20 novembre 2007
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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
(15) Où la voix du calendrier est impénétrable
(15) Où la voix du calendrier est impénétrable
Abel n’était pas "totalement" superstitieux. Un vendredi treize n’augurait rien qui puisse le mettre de bonne ou de mauvaise humeur, tant que la
vie ne lui démontrerait pas le contraire. La révélation d’un Filou ayant recouvré la vue avait suffi à faire son bonheur. Sa nature prosaïque lui avait cependant commandé de téléphoner
au vétérinaire qui suivait le chien depuis sa naissance. L’assistante avait dû se faire prier pour prendre le fox en urgence ce vendredi et avait fixé un rendez-vous sur le coup de onze
heures. Abel voulait en avoir le cœur net. Seul un spécialiste pouvait vérifier la qualité de la vue de l’animal et apporter une explication rationnelle.
Il passa de longs moments après sa toilette à jouer avec le chien pour s’assurer qu’il n’avait pas rêvé. Filou fit des prodiges d’adresse et démontra s’il en était encore besoin que sa vision était tout aussi acérée que celle d’un grand Tétras. Le résultat de ces bonds et voltiges aériennes signèrent la fin d’un vase en cristal de Bohême que madame Beaujour avait reçu en cadeau de mariage d’une tante alsacienne. La perte de l’objet ne déclencha pas d’affliction particulière, Abel n’ayant jamais aimé sa forme tarabiscotée et ses couleurs criardes. Il se demanda cependant, vendredi treize oblige, si casser du cristal, tout comme casser du verre blanc, était annonciateur de bonheur. La journée lui apporterait sans aucun doute une réponse à cette question existentielle. Ils petit-déjeunèrent avec entrain et la découverte de l’épaisse couche de neige tombée pendant la nuit sur les toits des demeures voisines n’inquiéta Abel que modérément. Il ouvrit la fenêtre de la cuisine, chassa du revers de la main les flocons qui s’étaient accumulés sur les branches du cotonéaster, souffla sur les feuilles comme s’il voulait les sortir de leur torpeur. La plante était beaucoup plus résistante qu’il ne l’avait supposé. Empli de pensées positives, il appela Filou pour l’ouverture du réceptacle treize.
Il passa de longs moments après sa toilette à jouer avec le chien pour s’assurer qu’il n’avait pas rêvé. Filou fit des prodiges d’adresse et démontra s’il en était encore besoin que sa vision était tout aussi acérée que celle d’un grand Tétras. Le résultat de ces bonds et voltiges aériennes signèrent la fin d’un vase en cristal de Bohême que madame Beaujour avait reçu en cadeau de mariage d’une tante alsacienne. La perte de l’objet ne déclencha pas d’affliction particulière, Abel n’ayant jamais aimé sa forme tarabiscotée et ses couleurs criardes. Il se demanda cependant, vendredi treize oblige, si casser du cristal, tout comme casser du verre blanc, était annonciateur de bonheur. La journée lui apporterait sans aucun doute une réponse à cette question existentielle. Ils petit-déjeunèrent avec entrain et la découverte de l’épaisse couche de neige tombée pendant la nuit sur les toits des demeures voisines n’inquiéta Abel que modérément. Il ouvrit la fenêtre de la cuisine, chassa du revers de la main les flocons qui s’étaient accumulés sur les branches du cotonéaster, souffla sur les feuilles comme s’il voulait les sortir de leur torpeur. La plante était beaucoup plus résistante qu’il ne l’avait supposé. Empli de pensées positives, il appela Filou pour l’ouverture du réceptacle treize.
« Bonjour, bonjour ! Il y a quinze ans notre pâtre Wilfrid Moreau créait ce beau cantique : Les anges dans nos campagnes, ont entonné l'hymne des cieux, et l'écho de
nos montagnes redit ce chant mélodieux.Cherchons tous
l'heureux village qui l'a vu naître sous ses toits. Offrons-lui le doux hommage, de nos cœurs et de nos voix. Bergers quittez vos retraites, unissez-vous à leur concert, et que vos
tendres musettes fassent retentir les airs. Le Calendrier serait bien aise que cette douce chansonnette soit portée d’une voix claire par un être muet. Sur ce, le Calendrier vous
souhaite un chœur accordé. »
« Ben, allons donc, faire chanter un muet ! Pourquoi pas faire marcher un
paraplégique? » Ironisa Abel.
Le texte du cantique de Noël lui rappelait des souvenirs. Le cagibi renfermait quatre
caisses de vieux trente trois tours, abrités de la poussière mais qui n’avaient plus délivré leur musique depuis la perte de madame Beaujour. Abel qui s’était passionné jeune homme pour
le blues et le jazz, détenait entre autres bijoux, une collection complète du label Yazoo à faire baver d’envie tous les amateurs de bluegrass. De son côté madame Beaujour aux goûts
musicaux très éclectiques n’avait jamais résisté à l’attrait du musette, de l’orgue, de Tino Rossi et des chants traditionnels. Abel était convaincu que parmi tous les cantiques de Noël
accumulés avec tendresse par son épouse, Moreau avait une place de choix. Il sortit donc les cartons, les ouvrit dans le salon et chercha la perle rare. Son espoir ne fut pas déçu.
