13 novembre 2007
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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
(11) Où Abel Beaujour doit affronter des personnes en colère
(11) Où Abel Beaujour doit affronter des personnes en colère
Lorsque l’on frappa à sa porte en ce lundi matin, Abel terminait de préparer le repas du chien. Des visiteurs, il n’en avait guère et sa surprise
fut à son comble en voyant la mine renfrognée de Gontran de la Perronière s’encadrer dans l’œilleton du judas. Il l’invita à entrer dans le salon mais monsieur le Maire refusa.
« Je n’ai que très peu de choses à te dire, Abel » attaqua l’élu local dont la mine empourprée reflétait tout autant le gel matinal que la
colère.
«Je te préviens que cela ne va pas se passer comme cela. Ton initiative d’hier, ne te fais aucune illusion, j’ai bien compris. Si c’est ma place que tu
brigues à la mairie, je te préviens que je ne me laisserai pas faire. Des coups bas, j’en ai pris dans ma vie, mais un comme celui-ci, j’avoue que là, je ne m’y attendais pas. On se comprend
n’est-ce pas ? ». Abel leva les mains au ciel en signe d’interrogation et d’impuissance.
« Ne fais pas l’idiot ! Si tu voulais saboter mon action, prendre par jalousie le devant de la scène, tu ne t’y serais pas pris autrement.
Alors, écoute bien ce que j’ai à te dire… Que tu essaies de mettre le feu à la ville par une action totalement irresponsable, puérile et à la limite criminelle c’est une chose, mais que ce
faisant, que tu tentes de me discréditer personnellement auprès des électeurs en est une autre. Attends-toi à ce que je n’en reste pas là… A bon entendeur, salut ! ».
Abel n’eut pas le temps de se défendre que Gontran avait déjà tourné les talons. Il ferma la porte et resta quelques instants abasourdi. A aucun
moment il n’avait imaginé porter le discrédit sur l’action du maire et encore moins lui nuire de manière personnelle. Bien sûr, il aurait sans doute dû l’informer en premier de son
initiative. Son idée première avait été de la faire, mais il ne l’avait pas contacté. Sur les coups de fils passés, le numéro du maire était tombé aux oubliettes. Un acte manqué ? La
réponse l’embarrassait. Oui, peut-être, un peu de cela, finit-il par s’avouer. Abel, n’était pas le genre d’homme à se laisser démonter par des menaces. Pour le moment il avait mieux à faire.
Le calendrier l’attendait avec son numéro neuf plein de promesses. Il appela Filou pour partager ce moment précieux.
« Le Calendrier est bien aise de vous retrouver. Nous espérons que la lumière a éclairé les cœurs de ceux qui vous entourent et qu’un même élan vous
guide tous ensembles vers le jour de la nativité. Le chiffre neuf, symbole de l’universel, doit vous conduire dans une voie permettant à un jeune enfant d’acquérir les notions élémentaires
qui lui permettront d’adapter son jugement aux choses et pas seulement à l’idée qu’il s’en fait. Si cette consigne vous semble absconse, nous vous conseillons de lire Spinoza. Fidèlement
vôtre, le Calendrier ».
Abel éclata de rire. Pour un matheux comme lui, le message n’avait rien d’abscons. Il y avait déjà belle lurette que pour Abel, essayer de comprendre, ce
n’était jamais partir de l’expérience immédiate, ni se fier à l’expression de ses propres désirs afin de saisir la réalité telle qu’il aurait voulu qu’elle soit. Pourtant, il eut un
doute. N’était-il pas justement en train de faire exactement le contraire en suivant les consignes du calendrier ? Il écarta l’argument qu’il jugea déplaisant. Trouver un enfant en
difficulté scolaire, ne devrait pas poser problème. Le vœu serait cette fois facile à formuler. Après la sortie matinale de Filou, il irait à l’école primaire et se renseignerait auprès de la
directrice pour connaître l’inévitable cancre recordman des mauvaises notes toutes matières confondues. Ce qui fut résolu dans sa tête, fut fait.
Madame Leboeuf, directrice de la maternelle de l’école communale l’accueillit avec une surprise qui se mua rapidement en sincère ferveur. L’enseignante
oeuvrait depuis plusieurs années pour organiser un soutien scolaire auprès d’enfants rencontrant des difficultés. Qu’un élu vienne lui rendre visite sur ce thème, ne pouvait que l’encourager.
