12 novembre 2007
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Le calendrier de l’Avent
Contes et nouvelles
(10) Où la nécessité de conserver des bougies chez soi devient une évidence
(10) Où la nécessité de conserver des bougies chez soi devient une évidence
Un dimanche dans sa petite ville, en dehors des rencontres de parties de tarot trimestrielles avait autant d’attrait et le goût aussi fade qu’un plat de
carottes cuites à l’eau. Abel, élevé dans la plus stricte tradition laïque et païenne n’avait même pas l’excuse de la messe en l’église Saint Pierre pour se changer les esprits et rencontrer
quelques amis pour échanger de subtiles banalités. Il se plut à constater que la charge que représentait l’adoption temporaire de Filou avait au moins un avantage, celui de l’obliger à
pointer le nez hors de sa maison au moins deux fois dans la journée.
Tout en buvant son café, il observa par la fenêtre de la cuisine le plant de cotonéaster qu’il avait, en suivant scrupuleusement les conseils de mademoiselle Rose, placé sur le rebord de la fenêtre à un endroit suffisamment baigné de soleil et abrité des courants d’air. Pour l’instant, c’était le statu quo. Il végétait, si l’on peut employer ce verbe pour décrire une plante en mal d’enracinement, aux trois-quarts dépourvue de feuilles et de fruits automnaux.
En revanche, Filou montrait des signes d’accoutumance aux différents pièges de la maison. Un plan de l’espace et de la disposition de l’ameublement avait dû se graver au fil des jours dans sa mémoire car il se déplaçait désormais avec aisance, esquivait les pieds de table et de chaise comme un parfait habitué. Il avait même au grand étonnement d’Abel, rapporté dans sa gueule la balle de caoutchouc sur le tapis de Tabriz pour passer la nuit. Or, cette balle, Abel l’avait rangée avec les autres jouets du chien dans une boite sur une étagère du cagibi, à un endroit difficilement accessible, déjà encombré par toutes sortes d’appareils ménagers. Le flair du fox lui avait servi de guide pour se faufiler entre l’aspirateur, les balais, les seaux, les caisses qui y étaient entreposés. Un flair si développé qu’Abel avait pris soin d’enfermer le calendrier dans l’un des tiroirs du vaisselier de la salle à manger afin d’éviter sa destruction définitive.
Avec un Filou qui prenait des initiatives étonnantes, une plante figée dans l’expectative, un Benoît citant Voltaire et ne truffant que modérément ses phrases de « tu vois » et de « voilà », il avait quelques raisons d’accorder sa confiance au calendrier. Bien sûr, jusqu’à présent le nom de Paul Démère n’avait toujours pas retrouvé sa gloire passée, il n’avait pas encore vu monsieur le Maire siffler avec les doigts, ni la photo de Noël réapparaître dans son cadre et il était sans doute trop tôt pour qu’une bonne fortune ait changé la vie du vendeur de bijoux sénégalais.
Tout en buvant son café, il observa par la fenêtre de la cuisine le plant de cotonéaster qu’il avait, en suivant scrupuleusement les conseils de mademoiselle Rose, placé sur le rebord de la fenêtre à un endroit suffisamment baigné de soleil et abrité des courants d’air. Pour l’instant, c’était le statu quo. Il végétait, si l’on peut employer ce verbe pour décrire une plante en mal d’enracinement, aux trois-quarts dépourvue de feuilles et de fruits automnaux.
En revanche, Filou montrait des signes d’accoutumance aux différents pièges de la maison. Un plan de l’espace et de la disposition de l’ameublement avait dû se graver au fil des jours dans sa mémoire car il se déplaçait désormais avec aisance, esquivait les pieds de table et de chaise comme un parfait habitué. Il avait même au grand étonnement d’Abel, rapporté dans sa gueule la balle de caoutchouc sur le tapis de Tabriz pour passer la nuit. Or, cette balle, Abel l’avait rangée avec les autres jouets du chien dans une boite sur une étagère du cagibi, à un endroit difficilement accessible, déjà encombré par toutes sortes d’appareils ménagers. Le flair du fox lui avait servi de guide pour se faufiler entre l’aspirateur, les balais, les seaux, les caisses qui y étaient entreposés. Un flair si développé qu’Abel avait pris soin d’enfermer le calendrier dans l’un des tiroirs du vaisselier de la salle à manger afin d’éviter sa destruction définitive.