Entre des enregistrements des Noëls de Daquin et de Dandrieu, un vieux vinyle des « anges dans le ciel » de Moreau figurait en bonne place. Il n’avait plus le temps de
l’écouter mais se promit de le faire en revenant de son rendez-vous.
Un mélange de sable et de sel avait été épandu sur les chaussées et les trottoirs de
la ville. Une bouillie jaunâtre s’était formée suite au passage des voitures, aux allées et venues des piétons. C’est crotté jusqu’à mi-bottes qu’Abel franchit le seuil de la clinique
vétérinaire. La salle d’attente était bondée et il eut des difficultés à trouver une chaise libre. Coincé entre une matrone serrant contre son opulente poitrine un minuscule Chihuahua
et une jeune fille couvant des yeux deux caisses à chats, il prit son mal en patience. L’heure du rendez-vous n’avait été que de pure forme et il dut patienter trois quarts d’heure
avant que le Docteur Labrusse ne l’appelle.
Lorsque Abel déposa Filou sur la table d’examen, le chien tremblait de tous ses
membres. Il avait beau proférer des paroles réconfortantes, rien ne calmait son angoisse. Haletant, la langue pendante, l’animal tressautait comme un malheureux atteint de la danse de
Saint Guy. Il fallut une extrême patience ainsi qu’une grande expérience au vétérinaire pour examiner les yeux. Au terme de l’auscultation, le praticien hocha la tête.
« Je n’y comprends rien… Ce chien a des yeux de jeune chiot. C’est
stupéfiant ! Et en plus vous me dites qu’il gambade sans problème? »
« Tout à fait » répondit Abel. « C’est venu peu à peu, mais il ne
boite pratiquement plus. »
« Vous lui donnez ses médicaments ? »
« Scrupuleusement, Docteur. Deux le matin et deux le soir. »
« Comment cela ? Vous lui donnez quatre comprimés d’anti-inflammatoires par
jour ! Vous voulez lui bousiller l’estomac? »
Abel vexé, sortit de la poche de son manteau la liste de recommandations laissée par
le maître de Filou.
« Tenez ! Regardez par vous-même.. Deux le matin, deux le
soir… »
Le vétérinaire lut la feuille et éclata de rire.
« C’est marqué un demi le matin et un demi le soir. J’avoue que le un et la
barre de fraction sont à peine visibles, mais pourtant c’est cela qui est écrit. »
Abel, confus, reprit la liste et dût convenir que le vétérinaire avait raison. Il
avait dans sa méprise quadruplé la dose. Que Filou ne ressente plus ses douleurs n’avait rien d’étonnant ! Pendant que le Docteur Labrusse réexaminait le fond des yeux du petit
fox, un sifflement rauque résonna dans la pièce. Abel s’en inquiéta.
« Oh! ce n’est rien, c’est Myrtille… Une femelle mainate que j’ai récupérée depuis que
son propriétaire est entré en maison de retraite »
« La pauvre bête s’ennuie ici. Elle a perdu la voix, s’alimente à peine» ajouta le
vétérinaire d’un ton chagrin.
« Elle ne parle pas ? » Interrogea Abel.
« Elle ne parle plus, ne chante plus. Mademoiselle est devenue muette… Il faut
dire également que sa cage est bien trop petite et que je n’ai pas le temps de m’en occuper. De plus, elle déteste mon assistante et perd ses plumes jour après jour »
Une petite voix dans la tête d’Abel se fit entendre : « Non mon vieux… Ca
va comme cela. Tu as déjà récupéré un chien, tu ne vas pas t’encombrer maintenant d’un oiseau ! » Mais il s’agissait d’une petite voix, d’une très petite voix.
« Pensez-vous que je pourrai la prendre en garde quelques temps. Juste ce qu’il
faut pour qu’elle retrouve et son plumage et sa voix ? » S’entendit-il dire malgré lui.
Le vétérinaire n’allait pas laisser passer une aussi belle occasion. Il poussa la
sollicitude jusqu’à proposer au bonhomme l’aide de son assistante pour transporter l’oiseau en cage, lui offrit gracieusement deux paquets de nourriture spéciale, l’assura de sa totale
disponibilité pour lui prodiguer les conseils adéquats et lui consentit une remise sur son tarif habituel.
Abel savait à l’avance où nicherait Myrtille. Il fallait à la belle déplumée un
endroit clair et ensoleillé. Il fallait à Abel un endroit facile à nettoyer. Le vétérinaire avait été précis et n’avait pas caché que l’oiseau adorait disséminer tout azimut sa
nourriture hors de sa cage. La salle de bains disposait d’une exposition plein sud et d’une desserte désertée des parfums et poudres de riz de madame Beaujour qui ferait un excellent
reposoir.
Lorsque l’installation fut finie, Abel songea au cantique de Noël. Il souleva
le couvercle de sa vieille chaîne stéréo, vérifia le diamant de la platine et posa le bras sur la petite surface lisse séparant les morceaux, en prenant soin de monter le volume du son
assez fort pour que l’oiseau l’entende. Des les premières mesures, il ferma les yeux et émit son vœu. Dans la salle de bains, le bec orangé se glissa sous une aile et vaincue par
l’émotion, Myrtille rêva de sa lointaine forêt indonésienne.
à suivre....
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