d’un animal, mais depuis la maladie de sa femme l’idée des soins l’épouvantait. Non content d’avoir cédé à l’attrait d’un vœu qui manifestement n’avait eu aucun effet, le voilà maintenant qui se proposait en famille d’accueil d’une bête malade, handicapée et aveugle. Si le calendrier avait bien un pouvoir, c’était celui de lui faire perdre le jugement. Mais Abel n’avait qu’une parole et il sortit une carte de visite qu’il tendit au jeune homme.
 
 
 
 


* spectateur d’une partie de tarot (en principe muet)
   

à suivre.... 


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1 novembre 2007 4 01 /11 /novembre /2007 15:00


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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
 
(2) Où Abel Beaujour a bien des émotions. 

 
C’est ainsi qu’Abel devint propriétaire d’un objet dont il ne savait que faire et que son porte-monnaie se trouva soulagé de cinq billets de vingt euros.
   
Sa liste de courses ressemblait à sa vie : simple, réduite à l’essentiel, dépourvue de tout chichi. Il prenait soin de laisser la file des clients s’allonger devant chaque étal pour prendre son tour. Cela lui donnait le temps de détailler les marchandises, d’en apprécier les couleurs et les parfums, d’écouter les conversations de ses voisins et d’y participer avec humour et finesse lorsque l’occasion s’en présentait, car Abel avait de l’esprit. Attendre plus d’un quart d’heure dans le froid de novembre, une escalope de veau de cent vingt grammes « ni plus, ni moins » ne lui posait pas problème. La vie des autres endormait les picotements dans ses orteils, les sourires que ses remarques déclenchaient réchauffaient le bout de ses oreilles.
   
C’est donc le cabas aux deux tiers vide qu’il prit sa place devant le stand de Louise-Charlotte. Un jeune apprenti, au visage rond comme une pleine lune l’aidait à emballer les morceaux de fromage dans un papier ingraissable, préparait les commandes mais seule Louise-Charlotte maniait le couteau, la louche à crème et celle à cancoillotte. Abel s’émerveillait de la délicatesse de ses gestes, de la précision de son œil pour fournir la part en parfait accord avec la demande du client, se liquéfiait au son de sa voix douce et chantante. Lorsque vint son tour, il se livra au petit manège habituel qui consistait à hésiter entre plusieurs produits, s’enquérir de l’origine des nouveautés, de la provenance des fromages, tout en complimentant la crémière sur sa mine et sa dextérité. Louise-Charlotte le laissait faire avec une évidente satisfaction, répondait à des questions déjà cent fois posées avec la même grâce et la même patience. Abel ayant épuisé sa palette d’interrogations et sa mosaïque de jolis mots, le rituel du Saint Marcellin pouvait commencer.
         
Ce jour là pourtant, avant de prononcer la phrase qui concluait leurs échanges hebdomadaires, Abel, un peu gêné, l’invita à prendre un café. Loin de paraître choquée, Louise-Charlotte s’empressa de se défaire de son tablier, donna quelques consignes au jeune apprenti, rajusta d’un geste coquet son bonnet et un sourire toujours épanoui aux lèvres rejoignit un Abel enchanté. Sans même en parler, ils délaissèrent le neo pub londonien de la brasserie Saint Pierre pour diriger leurs pas vers Le petit café, un endroit qui avait gardé son comptoir à l’ancienne, ses tables en bois, son grand miroir et qui proposait un choix varié de cafés délicieux. Abel s’effaça en tenant la porte pour laisser passer Louise-Charlotte la première, puis il choisit une petite table à l’écart de l’entrée, proche d’un vieux poêle à bois que l’on avait gardé pour la décoration. Les premières lapées d’un Moka d’Ethiopie au parfum d’arum scellèrent entre eux une tendre complicité. Réchauffé et rasséréné, Abel ouvrit son cabas et en sortit le calendrier de l’Avent, qu’il déposa sur la table avec précaution.
         
« Je voulais vous demander Louise-Charlotte, si j’ai rêvé ou si vous ne m'auriez pas encouragé  à en faire l’acquisition ? »
« Vous aviez l’air tellement heureux devant ces livres mais également tellement hésitant que oui, je l’avoue, j’ai eu envie que vous fassiez plaisir » répondit-elle sans hésitation.
« Et bien, voilà qui est fait, mais pas pour un livre, comme vous pouvez le constater… Un calendrier de l’Avent qui détient selon les dires du vendeur des pouvoirs magiques… Oui, vous pouvez sourire, Louise-Charlotte, il n’y a qu’un vieux fou comme moi pour acheter un tel objet. Je pense l’offrir à mon petit-fils. Pensez-vous que cela peut amuser un enfant de dix ans ? »
La crémière fronça les sourcils, prit le calendrier dans ses mains et l’examina sous toutes les coutures un long instant.
« Je crains qu’il ne soit trop tard » finit-elle par déclarer.
«  Oui, j’y ai pensé. Nous sommes déjà le 30 et le temps de l’emballer, de le poster, même en colissimo, mon petit-fils ne l’aura que le lundi ou mardi prochain »
« Je ne parle pas de cela, monsieur Beaujour. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a en bas du calendrier, là, sur le bandeau rouge inscrit en petites lettres un avertissement qui dit quelque chose d’intéressant : Les vœux correspondants à chaque jour devront être sincères et motivés. Ils ne pourront être émis que par la personne ayant fait l’achat de ce calendrier, à l’exclusion de toute autre. Enfreindre cette règle, enlève à ce calendrier tout pouvoir. Voilà, il n’y a que vous qui pouvez vous en servir, car il a l’air neuf et vous en êtes sûrement le premier propriétaire ».
         
Louis-Charlotte reposa le calendrier sur la table, but le reste de son café et jeta un rapide coup d’œil par la fenêtre en direction de son étal.
             
« Il va falloir que je vous quitte, monsieur Beaujour, les clients font la queue et le gamin semble complètement débordé. Grand merci pour ce délicieux café. Pour le calendrier, je suis certaine que vous en ferez bon usage et surtout n’hésitez pas à me tenir au courant, j’adore les mystères ».
      
Elle se leva, hésita un bref instant, puis se pencha pour déposer un léger baiser sur la joue droite d’Abel.
         
Beaucoup d’émotions pour le bonhomme en une seule matinée. Que Louise-Charlotte n’ait montré aucune surprise à la révélation des pouvoirs magiques du calendrier était déjà difficilement croyable, mais qu’en plus elle le quitte sur un baiser le laissait stupéfait. Le chemin du retour vers sa demeure se déroula comme dans un rêve. La confusion des sentiments et des idées qui traversaient son esprit était telle qu’il dépassa la porte de sa maison sans s’en rendre compte et dut rebrousser chemin quelques vingt mètres plus loin.
              
Enfin, une fois rentré, il rangea machinalement ses courses dans la cuisine puis gagna le salon où il se laissa lourdement tomber dans son fauteuil préféré. Il s’y assoupit d’un sommeil lourd  sans que la faim ne vienne le réveiller. Vers cinq heures du soir, il ouvrit les yeux, mit de longues minutes à trouver ses repères. Le jour faiblissant, il se leva pour allumer le lampadaire et buta contre le cabas qu’il avait déposé au pied du fauteuil. La lumière filtrant de l’abat-jour fit briller la couverture du calendrier de l’Avent qui débordait d’un bon centimètre des rebords usés par le temps de son sac à provisions. Sept longues heures le séparaient encore du premier jour de l’Avent.
  
   

à suivre.... 


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