Avec un Filou qui prenait des initiatives étonnantes, une plante figée dans l’expectative, un Benoît citant Voltaire et ne truffant que modérément ses phrases de « tu vois » et de « voilà », il avait quelques raisons d’accorder sa confiance au calendrier. Bien sûr, jusqu’à présent le nom de Paul Démère n’avait toujours pas retrouvé sa gloire passée, il n’avait pas encore vu monsieur le Maire siffler avec les doigts, ni la photo de Noël réapparaître dans son cadre et il était sans doute trop tôt pour qu’une bonne fortune ait changé la vie du vendeur de bijoux sénégalais.
« Une question de temps sans doute » songea Abel imperméable à toute autre éventualité.
A propos de temps, celui d’ouvrir l’habitacle numéro huit se faisait pressant dans son esprit.
Une fois ouvert, un bout de papier d’une longueur inaccoutumée s’en échappa. Filou à ses pieds, il lut à haute voix le message :
« Cher ami fidèle du calendrier, vous n’êtes pas sans savoir que le huit décembre est un jour particulier. Il s’agit pour les chrétiens de la fête
de l’Immaculée Conception. Depuis trente-sept ans, ce jour est l’occasion dans la ville qui a vu naître ce calendrier non seulement de rendre grâce à la sainte Vierge mais aussi d’illuminer
notre cité à la lueur des chandelles. Craignant que cette tradition ne se perde avec le temps, nous vous demandons de former un vœu qui redonne à ceux et celles qui vous entourent le goût de
la lumière. Ou que vous habitiez et quelles que soient vos croyances, accordez votre cœur à la magie de la flamme. Bonne illumination. Le Calendrier. »
Et vlan! Voilà que la mission incombait à un athée. Deux générations à bouffer du curé avait laissé des traces indélébiles sur la suivante. Illuminer sa
ville, rien que cela…
Un mois plus tôt, il aurait peut-être pu suggérer au conseil municipal d’organiser un spectacle de rue avec dans différents quartiers, des animations, des comédiens, des parades qui se seraient terminées par de grandes illuminations. Une telle proposition émanant de lui aurait alors déclenché à n’en pas douter le scepticisme de quelques-uns uns mais aurait été votée par une majorité d’élus relevant de la même obédience que monsieur le Maire. Mais là, c’est dans la journée qu’il devait trouver une solution. L’ampleur de la tâche l’effraya. L’unique moyen qui s’imposa à son esprit eut pour conséquence de réduire la balade de Filou à un simple aller-retour entre la maison d’Abel et le square Démère.
Un mois plus tôt, il aurait peut-être pu suggérer au conseil municipal d’organiser un spectacle de rue avec dans différents quartiers, des animations, des comédiens, des parades qui se seraient terminées par de grandes illuminations. Une telle proposition émanant de lui aurait alors déclenché à n’en pas douter le scepticisme de quelques-uns uns mais aurait été votée par une majorité d’élus relevant de la même obédience que monsieur le Maire. Mais là, c’est dans la journée qu’il devait trouver une solution. L’ampleur de la tâche l’effraya. L’unique moyen qui s’imposa à son esprit eut pour conséquence de réduire la balade de Filou à un simple aller-retour entre la maison d’Abel et le square Démère.
