Blog-notes*
III
Sans bien se rendre compte de ce qu'il faisait, il ramassa à la hâte les vêtements et se précipita vers sa péniche à la recherche de ses lunettes, nourrissant secrètement l'espoir de s'être trompé.
Quelques instants plus tard, il comprit que ses yeux usés par des années de bons et loyaux services à la batellerie ne l'avaient point trahi. Parfaitement secoué, son premier réflexe fut de parcourir les quais à la quête d'une silhouette d'adolescente, décidé à la raisonner, la faire renoncer, voire utiliser la force pour la sauver.
Après avoir arpenté une bonne demi-heure de long en large la berge, il se résolut à jeter de brefs coups d'oeil dans l'eau verdâtre de la Seine en souhaitant de tout son coeur n'y voir flotter aucun corps.
Tous ses efforts furent vains et c'est transpirant, à bout de souffle et terriblement inquiet, qu'il avait regagné sa péniche et appelé la gendarmerie.
Les gendarmes alertés s'étaient alors rendus sur les lieux et l'avaient longuement interrogé. Quelques heures plus tard une équipe de plongeurs spécialisés appelée en renfort avait fini par découvrir un corps flottant entre deux eaux à quelques encablures de l'endroit qu'il avait lui-même exploré.
Parmi les vêtements que le père Matthieu leur remit, ils trouvèrent dans la poche intérieure d'une veste en jean une carte d'identité et l'enquête confirma rapidement et sans l'ombre d'un doute que le corps était celui d'une jeune fille de seize ans, prénommée Morgane, élève de seconde au lycée professionnel Simone Weil, hébergée par une tante domiciliée à Conflans, le père et la mère de Morgane perdus dans les méandres d'un divorce et en perpétuel changement d'adresses ayant préféré confier momentanément leur fille à cette parente pour " calmer le jeu ".
Aucune trace de violence n'ayant été relevée, l'autopsie effectuée quelques jours plus tard conclut à une mort par noyade suite à l'absorption d'une forte dose de barbituriques.
Si le commissaire Guedj, ne doutait nullement de l'origine du décès et de son caractère non criminel, il n'avait pu dans un premier temps clore le dossier, les deux parents s'étant pour une fois exprimés en accord parfait pour contester l'authenticité de la lettre retrouvée par le père Matthieu.
Ce contretemps exaspérait le commissaire Guedj.
Tant d'affaires non résolues et hautement plus délicates réclamaient son attention. Mais les parents avaient été formels et Guedj ne pouvait mettre sur le compte du chagrin leur comportement. Après avoir hésité à demander l'avis d'un expert, il s'était résolu, plus par sympathie pour le couple que par conviction profonde à faire appel à la graphologue rencontrée lors de son enquête sur la disparition des frères de Bradler, afin d'authentifier le document. Un rendez-vous était fixé en début d'après-midi. Dès ce soir, au plus tard demain matin, l'affaire si tant est que ce terme pouvait s'appliquer à un suicide, serait définitivement classée.
Il regarda une dernière fois la silhouette massive de la péniche, " un ancien porteur de canal " lui avait précisé non sans fierté le père Matthieu et décida qu'il était temps d'aller manger un sandwich dans l'un des nombreux cafés en bord de Seine, sur le chemin de son commissariat.
*BLOG-NOTES est un manuscrit déposé, ayant reçu un numéro d'ISBN mais non encore corrigé et édité. Les amis bloggeurs qui auront le courage et la ténacité de lire ce petit suspense jusqu'au bout seront nommément cités sur le livre en dédicace.