Blog-notes*
III
Le commissaire Jules Guedj souffrait plus pour l'instant des nouvelles dispositions prises dans sa circonscription pour développer la police de proximité qu'il ne s'en réjouissait. Un manque de coordination, mais essentiellement le manque de formation des nouveaux adjoints de sécurité provoquaient de multiples petits problèmes.
Son collègue de Mantes en faisait chaque jour l'expérience avec la population du Val Fourré. Ce quartier désigné haut et fort comme zone de non-droit et comme l'un des vingt quartiers les plus criminogènes de France par Nicolas Sarkozy quelques jours auparavant donnait certes du fil à retordre mais peut-être pas autant que cette nouvelle publicité le laissait supposer.
Il avait accueilli sa récente nomination en tant que Commissaire principal à Conflans Sainte Honorine avec sérénité et même une certaine satisfaction. Titulaire d'une maîtrise de Droit et diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure de Police, Jules Guedj était un homme de 38 ans, brillant, motivé et discret à la fois. Ses origines juives, son visage d'ascète, sa capacité à créer de l'empathie dans ses rapports avec les autres lui avaient valu dans son précédent poste le sobriquet de " Le Grand Pardon ". Ici on l'appelait "Principal", ce qui lui seyait beaucoup mieux.
Sa ballade quotidienne le long des rives de la Seine lui permettait d'échapper au brouhaha incessant de son commissariat. Les péniches bichonnées avec amour par quelques mariniers à la retraite éclataient de couleurs en ce jeudi du mois de mai. Toute la nature s'était accordée à ce festival de tons crus et complémentaires. L'arc-en-ciel du printemps avait élu domicile à Conflans.
" Plus question de larguer les amarres pour ces amoureux de la liberté " pensait Guedj en laissant son regard flotter sur le pont des péniches immobiles. Depuis une vingtaine d'années, la batellerie était réduite à une inactivité quasi forcée. Les canaux mal entretenus et la concurrence féroce du transport par la route avaient réduit la plupart de ces anciens paysans du Nord de la France à contempler toujours et toujours la même rive. Il lui paraissait que dans un siècle où on ne parlait que d'écologie, la lente disparition de ce métier était un anachronisme lamentable.
Il s'approcha de la péniche du père Matthieu qui semblait momentanément déserte et se souvint de sa première entrevue avec cet homme qui était entré quelques jours plus tôt dans son bureau, la mine bouleversée, vêtu d'une salopette bleue, un brin trop étroite pour contenir son quintal.
L'homme lui avait relaté, l'émotion faisant encore trembler sa voix, comment au petit jour, alors qu'il quittait les gravellènes pour sa promenade quotidienne sur le plat-bord de son bateau, il avait remarqué sur la berge en aval un petit tas de linge posé à même le sol. Après avoir mis à l'abri la tasse de café noir brûlant qu'il tenait à la main dans la cambuse, il avait alors emprunté l'échelle de bardaille pour " aller y voir de plus près ".
Il avait trouvé des vêtements féminins soigneusement pliés, simplement soustraits à un éventuel coup de vent par une pierre semblable à celles qui jonchent par endroits l'ancien chemin de halage. " Sans doute, une femme de marinier qui aura oublié son linge séché, la veille à cet endroit " avait-il pensé naïvement. Mais le père Matthieu, homme curieux et précis, ne pouvait se satisfaire de cette banale constatation. Il voulut en savoir plus, défit la pile de vêtements et découvrit entre un petit pull-over rose et un jean, une enveloppe non cachetée.
N'ayant pas pensé à emporter sur lui ses lunettes, il peina quelques instants à lire ce qui était pourtant une grande écriture. Au fur et à mesure que ses yeux de presbyte accommodaient tant bien que mal le graphisme des lettres, il sentit son sang se glacer et sa gorge se nouer. Le contenu brutal de la missive révélait l'intention d'une jeune fille d'en finir avec l'existence.
à suivre........
*BLOG-NOTES est un manuscrit déposé, ayant reçu un numéro d'ISBN mais non encore corrigé et édité. Les amis bloggeurs qui auront le courage et la ténacité de lire ce petit suspense jusqu'au bout seront nommément cités sur le livre en dédicace.