Blog-notes*
Tendances hystériques et tendances paranoïaques se mêlaient chez Alex en doses variées selon qu'il évoquait ses liens familiaux, ses projets professionnels ou sa difficulté à se trouver des points de similitude et de connivence avec des gens de sa génération. Il n'était certes ni le premier ni le dernier jeune homme à présenter ce type de profil. En pratique, les " Alex " commençaient à proliférer dans les antichambres des entreprises que sont les cabinets de recrutement.
Le plus souvent bardés de diplômes, ils multipliaient les candidatures spontanées, les stages de courte durée, affichaient une forte confiance en eux en entretiens d'embauche, alors qu'ils n'avaient pourtant de cesse que de chercher auprès d'un " expert " les conseils et les " trucs " qui leur permettraient de décrocher la lune, c'est-à-dire au mieux un emploi en CDD dans une boite en voie de mondialisation, mais souvent également en voie d'externalisation.
Si la plupart d'entre eux ne manquait pas d'ambition, ils étaient fort peu à chercher du travail au delà des limites de l'hexagone et je soupçonnai même certains de rêver secrètement à une vie articulée autour, au pire du petit Bobo, au mieux du parfait Furita.
Gavés toute leur jeunesse de mangas nippons, il leur devenait naturel d'enfourcher l'idéologie contre productiviste de leurs alter ego japonais, de considérer le travail comme un simple gagne pain et non comme une fin en soi, d'accumuler les jobs précaires, de chercher à vivre en harmonie avec leurs désirs, leurs envies quitte à se serrer la ceinture s'il le fallait.
A la décharge d'Alex, je devais reconnaître que ses parents ne l'avaient guère préparé à se autre chose. Elevé par une mère tantôt absente tantôt sur protectrice, par un père tantôt dominateur tantôt dépressif, il avait dû naviguer à vue toute sa jeunesse et son adolescence et sans doute trouver ses modèles sur les écrans de télé et sur les consoles de jeux.
Quel gâchis, pensai-je ! Avec un parcours scolaire brillant, une réussite parfaite dans une école de commerce réputée et deux années d'avance sur ces congénères, le voilà remettant tout en cause, rêvant de je ne sais quel boulot de paillettes et de lumière...
- Tu nous fais quoi ce soir ?
Je sursautai, n'ayant pas entendu ma fille entrer dans la cuisine pendant ma séance d'épluchage manuel et intellectuel.
- Une raclette ma chérie, ça te va ?
- Hein! Une raclette ? Pffff, maaan, je croyais t'avoir dit que je commençais un régime fit-elle d'un air exaspéré la main posée sur un ventre aussi plat qu'une limande.
- Mais voyons ma puce, tu es aussi fine qu'un top model !
- Tu rigoles, Tiens regarde ça...
Elle arriva par je ne sais quel miracle à saisir un demi centimètre de peau au- dessus de son jean taille basse pour me montrer l'ampleur des dégâts. Le petit bout de chair se mit à virer au blanc de céruse étant donné l'effort qu'elle exerçait pour le maintenir entre ses doigts.
- Qu'est-ce qu'il te voulait Alex ? demanda t-elle d'une petite voix coquine.
- Je l'aide en ce moment à faire le point. Il est un peu paumé et ne sait pas trop dans quelle voie orienter sa recherche d'emploi.
- Il est devenu super mignon, ajouta t-elle en me donnant l'impression d'avoir zappé ma réponse.
- Alors là, c'est vraiment une question de goût, chérie, bon alors je la fais cette raclette ?
- S'il n'y a rien d'autre... Si non, t'inquiète pas, je me ferai décongeler une pizza...
- Tes notions de diététique m'étonneront toujours, minette
- Man, j'ai une faveur à te demander, répondit-elle en me fixant au fond des yeux
- Oui, poussin ?
- Man ! Je viens d'avoir dix sept ans, tu le sais cela, non ?
- Bien sûr, mon coeur, où veux-tu en venir chérie ?
- Juste à cela très chère mère... Les " puce ", les " minette ", les " poussin ", tu vois man, ça me gave sévère. Je te rappelle au cas où tu l'aurais oublié que j'ai un prénom et que c'est toi-même qui l'as choisi. Alors par pitié, surtout devant mes copains, tu pourrais éviter ?
- S'il n'y a que cela pour te faire plaisir, pas de problème ma minouchette...
Je n'eus que le temps de rentrer la tête dans les épaules pour éviter de recevoir une poignée d'épluchures de pommes de terre dans les cheveux.
à suivre...
*BLOG-NOTES est un manuscrit déposé, ayant reçu un numéro d'ISBN mais non encore corrigé et édité. Les amis bloggeurs qui auront le courage et la ténacité de lire ce petit suspense jusqu'au bout seront nommément cités sur le livre en dédicace.