Si Abel lui cacha l’origine de son intérêt pour ce sujet, il se montra ouvert et favorable à prendre sous sa tutelle un gamin qui avait usé jusqu’à la corde la vocation de plusieurs
institutrices. L’heure de la récréation ayant sonné, elle lui désigna dans la cour de l’école le tueur de bonnes volontés et de talents pédagogiques. La frimousse effrontée d’un gamin de neuf
ans vint narguer Abel sous le nez.
« Si tes parents sont d’accord, Cédric, ce monsieur est prêt à te donner des cours privés pour t’aider dans tes études, et cela gratuitement. C’est
particulièrement gentil de sa part, car monsieur Beaujour est un homme très occupé qui a de grandes responsabilités dans notre ville. Je suis persuadée que tu auras à cœur de ne pas le
décevoir. Qu’en penses-tu Cédric ? ».
Manifestement, l’écolier n’en pensait que du mal. La perspective de suivre des cours supplémentaires en compagnie d’un vieux bonhomme habillé comme s’il
allait à une cérémonie funéraire, ne le galvanisait aucunement. Il baissa la tête d’un air buté et demanda s’il pouvait retourner jouer au foot avec ses copains. La directrice faillit s’y
opposer, mais Abel opina en signe d’acquiescement.
« Je téléphone aux parents dès cet après-midi. Si j’ai leur accord, ce serait bien que vous puissiez le prendre deux fois par semaine. Il faudrait
passer le chercher à la sortie de l’école, par exemple le mardi et le jeudi. Pensez-vous que cela soit possible ? » Demanda madame Leboeuf d’un air suppliant.
Abel songea que deux fois par semaine, cela faisait beaucoup, mais il n’eut pas le courage de la décevoir et finit par en accepter l’idée. Alors qu’il prenait congé, elle lui adressa un dernier conseil.
Abel songea que deux fois par semaine, cela faisait beaucoup, mais il n’eut pas le courage de la décevoir et finit par en accepter l’idée. Alors qu’il prenait congé, elle lui adressa un dernier conseil.
« Je vous préviens… avec lui, il va falloir être ferme et patient. Il n’a pas un mauvais fond, mais une force d’inertie au-delà du
concevable… ».
Abel en prit bonne note et ferma les yeux pour formuler son vœu.
Sur le chemin du retour, son attention fut attirée par une intense agitation à l’angle de la rue des Cordeliers. Un camion de livraison bouchait le
passage et une file de voitures s’agglutinait derrière lui. Abel s’approcha pour satisfaire à sa curiosité. Monsieur Tellier, le libraire, s’agitait en tous sens, houspillait le livreur,
vociférait en proie à la plus grande des colères. Des dizaines de cartons s’entassaient devant la porte de sa boutique au rideau de fer baissé. Abel qui connaissait bien cet amoureux de la
littérature, se porta à sa rencontre.
« Et bien Monsieur Tellier, que vous arrive-t-il ? »
« Ha ! Monsieur Beaujour ! Vous vous rendez compte… On me livre un lundi, mon jour de fermeture. Si je n’avais pas donné mon numéro de
portable, tous ces colis seraient restés là sur le trottoir jusqu’à demain matin. C’est du grand n’importe quoi… Deux cents livres exposés aux intempéries et à la concupiscence, sans personne
pour les surveiller.. ».
« Deux cents livres ? Vous renouvelez tout votre stock ? » Demanda Abel, soudain perplexe.
« Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Allons, monsieur Beaujour… C’est une livraison pour Noël… La réédition complète des œuvres de
Paul Démère… Une idée de notre maire, pour relancer l’intérêt de ses administrés pour notre poète local… Ne me dites pas que vous n’en avez pas entendu parler ? Cela dit, s’il n’y avait
pas eu une subvention, croyez-moi que je n’aurais jamais accepté de m’encombrer d’autant de livres, parce que maintenant, je vais devoir les vendre… et la poésie, ce n’est pas ce qui marche
le mieux… ».
« C’était donc cela… » pensa Abel. Gontran avait lancé cette réédition pour se faire de la publicité, redorer un blason qui commençait à se
rouiller. L’illumination de la veille, il l’avait donc interprétée comme la volonté de saper son action et de le prendre de vitesse. Mais voilà, Abel n’avait pas été tenu au courant de
l’intention du maire, ni de la subvention attribuée. Un oubli ? Abel en doutait. Dans son cœur, pourtant, germa un sentiment de reconnaissance. Paul Démère renaissait de ses
cendres…N’était-ce pas ce qu’il avait souhaité ?
à suivre....
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