De retour à son domicile, il se plongea dans son carnet d’adresses, releva des noms et des numéros de téléphone sur un grand cahier à spirales. Se
souvenant que sa femme avait adhéré en son temps à un petit club de loisirs, il récupéra dans l’un de ses sacs précieusement conservés, la liste des amies qu’elle fréquentait à l’époque. Au
terme d’une heure de recherches et de recopies, la liste comportait une cinquantaine de numéros de téléphone. Convaincre ces relations dont certaines perdues de vue depuis dix ans avec des
arguments plausibles et une force de conviction inébranlable, nécessitait un vœu. Abel ferma les yeux…
Vers onze heures, son bureau ressemblait à un Q.G de campagne. Le téléphone dans une main, un stylo prêt à biffer des noms sur la liste dans l’autre, il
s’était transformé en recruteur d’allumeurs de bougies. En dehors de quelques appels qui restèrent sans réponse et d’un refus net et clair d’une ancienne relation de son épouse, il pouvait
déjà compter sur une quarantaine de oui. C’était trop peu pour faire s’embraser la ville. Il lui restait un peu plus de six heures pour motiver le reste des habitants. Il sortit de l’armoire
un bottin récent et l’attaqua par ordre alphabétique. En homme organisé il avait compté deux minutes par appel soit un total de cent quatre vingt personnes à contacter. Son calcul était
optimiste, car la plupart des gens lui posaient des questions, certains s’étonnant de sa démarche menaient une véritable enquête et ralentissaient son action.
A ce petit jeu, sa voix se voila peu à peu et ses yeux devinrent récalcitrants. Il s’autorisa une courte pause, se fit chauffer un café et croqua dans un biscuit. Quelques miettes s’éparpillèrent sur le carrelage de la cuisine et Filou qui avait quitté le panier d’osier pour le suivre se jeta dessus pour n’en faire qu’une bouchée. Trop absorbé par la mission à accomplir avant la tombée de la nuit, Abel ne s’étonna pas de la singularité de la vivacité et de la précision avec laquelle le fox avait récupéré les morceaux.
A ce petit jeu, sa voix se voila peu à peu et ses yeux devinrent récalcitrants. Il s’autorisa une courte pause, se fit chauffer un café et croqua dans un biscuit. Quelques miettes s’éparpillèrent sur le carrelage de la cuisine et Filou qui avait quitté le panier d’osier pour le suivre se jeta dessus pour n’en faire qu’une bouchée. Trop absorbé par la mission à accomplir avant la tombée de la nuit, Abel ne s’étonna pas de la singularité de la vivacité et de la précision avec laquelle le fox avait récupéré les morceaux.
Il regagna son bureau en psalmodiant : « C’est bien le chien, c’est bien… ».
Alors que le ciel se paraît de couleurs violacées et qu’un vol de corneilles dans le ciel annonçait la venue prochaine de l’obscurité, il en était à son
cent trentième coup de téléphone. Il reposa le combiné et s’étira en baillant à fendre l’âme. Son dos endolori par les heures passées courbé sur sa table de travail, le faisait atrocement
souffrir. Il décida qu’il en avait assez fait pour se soumettre aux caprices du calendrier.
Il se leva, fit quelques pas dans le salon afin de dégourdir ses jambes, et pour finir, se mit en quête de bougies. Celles des
dames de la paroisse, achetées la veille sur le marché de Noël, feraient l’affaire. Il les plaça dans des soucoupes puis sur les rebords de fenêtres du salon. Il se souvint également d’un
paquet de bougies blanches de ménage conservées en cas de coupure de courant. Il en préleva quatre qui allèrent décorer les fenêtres de la salle à manger. La nuit était froide mais le vent
était tombé. Il craqua une allumette et alluma une à une les bougies blanches. Quelques minutes plus tard, les six bougies illuminaient ses fenêtres. Il se recula et admira leur lueur
vacillante.Il prit Filou dans ses bras et s’approchant pour contempler les minuscules flammes, ses yeux émerveillés découvrirent peu à peu de multiples petites tâches de lumière égayer les ténèbres. Aussi loin que son regard pouvait se poser, de minuscules lumignons éclairaient la nuit de leurs flammèches éphémères. De ci, de là, la ville s’unissait dans un seul et même éclat. Abel ferma les yeux et murmura « merci ». Un coup de langue précis vint prélever au bord de sa paupière la goutte salée qui s’y était formée.
à suivre....
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